Gérald Papy

Attentats de Kaboul: Américains et talibans défiés (commentaire)

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’Etat islamique revendique les attentats de Kaboul. En frappant à l’aéroport, le groupe djihadiste réussit à affaiblir deux ennemis, les Etats-Unis, avec une douzaine de soldats tués, et les nouveaux dirigeants de Kaboul. Désormais paradoxalement unis dans un combat commun contre Daech.

Les avertissements distillés à plusieurs reprises ces derniers jours, principalement de source américaine, n’étaient pas excessifs. L’attentat annoncé et redouté à l’aéroport de Kaboul a fait entre vingt et soixante morts parmi les Afghans désireux de quitter le pays après la prise du pouvoir par les talibans et parmi les soldats américains, qui compteraient au moins une douzaine de tués dans leurs rangs. Plus tard, une autre explosion, de cause non déterminée, était signalée en un autre endroit de la capitale afghane.

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L’Etat islamique a revendiqué quelques heures plus tard les premières explosions qui ont frappé l’Abbey Gate et l’Hôtel Baron aux abords de l’enceinte aéroportuaire. Le contexte accrédite la thèse de son implication. La foule agglutinée, les soldats américains, et les projecteurs médiatiques focalisés sur Kaboul depuis le 15 août et la conquête des talibans offraient une fenêtre d’opportunité rare pour une opération recherchée par Daech pour le « rayonnement » qu’elle donnerait à son action mortifère. Le cadre – « une zone où les forces américaines sont responsables de la sécurité », d’après un responsable taliban – permettait à l’Etat islamique d’atteindre une double cible, les Etats-Unis et le régime taliban, qui peut être considéré peu ou prou, même en cette période de transition, comme responsable de la sécurité générale du pays.

« Guerre à mort »

Car si les talibans continuent à entretenir des liens de longue date avec Al-Qaeda, ils sont en revanche engagés avec l’Etat islamique dans ce que Gilles Dorronsoro, professeur de sciences politiques à l’université Paris 1 et spécialiste de l’Afghanistan, qualifie de « guerre à mort ». Pourquoi ? Vu la rivalité entre les deux groupes djihadistes, soutenir l’un implique d’être honni par l’autre. Au contraire d’Al-Qaeda, EI n’a jamais reconnu le leadership des talibans en Afghanistan. Et son fondement internationaliste et takfiriste, empreint d’hyper violence, nuit aux objectifs des nouveaux maîtres de Kaboul, en quête, même provisoirement, de respectabilité internationale. Un exemple récent de cette haine à mort : lorsqu’ils se sont emparés de l’ancienne base américaine de Bagram, les « étudiants en théologie » y ont assassiné tous les prisonniers membres de Daech.

Même si leur condamnation de l’attentat de jeudi peut être considérée comme sincère, les talibans y trouvent un intérêt immédiat : accélérer ou en tout cas confirmer endéans le 31 août le retrait des troupes étrangères, reprendre le contrôle complet de la zone de l’aéroport, tarir le flot des Afghans candidats au départ. A moyen terme, ces attaques situent le défi auquel les talibans vont être confrontés dans les mois à venir pour stabiliser le pays : un potentiel conflit durable qui leur fera perdre, aux yeux de la population, le crédit de la pacification.

L’autre leçon des événements de jeudi porte sur la stratégie américaine. La mort de nombreux nouveaux soldats à l’aéroport, alors que les services de renseignement étaient avertis du danger terroriste, ajoute une infamie au bilan déjà catastrophique de l’administration Biden dans sa globalité. Il va devenir de plus en plus difficile de le masquer aux citoyens américains, même largement indifférents au sort de l’Afghanistan. Et paradoxalement, la réplique attendue de Joe Biden contre Daech en Afghanistan va associer Américains et talibans dans un combat commun.

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