Hortense Sarr, institutrice connectée grâce au réseau Ifadem : des compétences accrues. © MARTIN DIXON/OIF

Au Sénégal, l’éducation est la « priorité des priorités »

Avec l’aide de la Francophonie, le Sénégal met le paquet pour améliorer la qualité de son enseignement. Objectif : le développement et la stabilité d’un pays qui reste épargné par la fièvre djihadiste.

Dans la cour de l’école de Fatick, ville natale du président sénégalais Macky Sall, des enfants jettent des pierres vers un grand oiseau perché sur un toit en tôle. Pourquoi donc ne laissent-ils pas ce volatile en paix ? Aucun éducateur n’intervient.  » Ils veulent simplement le tuer et le faire frire « , répond l’un d’eux d’un ton enjoué.  » Ah bon, c’est pédagogique ?  » ose-t-on demander du haut de nos critères occidentaux. La réponse fuse, avec le même sourire :  » Ce n’est pas pédagogique, c’est social.  » En d’autres termes : une façon locale d’occuper les grands groupes dans des écoles qui peuvent s’avérer surpeuplées.

Il existe une autre technique, plus orthodoxe : suivre les conseils édictés dans un judicieux livret intitulé Organiser le travail en classe : les séquences, les interactions, la gestion des grands groupes. Ce fascicule fait partie d’une série de huit, et vise à améliorer les compétences des instituteurs dans l’enseignement du français, mais aussi des mathématiques, des sciences, de l’étude du milieu… Ils sont édités dans le cadre de l’Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (Ifadem). Etalé sur quinze pays d’Afrique, touchant plus de 20 000 enseignants, ce programme soutenu par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) vise principalement les zones rurales difficiles d’accès. Au Sénégal, il concerne trois régions sur quatorze, et donne des taux de réussite scolaire supérieurs à la moyenne.

Particularité : les instituteurs disposent d’une tablette numérique, qui leur permet de consulter les livrets en ligne et, surtout, d’être en contact permanent avec un tuteur qui diffuse des contenus de formation sur mesure via la plateforme Google Classroom. Si du moins les connexions fonctionnent. Diène Diouf, tuteur de 25 professeurs, explique :  » Je poste chaque semaine un devoir pour connaître le niveau de maîtrise. Si je ne reçois pas de réponse, je relance et je téléphone si nécessaire. Parfois les enseignants m’appellent de nuit !  » Une à deux fois par mois, des regroupements d’instits favorisent l’échange verbal sans l’intermédiaire des écrans.

L'école élémentaire de Fatick porte encore les traces de la campagne tendue en vue des législatives de l'été dernier, qui ont donné la victoire à la coalition menée par le président Macky Sall.
L’école élémentaire de Fatick porte encore les traces de la campagne tendue en vue des législatives de l’été dernier, qui ont donné la victoire à la coalition menée par le président Macky Sall.© FJDO

Français langue étrangère

 » J’ai appris à bien parler et prononcer le français « , répond spontanément Hortense Sarr, institutrice, quand on lui demande ce que l’Ifadem lui a apporté. Le sujet est d’autant plus sensible que les enfants sont abreuvés de dessins animés dans cette langue et se demandent pourquoi leurs profs ne parlent pas aussi bien que leurs héros.  » Même si c’est la langue de notre Constitution, même s’il fait partie de notre patrimoine et imprègne toutes nos langues, le français reste une langue étrangère « , souligne Amadou Bey Sy, qui coordonne un autre programme de l’OIF introduit au Sénégal : Elan, pour Ecole et langues nationales en Afrique. Objectif : implanter petit à petit l’enseignement bilingue, en particulier dans les écoles des zones rurales, afin de remédier à l’échec scolaire.

A la maison, rares sont les Sénégalais qui parlent le français. La langue véhiculaire est une des vingt-cinq que compte le pays : wolof (majoritaire), pulaar, sérère, mandingue, diola, solinké… Du coup, pas facile d’apprendre directement dans la langue de Molière si on ne l’a jamais pratiquée. D’où l’intérêt d’Elan.  » La première année du primaire est suivie en langue maternelle, le plus souvent le wolof, et le français n’est introduit qu’en deuxième année, précise Warietou Ndiaye, institutrice dans une petite école de Mbissao, à 50 kilomètres de la capitale. Les maths, par exemple, sont enseignées en langue nationale, ensuite en français, ce qui permet de mieux intégrer le savoir « . Auparavant, les confusions étaient grandes entre la définition courante et le sens figuré de mots comme  » échelle  » ou  » case « . Il a fallu rassurer les parents d’élèves :  » Beaucoup d’entre eux assimilent Elan à un enseignement au rabais car ils veulent que le français soit intégré dès la première année, synonyme pour eux d’élévation sociale « , témoigne Amadou Bey Sy.

Au Sénégal, qui consacre le quart de son budget à l’enseignement, on compte 60 classes Elan dans 30 écoles. Le programme, qui existe depuis 2012, a déjà essaimé au Maroc, en Tunisie, au Liban…  » On apprend mieux et plus vite dans sa langue maternelle, relève le coordinateur. C’est un bilinguisme additif : aucun idiome ne va se retirer au profit d’un autre. Les langues ne sont pas en conflit, comme le français avec le néerlandais chez vous. Cela participe de la cohésion nationale. La langue n’est pas liée à l’identité, c’est juste un moyen de se faire comprendre.  » Pour Michaëlle Jean, secrétaire générale de l’OIF,  » nous voulons valoriser autant les langues nationales que celle que nous avons en partage, et qui se fécondent l’une l’autre « .

Michaëlle Jean et Macky Sall à l'inauguration d'un Institut de la Francophonie à Dakar.
Michaëlle Jean et Macky Sall à l’inauguration d’un Institut de la Francophonie à Dakar.© DR

L’Ifef, boîte à outils

La formation et l’insertion professionnelle des jeunes ne sont pas oubliées. Une dernière visite nous emmène au lycée d’enseignement technique et professionnel de Thiès, à proximité d’une immense décharge à ciel ouvert, preuve qu’en matière d’environnement, le Sénégal a encore du chemin à faire. Construit en 2006 avec des fonds luxembourgeois (une vieille photo de Jean-Claude Juncker est accrochée au mur), il compte 1 200 élèves et 148 professeurs, dont 22 femmes. De l’agriculture à l’électronique en passant par la climatisation, toutes les filières sont assurées. Mais en veillant à l’adéquation entre la formation et l’offre :  » Avec les professionnels du secteur, nous avons analysé les emplois les plus porteurs « , s’enthousiasme le proviseur Daour Sene, qui cite parmi ceux-ci le bâtiment, l’agriculture et le tourisme.

Dans un hangar s’empilent des carcasses de frigos. Les futurs techniciens qui les dissèquent seront fort sollicités dans les ports où les installations du froid se détériorent.  » Nous évaluons les besoins des professionnels tous les deux ans, poursuit le proviseur. Avant, les programmes étaient balancés depuis le ministère et c’était du béton, on ne pouvait rien y changer.  » Mais comment évaluer l’impact, lorsqu’on sait que 90 % de l’emploi est informel ? Obtenir des chiffres au Sénégal est un parcours du combattant, signale Pape Gnanthio, journaliste au Dakar Times, qui s’est mis en tête de vérifier si la promesse de campagne de Macky Sall de créer 500 000 emplois avait été remplie.  » Après plusieurs semaines d’investigation, impossible d’accéder à la moindre donnée « , conclut-il, désabusé.

Toutes les initiatives financées par l’OIF, et donc indirectement par la Fédération Wallonie-Bruxelles, ont désormais un toit commun : l’Institut francophone pour l’éducation et la formation (Ifef), inauguré le 12 octobre dernier à Dakar et qui veut devenir une boîte à outils pour des solutions éducatives en Afrique francophone.  » Sur plusieurs générations, on a injecté des professeurs sans aucune formation. Cela a été un désastre au niveau de la qualité « , reconnaît Barbara Murtin, de l’OIF. Le Sénégal compte aujourd’hui 100 000 enseignants, dont 64 000 dans le primaire, mais reste dénué de moyens. Or,  » l’éducation n’est pas une priorité parmi d’autres, mais bien la priorité des priorités, martèle Adama Ouane, ancien ministre malien de l’Education, aujourd’hui administrateur de l’OIF. Investir dans l’éducation, c’est investir, à moyen et long terme, dans le développement, dans la bonne gouvernance, dans la sécurité et la stabilité du monde « .

Au lycée technique de Thiès, un prototype réalisé par les étudiants en mécanique...
Au lycée technique de Thiès, un prototype réalisé par les étudiants en mécanique…© FJDO

Sous l’emprise des bailleurs de fonds

Sécurité : le mot est sur toutes les lèvres dans ce Sénégal qui, jusqu’à présent, n’a pas dû subir d’attaques djihadistes, grâce, dit-on, à l’islam confrérique (soufi) qui permet de déjouer les complicités internes. Début octobre, deux Algériens étaient toutefois arrêtés à la frontière avec la Mauritanie. D’après le quotidien Walf, 45 individus, appréhendés entre 2013 et 2017, sont derrière les barreaux, accusés d’être en lien avec des organisations terroristes. En mars 2016, l’OIF lançait un mouvement de mobilisation citoyenne sur le thème du vivre-ensemble à travers une plateforme d’expression numérique (libresensemble.com) avec, pour support, une vidéo où des artistes des quatre coins de la francophonie célèbrent la fraternité et la solidarité sur un air de rap. Dans les écoles, des fiches pédagogiques ont été diffusées, mettant en lumière les droits humains pour tous, quel que soit son origine ou sa religion, et l’empathie envers les groupes défavorisés.

Piquant : la secrétaire générale de l’OIF, Michaëlle Jean, avait pris ses quartiers au King Fahd Palace de Dakar, offert en son temps par le roi d’Arabie saoudite, pays considéré comme un vecteur de l’islamisme radical que l’OIF entend précisément déjouer. Les autorités sénégalaises ne semblent pas avoir les épaules assez larges pour oser questionner les bailleurs de fonds du Golfe qui financent des mosquées à tous les coins de rue, mais aussi de gros travaux d’infrastructure. Pas question non plus de contredire la Turquie, qui investit massivement dans la construction du tout nouvel aéroport de Dakar. Ankara a ainsi réussi à avoir la peau des écoles privées Yavuz Selim, liées à l’imam Fethullah Gülen, ennemi juré du président turc Erdogan qui l’accuse d’être l’instigateur du coup d’Etat raté de 2016. Résultat : à la rentrée, 3 000 élèves du réseau et plus de 500 employés se sont retrouvés à la rue. L’école,  » priorité des priorités « , doit parfois s’incliner face à la realpolitik et à ses gros sous.

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