Pierre Galand

Armes nucléaires : la Belgique doit agir d’urgence à l’ONU

Pierre Galand Président de l'Association Pour les Nations Unies (APNU) et ancien Sénateur

Le 20 octobre 2018, le Président Donald Trump, annonçait le retrait des Etats-Unis du Traité sur le Forces Nucléaires à Portée Intermédiaire (FNI).

Signé par Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan en 1987, le FNI impose « l’élimination de l’ensemble des missiles de croisières et missiles balistiques tirés depuis le sol d’une portée située entre 500 et 5.500 kilomètres » 1. La ratification de l’INF par l’URSS et les Etats-Unis avait permis la destruction de 2.692 missiles à portée intermédiaire ainsi que de leurs dispositifs de tir. Depuis, la Russie et les Etats-Unis se sont mutuellement accusés de violer le Traité.

D’une part, les Etats-Unis accusent la Russie d’avoir développé un nouveau type de missile nucléaire (dit 9M729) capable de toucher rapidement l’Europe occidentale. En décembre dernier, la Russie annonçait avoir testé avec succès un nouveau type de missile « hypersonique » 2. Ceux-ci seraient capables de transporter plusieurs ogives nucléaires et de se déplacer à plus de 20 fois la vitesse du son 3. Ces missiles hypersoniques entrent dans le cadre d’une nouvelle batterie d’armement russe que Vladimir Poutine qualifie d' »armes invincibles » 4.

D’autre part, les Etats-Unis ont annoncé se munir de missiles nucléaires à faible portée et destinés à être tirés depuis des sous-marins (missiles W76-2). Le développement de ces missiles à faible portée permettrait, d’après le Pentagone, de faire face à une attaque nucléaire sur un champ de bataille 5.

En octobre 2018, Donald Trump a annoncé que les Etats-Unis renforceraient leur arsenal nucléaire afin d’accentuer la pression à l’encontre de la Russie et de la Chine 6.

Si l’INF n’a, de toute évidence, pas permis l’élimination complète des armes nucléaires à portée intermédiaire, le Traité avait, au moins, le mérite de créer un espace de dialogue entre les USA et la Russie via la Commission de Vérification Spéciale 7.

En mai 2018 déjà, les Etats-Unis annonçaient unilatéralement leur retrait de l’Accord de Genève sur le Nucléaire iranien (PAGC) et imposaient de lourdes sanctions diplomatiques, politiques et économiques à l’Iran 8.

La volonté des Etats-Unis de se détourner des instruments et traités multilatéraux pourrait bien mettre en péril le faible équilibre et le peu d’espaces de dialogue qui subsistent entre les grandes puissances nucléaires.

Une politique agressive et isolationniste qui menace l’ensemble des traités internationaux sur le contrôle des armes nucléaires

Dans trois ans, le Traité de réduction des armes stratégiques nucléaires (dit Traité New START) arrive à son terme. Celui-ci limite le nombre de lanceurs nucléaires stratégiques à 700 unités et à 1.550 le nombre de têtes nucléaires affectées à ces lanceurs.

Il s’agit donc d’un instrument capital afin de lutter contre la prolifération des armes nucléaires. Cependant, à la lumière des récentes positions russes et états-uniennes, il est légitime de douter que le Traité soit reconduit. Or, la Russie et les Etats-Unis concentrent à, eux seuls, 92% du stock d’armes nucléaires existant 9.

Les relations entre les deux puissances nucléaires se sont, en effet, considérablement détériorées au cours de ces dernières années. Ce regain de tensions s’est cristallisé en Syrie et à l’est de l’Ukraine. La course à l’armement dans laquelle s’engagent les deux puissances signifie que des foyers d’affrontement risquent de se multiplier. Et il est tout à fait plausible que l’Union européenne devienne l’un d’entre eux, de par sa position géographique mais également, de par sa proximité géopolitique avec l’OTAN.

Depuis son investiture, Donald Trump presse l’ensemble des pays membres de l’Organisation pour que l’objectif de 2% du PNB alloué à la défense soit atteint. Dans le même temps, en octobre 2018, l’Organisation a réalisé en Norvège l’une de ses plus grandes manoeuvres militaires depuis la Guerre Froide. 50.000 soldats ont participé à l’exercice.

En parallèle, les Etats-Unis et la Grand Bretagne augmentent leur présence militaire en Scandinavie afin d' »acclimater leurs troupes au grand froid«  9.

La Suède, pour sa part, a rétabli le service militaire et les autorités du pays ont distribué à l’ensemble des foyers suédois une brochure expliquant comment opérer une « défense totale » en temps de guerre 10.

Il est donc urgent que notre pays se positionne clairement en faveur du multilatéralisme, de la coopération pacifique entre les nations et appelle l’Union européenne à revoir sa politique extérieure et de défense. Mr Heiko Maas, Ministre allemand des Affaires étrangères a déjà déclaré que l’Allemagne s’opposerait fermement à tout déploiement de missiles nucléaires à portée intermédiaire sur le sol européen11.

La Belgique, tout comme l’Allemagne, vient d’être élue au Conseil de Sécurité de l’ONU. Il s’agit d’une excellente opportunité de travailler avec notre voisin afin de porter au Conseil de Sécurité une voix ferme et intransigeante à l’égard du respect et de la prolongation des traités de limitation et de démantèlement de l’arsenal nucléaire mondial.

Dans le même temps, il est, dès à présent, nécessaire d’ouvrir un débat de fond sur les objectifs et l’utilité de la Politique de Sécurité et Défense Commune de l’Union européenne. D’autant plus que le Conseil européen a adopté, le 19 novembre 2018, la création du Fonds Européen de la Défense.

Ce Fonds viserait « à stimuler l’innovation et à permettre la réalisation d’économies d’échelle dans la recherche en matière de défense et dans la phase de développement industriel en soutenant des projets collaboratifs  » 12 .

A terme, un tel instrument risque bien d’engager l’Union européenne dans cette nouvelle course à l’armement. Il est pourtant difficile de comprendre à qui une telle politique pourrait bénéficier si ce n’est aux marchands d’armes et à leurs gourmands actionnaires. D’autant plus que l’enveloppe proposée pour la création de ce Fonds s’élève à 13 milliards d’euros !

L’urgence climatique, l’épuisement des ressources naturelles et le désengagement des acteurs publics dans l’aide humanitaire internationale représentent pourtant des enjeux autrement prioritaires que l’accumulation et le développement d’un nouvel arsenal européen. Et cela est d’autant plus vrai que si ces questions ne sont pas traitées sérieusement, elles risquent d’être le déclencheur d’un conflit armé d’ampleur mondiale. Les « prophéties auto réalisatrices » ne sont pas la prérogative du secteur financier…

Pour rappel, la Belgique n’a toujours pas signé ni ratifié le Traité sur l’Interdiction des Armes Nucléaires. Porté par la coalition d’ONG « Campagne pour l’abolition des armes nucléaires », le Traité a pourtant été adopté par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 7 juillet 2017.

Il s’agirait d’un premier pas important pour la Belgique afin de témoigner son attachement à la paix et plus fondamentalement, à la survie de l’humanité. Reconsidérons nos priorités politiques et budgétaires afin de désamorcer la bombe sur laquelle nous sommes assis. Il est minuit moins deux minutes.

1 U.S. Department of State, INF Treaty, https://www.state.gov/t/avc/trty/102360.htm

2 Euronews, le 26 décembre 2018, https://goo.gl/1faMd1

3 C’est-à-dire environ 24.500 km/h

4 La Tribune, le 11 mars 2018, https://goo.gl/ttUkzX

5 The Washington Post, le 13 juin 2018, https://goo.gl/TGk3X7

6 BBC, le 22 octobre 2018, https://goo.gl/5wcTYE

7 OTAN, le 15 décembre 2017, https://goo.gl/tWffpL

8 Le Vif, le 5 novembre 2018, https://goo.gl/mu2WRJ

9 RTBF, le 23 octobre 2018, https://goo.gl/7TBewR

10 The Paris Globalist, 12 novembre 2018, https://goo.gl/t3Uo42

11 Les Echos, le 17 janvier 2018, https://goo.gl/wyBBdT

12 Le Figaro, le 27 décembre 2018, https://goo.gl/Y9QYT8

13 Conseil européen, le 19 novembre 2018, https://goo.gl/4LCMu7

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