Autour de Jean-Luc Mélenchon et Alexis Corbière (ici, le 3 juillet, à Paris), François Ruffin (à g.) et Clémentine Autain (à dr.) n'ont pas signé la charte de La France insoumise. © M. Cohen/H. Lucas

Après des débuts euphoriques, les Insoumis voient-ils poindre quelques nuages à l’horizon ?

Le Vif

Zélés, stratèges, pros de la com, les députés mélenchonistes ont marqué les débuts de la nouvelle Assemblée nationale. Mais la crise de croissance guette.

Si Insoumis soient-ils, ils ont parfois du mal à résister aux sirènes de la flatterie.  » Même des députés d’autres groupes viennent nous féliciter « , rosissent plusieurs élus mélenchonistes quand on les interroge sur leurs débuts à l’Assemblée nationale. Qu’importe si leurs – nombreux – amendements sont systématiquement battus en brèche, la bande des 17 affiche le sourire de ceux à qui tout réussit. Pendant que leurs collègues PS et LR pansaient leurs plaies postlégislatives, que les FN ruminaient leur déception et que les petits nouveaux macronistes enchaînaient les couacs, eux n’ont pas tergiversé sur le bénéfice à tirer de leur présence à l’Assemblée : s’adresser moins aux députés à l’intérieur de l’Hémicycle qu’aux Français en dehors, afin d’incarner, malgré leurs maigres troupes, la principale force d’opposition de France.

A destination du grand public, quelques coups d’éclat, comme ce sac de courses déballé en pleine séance de questions au gouvernement pour protester contre la baisse des aides au logement. Et, pour la communauté des Insoumis, des interventions ciselées, presque pédagogiques, prêtes à être partagées sur les réseaux sociaux. Avec eux, tout est politique. Les prises de parole importantes, comme les explications de vote ou les motions de renvoi en commission, sont soigneusement réparties à l’avance entre hommes et femmes pour respecter la parité. Même la présidence de l’obscur groupe d’amitié France-Islande à l’Assemblée nationale n’a pas été guignée au hasard. Ils y voient déjà un moyen de célébrer à grand bruit les vertus d’une nouvelle Constituante, à l’image de celle votée en 2010 par les Islandais. Rappels au règlement, présentéisme zélé dans l’hémicycle, les 17 ont gagné une forme de respect de la part de leurs adversaires.  » Ce sont des parlementaires qui, d’un point de vue technique, n’ont pas fait honte à leur fonction « , résume l’assez peu gauchiste député Les Républicains Eric Ciotti, avant d’asséner un jugement que les mélenchonistes accueilleront comme un compliment :  » Ils ont énoncé plutôt clairement des idées terrifiantes.  » Pourtant, c’est souvent dans les moments d’allégresse que l’on discerne les germes de crises à venir. Si euphoriques que soient leurs débuts à l’Assemblée, les Insoumis voient-ils poindre ces quelques nuages qui, déjà, se forment à l’horizon ?

A très court terme, la vague née autour de la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle doit éviter le ressac hors périodes électorales.  » On ne veut pas figer tout ça dans un parti. Mais je reconnais que c’est plus facile à dire qu’à faire « , explique Alexis Corbière, l’un des proches de Jean-Luc Mélenchon, qui compte bien réfléchir à la question pendant ses courtes vacances. Après les  » Amphis d’été  » de la fin du mois d’août, une convention est prévue à l’automne. L’équation est délicate : organiser efficacement le mouvement au quotidien, tout en gardant assez de souplesse pour que les militants se sentent écoutés. Tout au long du mois d’août, une  » Caravane insoumise  » traverse la France pour entretenir la flamme et battre la campagne contre la réforme du Code du travail.

Des lignes de fracture pourraient aussi troubler la belle entente

Malgré un temps pluvieux, l’étape du Mans a réuni, le 10 août, une vingtaine de militants. Dans le quartier populaire des Sablons, ces citoyens expriment clairement la volonté de peser. En particulier des jeunes comme Emma Kara-Terki, qui, malgré une petite vingtaine d’années, avait déjà un passé d’abstentionniste endurcie avant de s’enthousiasmer pour le programme de Jean-Luc Mélenchon :  » J’attends de la convention que tous les sympathisants aient leur mot à dire et qu’il n’y ait pas que les élus qui prennent la parole pour nous.  » Beaucoup réclament des votes réguliers par Internet pour trancher les grandes orientations de La France insoumise.  » On critique assez le système pyramidal des autres partis pour ne pas faire la même chose, fait valoir Stéphane Renaud, investi comme suppléant dans la 5e circonscription d’Indre-et-Loire (centre de la France) en juin dernier. Même au niveau départemental, on ne veut pas de petit chef. J’ai été candidat aux législatives, mais je suis redevenu un sympathisant lambda.  »

Si le développement de La France insoumise doit beaucoup au charisme de Jean-Luc Mélenchon, ses militants restent, paradoxalement, très sourcilleux sur les questions d’incarnation.  » Dès que quelqu’un voudra prendre de la hauteur, avec une avidité de pouvoir, on le rappellera à l’ordre « , prévient Victor Berson, militant à Tours. Tout en continuant à exposer des affiches à l’effigie de Jean-Luc Mélenchon sur le stand de la  » Caravane insoumise  » –  » C’est notre côté écolo, on recycle ce qui nous reste de la campagne !  » -, Emma Kara-Terki ne cache pas qu’elle souhaiterait voir un autre candidat représenter le mouvement à l’avenir :  » Pourquoi pas Adrien Quatennens ?  » s’interroge-t-elle à haute voix, en référence au jeune député nordiste qui s’es déjà illustré à l’Assemblée nationale.

La laïcité divise

Depuis la fin du mois de juin, Jean-Luc Mélenchon couve du regard sa petite troupe dans l’hémicycle. L’ancien professeur les encourage à s’exprimer à la tribune et les congratule chaudement lorsqu’ils en redescendent. Mais, pour le moment, personne ne lui fait vraiment de l’ombre… Seule star montante capable d’aimanter les caméras, l’assez peu contrôlable François Ruffin connaît une courbe de popularité ascendante. Pas sûr qu’il se sente lié par les règles collectives du mouvement.  » Pour l’instant, c’est plutôt simple. Il n’y a pas de contestation du leadership « , évacue Alexis Corbière.

Dans un groupe plus hétérogène qu’on ne le pense, des lignes de fracture pourraient aussi troubler la belle entente affichée depuis juin dernier. Entre un  » laïc old school « , comme se définit lui-même Alexis Corbière, et Danièle Obono, opposée à la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école, un gouffre sépare les ténors de La France insoumise sur la laïcité.  » Par chance, la présidentielle n’a pas été monopolisée par cette question, et on ne s’en porte que mieux, souffle Clémentine Autain, pour qui ces différences sur la laïcité ne sont pas insurmontables. Jean-Luc est vent debout contre le racisme antimusulman qui s’exprime dans le pays.  » La députée de Seine-Saint-Denis (au nord-est de Paris) est la seule, avec François Ruffin, à ne pas avoir signé la charte de La France insoumise afin de garder sa liberté de vote et d’action. Mais elle ne se voit pas l’invoquer rapidement.  » Face à la politique menée par Macron, on sait où on habite. Et pour longtemps.  »

Par Jean-Baptiste Daoulas.

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