Ahmad Al Faqi Al Mahdi © Reuters

Al Faqi Al Mahdi, l’ancien « shérif » islamique de Tombouctou

Le Vif

Versé depuis son plus jeune âge dans l’étude du Coran, le Touareg malien Ahmad Al Faqi Al Mahdi, jugé par la Cour pénale internationale (CPI) pour la destruction de mausolées à Tombouctou, a incarné le nouvel ordre jihadiste imposé dans le nord du Mali en 2012. Son procès commence lundi.

Des dunes du Sahara à celles de la mer du Nord, au pied desquelles se dresse la CPI, le Touareg Ahmad Al Faqi Al Mahdi est accusé d’avoir « dirigé intentionnellement des attaques » contre neuf des mausolées de Tombouctou et contre la porte de la mosquée Sidi Yahia entre le 30 juin et le 11 juillet 2012.

Né il y a une quarantaine d’années dans la tribu maraboutique des Kel Ansar, à Agoune, à 100 km à l’ouest de Tombouctou, cet homme barbu à l’abondante chevelure bouclée, décrit comme réservé, voire introverti, a été le maître d’oeuvre de la démolition de ces monuments classés au Patrimoine mondial de l’humanité.

Il lui est reproché d’avoir participé à toutes les étapes de la destruction: de la planification à l’exécution, en passant par le sermon du vendredi précédant l’attaque.

Des actes pour lesquels Ahmad Al Faqi Al Mahdi doit plaider coupable et veut « demander pardon aux habitants de Tombouctou et au peuple malien », a annoncé en mai un de ses avocats devant la CPI.

Diplômé de l’Institut de formation des maîtres (IFM) de Tombouctou, ancien fonctionnaire de l’Education malienne qui a vécu en Libye et en Arabie saoudite, il a fréquenté très tôt l’école coranique.

« Parmi les 82 élèves de la madrassa, Ahmad avait de loin la mémoire la plus phénoménale. Il avait tout le Coran dans la tête », se souvient El Hadj Mohamed Coulibaly, son ancien maître coranique dans les années 1980 à Nara, dans la région de Koulikoro (ouest).

« On ne pouvait pas le coller ni le prendre en défaut », raconte à l’AFP M. Coulibaly, aujourd’hui imam d’une petite mosquée de la périphérie de Bamako.

Un moment directeur d’école à Douentza (centre-nord), Ahmad Al Faqi Al Mahdi est de retour à Tombouctou peu avant l’entrée des jihadistes en avril 2012.

A cette époque, « chargé des affaires religieuses » au sein de la représentation locale de l’Association des jeunes musulmans du Mali (AJMM), il fait figure de « gardien du temple », intransigeant sur les principes et prônant ouvertement l’application de la charia.

Il côtoie alors Sanda Ould Boumama, qui deviendra porte-parole d’Ansar Dine, un groupe jihadiste majoritairement touareg. Père de trois garçons, il est marié à la nièce de Houka Ag Alfousseyni, juge islamique de la ville, un appui qui favorisera son ascension après l’avènement des jihadistes.

‘La carotte et le bâton’

Il se rapproche des nouveaux maîtres de Tombouctou, dont il devient l’idéologue, et le chef de la hisbah, la brigade islamique des moeurs qu’il met en place en avril 2012. Il rejoint alors les rangs d’Ansar Dine.

« M. Al Mahdi a d’abord attiré l’attention des groupes armés en raison de sa réputation d’érudit religieux », a souligné en mars un des procureurs de la CPI. « Il était populaire dans sa communauté, ce qui lui permettait d’en convaincre les membres de se rallier à leur cause ».

A la tête de sa brigade, « il utilisait la carotte et le bâton. Il pouvait brutalement fermer des boutiques pour obliger les gens à se rendre à la mosquée », notamment le vendredi, témoigne un religieux de Tombouctou sous couvert d’anonymat.

Moralisateur, Ahmad Al Faqi Al Mahdi n’a pas hésité, selon des témoins, à fouetter lui-même des femmes qu’il jugeait « impures ». A contrario, il lui est arrivé de réunir des fumeurs pour les convaincre de renoncer à leur addiction, plutôt que de les flageller séance tenante, selon le même religieux.

Il avait un côté « shérif de la ville », résume un élu local, selon lequel il se prenait parfois pour « le chef des imams » de Tombouctou.

En 2012, l’ancien enseignant expliquait à un journaliste de l’AFP qu’il avait brièvement reçu à Tombouctou que son rôle était de « justifier toutes les décisions appliquées au nom de la charia, au nom du Coran », jugeant « absolument normal de couper la main d’un voleur ».

« Le Prophète a dit de casser les mausolées parce que tous les gens sont égaux et donc, dans un cimetière, une tombe ne doit pas être plus élevée qu’une autre », avait-il affirmé, entouré de combattants armés jusqu’aux dents.

Devant la CPI, un de ses avocats, Jean-Louis Gilissen, a décrit « un homme intelligent, raisonnable, un intellectuel », qui « cherchait à faire prévaloir sa vision du bien et du mal ».

« Il voulait introduire, et si nécessaire, imposer la pureté », a souligné son conseil, « et l’Histoire nous a appris combien la recherche de la pureté peut se révéler dangereuse ».

– Un message fort –

Les experts espèrent que le procès délivrera un message fort contre la destruction de biens culturels, alors que 55 sites sont officiellement classés « en danger » à travers le monde. Sur cette triste liste se trouvent notamment la vallée de Bamiyan (Afghanistan), dont les bouddhas avaient été détruits en 2001 par les talibans, et la cité antique de Palmyre (Syrie), partiellement détruite et pillée par les jihadistes de l’organisation Etat islamique (EI).

Cet acte est « devenu une tactique de guerre pour disséminer la peur et la haine », a écrit récemment la directrice générale de l’Unesco, Irina Bokova, dans le magazine en ligne International Criminal Justice Today. Ces attaques ont pour but de « réduire en lambeaux le tissu même de la société », a-t-elle ajouté, soulignant qu’il est « essentiel » que ces crimes ne restent pas impunis.

Plus que des pierres

Le site a depuis été reconstruit mais pour la procureure Fatou Bensouda, l’enjeu des procédures « va plus loin que des pierres et des murs ». Les personnages vénérés enterrés dans les mausolées valent à Tombouctou son surnom de « Cité des 333 saints » qui, selon des experts maliens de l’islam, sont considérés comme les protecteurs de la ville, susceptibles d’être sollicités pour des mariages, pour implorer la pluie ou lutter contre la disette… Ce sont ces rites, contraires à leur vision rigoriste de l’islam, que les jihadistes ont tenté d’éradiquer, avant d’en venir à la destruction des mausolées, selon l’accusation.

Les attaques avaient pour cibles « la dignité et l’identité de populations entières ainsi que leurs racines religieuses et historiques », assure Fatou Bensouda. Fondée à partir du Ve siècle par des tribus touareg, tirant sa prospérité du commerce caravanier, Tombouctou est devenue un grand centre intellectuel de l’islam et a connu son apogée au XVe siècle.

Gommer le passé

Tout en se félicitant de la tenue de ce procès pour destruction de patrimoine culturel, des ONG ont regretté l’absence d’autres chefs d’accusation, notamment pour les violences sexuelles perpétrées au cours du conflit dans le nord du Mali. En outre, même si la liste des sites en danger ne cesse de s’allonger, d’autres poursuites ne seront pas évidentes. Ni l’Irak, ni la Syrie n’ont signé le Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI : sans décision de l’ONU, aucune enquête n’est possible.

Pour l’archéologue Christopher Jones, qui a catalogué des dizaines d’attaques de ce type de l’EI sur son blog « Les portes de Nineveh », les jihadistes ne veulent pas seulement effacer une culture. « En détruisant une mosquée chiite, vous effacez un système alternatif de croyances », a-t-il expliqué à l’AFP. « Vous déconnectez les peuples des éléments qui les lient » à leurs villes, pour qu’ils n’aient « plus de passé ».

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