Abiy Ahmed © Belga

Après le Nobel, le plus dur reste à faire pour l’Ethiopien Abiy Ahmed

Récompensé par le Prix Nobel de la paix pour son rapprochement avec l’Erythrée et une spectaculaire ouverture de l’espace démocratique, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed va devoir redoubler d’efforts durant les prochains mois pour traduire en résultats probants et durables l’enthousiasme qu’il suscite.

Lors de l’annonce vendredi du lauréat du prestigieux prix, le comité Nobel norvégien a salué les efforts de M. Abiy pour stabiliser la Corne de l’Afrique et ses ambitieuses réformes politiques internes en vue de transformer un pays ayant longtemps souffert de l’autoritarisme d’un régime implacable.

« Le leadership courageux du Premier ministre Abiy a permis d’obtenir des changements positifs en Ethiopie ainsi que le rapprochement avec l’Erythrée », a commenté William Davison, analyste pour le groupe de réflexion International Crisis Group (ICG).

« Mais il y a encore beaucoup de travail à faire pour obtenir un nouvel accord politique en Ethiopie entre des acteurs divisés, et il a également des obstacles majeurs pour faire avancer l’accord de paix de 2018 avec l’Erythrée », a-t-il ajouté.

« Cela suggère que les principaux défis d’Abiy Ahmed sont devant lui », conclut l’analyste.

Car l’accord avec l’Erythrée, considéré comme la plus belle réussite de M. Abiy, est terni par un manque d’avancées sur des questions majeures telles que la démarcation de la frontière.

De même, les postes-frontières rouvert en grande pompe ont depuis été refermés, sans explication des deux gouvernements.

Enfin, la question reste ouverte de savoir si ses initiatives diplomatiques dans les crises au Soudan et au Soudan du Sud seront couronnées de succès.

Pour Michael Woldemariam, un expert de la Corne de l’Afrique travaillant pour l’université de Boston, les avancées de M. Abiy sur la scène régionale « restent fragiles ». « Sur la question de l’Erythrée, (…), sa réputation en tant qu’artisan de la paix sera légitimement testée les prochains mois », dit-il.

Sonnette d’alarme

Question plus pressante encore, l’organisation d’élections législatives prévues en mai 2020.

Pour nombre d’observateurs, un scrutin libre et crédible serait probablement le meilleur indicateur pour juger si l’Ethiopie a rompu avec le passé autoritariste de la coalition au pouvoir, le Front Démocratique Révolutionnaire du Peuple Ethiopien (EPRDF).

Car plusieurs défenseurs des droits de l’Homme ont tiré la sonnette d’alarme ces derniers mois, dénonçant une série d’arrestations d’activistes et de journalistes, dont certains sont détenus en vertu de lois controversées visant à lutter contre le terrorisme.

Ces arrestations se sont intensifiées après l’assassinat de cinq hauts responsables politiques et militaires en juin, qui a rappelé que la situation sécuritaire reste précaire en Ethiopie, minée par des violences intercommunautaires.

Amnesty International a estimé vendredi que le travail de M. Abiy « est loin d’être fini ». « Cette récompense (le Nobel) devrait l’encourager et le motiver à résoudre les défis des droits humains qui menacent d’annihiler les progrès réalisés jusqu’à présent ».

D’autant que l’ouverture de l’espace démocratique pour laquelle il est salué est largement vue comme ayant contribué à une expression plus libre des revendications et nationalismes ethniques alimentant les récentes violences intercommunautaires.

‘Parc de l’unité’

Le comité Nobel a par ailleurs salué les efforts de M. Abiy pour promouvoir les droits des femmes, mais là aussi, certains activistes estiment que les réformes sur la question ne sont pas aussi profondes qu’elles y paraissent.

M. Abiy a « époustouflé toute le monde » en supervisant la nomination d’un gouvernement paritaire et celle d’une femme au poste – largement honorifique – de président, mais les réformes s’attelant aux violences contre les femmes sont encore attendues, regrette Sehin Teferra, présidente du groupe féministe éthiopien Setaweet.

Le Premier ministre semble ignorer les critiques, et a promis de relever les défis.

Jeudi, il a organisé un banquet pour 500 personnes pour l’inauguration à Addis Abeba du « Parc de l’unité », le palace des anciens empereurs éthiopiens, rénové en musée et désormais ouvert au public. Un projet qui veux rassembler les différents groupes ethniques du pays derrière des envies de paix et de prospérité.

Après l’annonce de sa victoire vendredi, son bureau a renouvelé cet engameent: « Cette victoire et cette reconnaissance sont une victoire collective pour l’Ethiopie, et sont un appel à renforcer notre engagement à faire de l’Ethiopie (…) une nation prospère pour tous ».

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