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Attaque au Kenya: récit de 80 heures en enfer (VIDEO)

Le Vif

Le centre commercial Westgate de Nairobi, au Kenya, a été libéré ce mardi des shebab somaliens qui y ont fait régner la terreur. Une attaque qui a fait au moins 60 morts et 175 blessés. Retour sur 80 heures de prise d’otages.

Les 80 heures d’enfer de la capitale kenyane ont débuté samedi, peu avant midi. Un groupe armé entre dans le très chic centre commercial de Westgate, à Nairobi. Les personnes présentes sur place, commerçants, clients aisés, expatriés ou diplomates, croient d’abord à une attaque de voleurs à main armée. Il n’en est rien.

Samedi: une journée meurtrière et confuse

Les assaillants font immédiatement usage de grenades et de mitrailleuses. Pendant 30 minutes, ils tirent quasiment en continu. Certains civils fuient, d’autres restent coincés à l’intérieur, se barricadent comme ils peuvent. Durant les premières heures, Le Monde est en contact avec un homme retranché au premier étage du centre commercial qui en compte quatre, avec le sous-sol. D’après lui, les assaillants ont investi le second qui leur fournit de meilleurs angles de tir. Ce témoin restera tapi huit heures avant d’être extrait par les forces de police.

Très rapidement, celles-ci encerclent de bâtiment qui comporte de nombreux magasins, des cafés, des cabinets médicaux, un cinéma, un casino… Une multitude de recoins où se cacher, mais aussi un vrai labyrinthe qui complique l’intervention de la police. Deux objectifs: trouver les assaillants et faire sortir les civils en toute sécurité. Tyler Hicks, un photographe du New York Times passe deux heures avec un groupe de policiers: « Ça ressemblait à une intervention militaire ». Très organisés, les assaillants restent invisibles, difficiles à localiser. À mesure que les unités avancent, d’abord au rez-de-chaussée puis au premier étage, des groupes de clients et de travailleurs sortent de Westgate. Le premier bilan officiel, vers 13h30, est alors de six morts et une cinquantaine de blessés. Tyler Hicks croit quant à lui avoir vu 10 à 12 corps.

Les premières images qui parviennent de l’intérieur du bâtiment montrent la panique, la peur et la violence. Dans le centre commercial comme à l’extérieur, la confusion règne. L’attaque n’est pas revendiquée, mais certains témoins reconnaissent les shebab à leurs vêtements.

Le quartier est bouclé, des bouchons se forment aux alentours. Nahashon Mwangi a dû attendre plusieurs heures sans nouvelle avant que son fils de 21 ans, blessé, ne puisse sortir de cet enfer. « Ils tiraient partout, c’était comme dans un film, on voyait les gens pulvérisés par les balles », racontera Zipporah Wanjiru, employée du Westgate, une fois dehors. Elle s’est réfugiée sous une table avec cinq de ses collègues. À 16 heures, samedi, le bilan est d’au moins 20 morts. Selon des témoins, au moins sept personnes sont retenues en otage.

Après avoir semé la terreur pendant près de 10 heures, les shebab somaliens (« jeunes » en arabe), un groupe islamiste lié à Al-Qaïda, revendiquent les faits sur Twitter: « Les moujahidines ont pénétré aujourd’hui vers midi dans Westgate. Ils ont tué plus de 100 infidèles kényans et la bataille se poursuit. Seuls les infidèles ont été tués, tous les musulmans présents sur place » ont été épargnés, se félicitent-ils. Pourquoi attaquer le centre commercial? En représailles à l’intervention de l’armée kényane, dans le sud de la Somalie, pour disperser le groupe islamiste.

Dans la soirée, le bilan est à nouveau revu à la hausse: 39 morts et 150 blessés. Deux Françaises, ainsi que plusieurs Britanniques, Américains et Canadiens font partie des victimes.

Vidéo: une journaliste raconte

Dimanche: la police et l’armée partent à l’assaut

Le 22 septembre, Nairobi se réveille alors que l’opération de police est toujours en cours. L’enfer a continué dans la nuit, et le nombre d’otages retenus est toujours inconnu. « Les niveaux supérieurs (du centre commercial) ont été sécurisés. Aucune communication n’a pu être établie (avec les islamistes) », annonce simplement le Centre national des opérations de catastrophes sur Twitter. Tôt dans la matinée, l’armée kényane arrive en renfort. Des échanges de tirs nourris se font entendre dans ce qui fut un temple du luxe et du bien-être, assiégé depuis une vingtaine d’heures. Les forces de sécurité parviennent à faire reculer les assaillants au rez-de-chaussée ou au sous-sol. En fin de matinée, le bilan est de 59 morts et 175 blessés.

Signe que les forces de sécurité avancent, des petits groupes sortent du bâtiment, épuisés et hagards. Sous le choc. Cécilia, une des survivantes, est restée 20 heures cachée sous une voiture, dans le parking souterrain, avant d’être secourue par des soldats, déboussolée et frigorifiée. La tension monte tout au long de l’après-midi. Au dehors, les secouristes et bénévoles accueillent les rescapés, les redirigent vers les hôpitaux. En fin de journée, les choses semblent s’accélérer: des explosions retentissent, une opération importante est en cours, l’assaut final est attendu dans la soirée. Il est lancé à 21 heures. Mais les shebab résistent jusqu’au petit matin. Le bilan est désormais de 68 morts.

Lundi: petit à petit, les forces de l’ordre gagnent du terrain

À l’aube, lundi 23 septembre, le quartier de Westgate n’a pas retrouvé son calme. Le bâtiment est toujours encerclé et « aucun otage n’a été libéré dans la nuit » annoncent les forces de sécurité. Un nouvel assaut est lancé, le bruit de trois explosions et de tirs parviennent jusqu’à ceux qui attendent le dénouement, dehors. Cela fait 40 heures que Nairobi retient son souffle. De leur côté, les shebab renforcent leur communication et montrent leur détermination. À chaque compte Twitter supprimé, un nouveau voit le jour pour diffuser des listes de personnes retenues qui sont à prendre avec des pincettes. Ils promettent de se montrer violents envers les otages en cas d’assaut, déclarent sur la BBC qu’ils n’ont pas l’intention de négocier. À la mi-journée, 48 heures après le début de l’assaut, des explosions retentissent à nouveau, une fumée épaisse et noire monte du toit: les forces de sécurité mènent une nouvelle offensive. Des hélicoptères survolent le périmètre. Aux alentours, la tension est palpable, tout le monde se jette à terre au premier bruit. Les heures pèsent sur tous ceux, policiers, secouristes, bénévoles, proches, journalistes… qui espèrent un dénouement, enfin. Quelques minutes plus tard, des otages sortent de cet endroit où ils ont passé des heures terrifiantes. « La totalité du bâtiment est sous contrôle », annonce la police, et la « plupart » des otages sont saufs. Acculés, les shebab résistent toujours. Trois d’entre eux sont morts, plusieurs autres sont blessés. Pour autant, ils ne se rendent pas. En fin d’après-midi, la police annonce l’arrestation d’au moins 10 suspects pour des interrogatoires.

Mardi: l’assaut final

Au matin du quatrième jour, mardi 24 septembre, des coups de feu et une explosion indiquent que forces de police et shebab s’affrontent encore, dans un centre commercial quasi vide. Un ou deux assaillants résistent, les autres ont été tués. Le nombre d’otages détenus est toujours inconnu. « Ils sont vivants », affirme le ministère de l’Intérieur en début de matinée. Les shebab parlent d' »un nombre incalculable de cadavres ». Tout au long de la journée, des tirs sporadiques parviennent jusqu’à l’extérieur. Tout le quartier est encore bouclé. Impossible de savoir s’il s’agit d’affrontements ou de tirs préventifs des forces de police. En fin de journée, la situation s’éclaircit. L’armée laisse place à la police, après une ultime opération de « ratissage ». Il est presque 20 heures lorsque le président kényan Uhuru Kenyatta annonce la fin du siège du centre commercial de Westgate. Plus de 80 heures après le début des événements, 61 civils et six membres des forces de sécurité ont perdu la vie.

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