© Belga

A Londres, l’ampleur de la hausse des sans-abri inquiète

Le Vif

Le nombre de sans-abri a nettement progressé à Londres en 2018, selon des chiffres officiels publiés jeudi, qui illustrent l’ampleur d’un phénomène d’autant plus inquiètant en pleine vague de froid.

Selon l’Office national des statistiques, près de 1.300 personnes dormaient dans la rue dans la capitale britannique à l’automne 2018, un chiffre en hausse de 300% en huit ans et sans doute sous-évalué, admet l’organisme.

Selon l’association caritative Combined Homelessness and Information Network, ils seraient plus proches de 3.000.

Emmitouflé dans un vieux manteau, un bonnet usé enfoncé sur la tête, Eric Green, 56 ans, vit dans la rue depuis deux ans et demi, après avoir perdu son emploi de charpentier, puis son appartement. Chaque jour, il mendie au même endroit, en face de Trafalgar Square, dans la grisaille et le froid de l’hiver londonien.

« L’autre jour, un type est mort d’hypothermie là-bas », raconte-t-il en désignant une entrée d’immeuble voisine. « Il avait bu et fumé de la +spice+ (du cannabis synthétique, ndlr), et s’est endormi en t-shirt ».

Lui est habillé de plusieurs couches de chauds vêtements militaires donnés par un ami. « Il faut être prêt », remarque-t-il. « Le froid tue, la drogue tue… des gens meurent tout le temps ».

– Loyers hors d’atteinte –

Fin décembre, le décès d’un autre sans-abri dans la station de métro de Westminster, au pied du parlement, avait provoqué l’émotion et braqué l’attention sur ces exclus, longtemps invisibles aux yeux des Londoniens. Car l’homme ne pouvait pas se loger malgré un emploi.

Dans une ville, où les loyers sont les plus élevés d’Europe, ce phénomène est de moins en moins rare. Depuis quelques années, la fin d’un contrat de bail est en effet devenu la première cause qui pousse les gens à la rue, devant les accidents de la vie comme la perte de son emploi ou un divorce, selon les ONG.

« Si vous avez de très bas revenus et que vous avez besoin d’allocations, cela devient très compliqué quand votre loyer augmente », dit à l’AFP le directeur exécutif de Crisis, Jon Sparkes.

Le nombre de personnes sans logement stable, qu’elles soient à la rue ou en hébergement temporaire, ne cesse de croître et s’élèverait aujourd’hui à 320.000 dans le pays, d’après Shelter.

Selon ces organisations, la politique sociale et de logement du gouvernement conservateur, au pouvoir depuis 2010, a accentué le problème. Il a coupé plusieurs dizaines de milliards de livres d’aides sociales, avec « un impact disproportionné sur les plus pauvres », d’après la Commission sur l’égalité et les droits humains, un comité indépendant dont les membres sont nommés par le gouvernement.

L’investissement public dans les logements sociaux a aussi drastiquement diminué. Alors que la construction de 36.700 logements sociaux avait été financée en Angleterre pour l’année fiscale 2010-2011, ce chiffre est tombé à seulement 6.463 sept ans plus tard.

La pénurie de logements sociaux a été aggravée par la politique d’encouragement d’accession à la propriété, qui a sorti du marché locatif de nombreux biens meilleur marché, soulignent aussi les associations.

Le maire travailliste de Londres, Sadiq Khan, avait fait du logement un point central de sa campagne électorale de 2016. Il s’est engagé à lancer la construction de 116.000 logements sociaux d’ici 2022.

– Délit de vagabondage –

En réponse aux critiques, le gouvernement s’est engagé à ce que personne ne vive à la rue d’ici 2027. Il a aussi promis 2 milliards de livres (2,27 milliards d’euros) sur 10 ans pour la construction de logements sociaux.

« Le gouvernement va devoir faire beaucoup plus en matière de prévention, de protection sociale et de construction de logements, s’il souhaite atteindre son objectif », soutient Jon Sparkes.

Le ministre du Logement Jake Berry a décidé de faire un autre geste en annonçant mardi la révision du délit de vagabondage, sans toutefois promettre de le supprimer.

Ce délit, qui a cours depuis 1824 quand il a été introduit pour chasser des rues du pays les soldats revenus sans le sou des guerres napoléoniennes, est jugé « immoral » par la députée libérale-démocrate Layla Moran selon qui pas moins de 3.000 sans-abris ont été poursuivis entre 2014 et 2016 en vertu de ce texte, qui permet à la police d’arrêter toute personne qui mendie ou dort dehors.

Les collines de la campagne anglaise, refuge d’un nombre croissant de sans-abri

Loin des centres-villes et des regards, le phénomène est moins visible. Mais dans les paysages de bocage vallonné du district de Canterbury, dans le Kent (sud-est de l’Angleterre), la pénurie de logements laisse de nombreuses personnes sans toit.

A 38 ans, Benny Clapp vient de passer sa première année dehors. Dépressif depuis le suicide de sa femme, en décembre 2017, et incapable de travailler, cet ancien cuisinier explique avoir presque tout perdu. Ses vêtements, sa tente et quelques couvertures sont tout ce qu’il possède.

Il s’est installé au bord d’une rivière, ses affaires dissimulées par des buissons. Pour sa sécurité et afin d’éviter les mauvaises rencontres, il a choisi l’isolement. « C’est plus sûr ici. Si quelqu’un vient, je peux l’entendre, et personne ne peut arriver de ce côté », explique-t-il, en désignant le cours d’eau.

Malgré les faibles températures, il tente de faire sécher son duvet humide sur le toit de sa tente. A l’intérieur, la condensation s’est transformée en givre. Pour se réchauffer, il marche chaque jour jusqu’à la ville de Canterbury, distante de quelques kilomètres. C’est là qu’il doit pointer deux fois par mois auprès de l’administration pour conserver son allocation handicapé de 50 livres (57 euros) hebdomadaires.

David Burt, lui aussi, préfère la protection offerte par un bois pour planter sa tente. Originaire de Ramsgate, sur la côte, il est sans domicile depuis sa sortie de prison, il y a deux ans et demi. « Des histoires de drogue », élude-t-il.

Traumatisé par une agression physique subie de nuit par un ex-compagnon d’infortune, cet homme chétif de 48 ans, au visage mangé par une longue barbe poivre et sel, estime que vivre à l’abri des regards le protège également des vols. « Vous pouvez conserver quelques affaires, de quoi manger. Je ne pourrais pas garder un colis alimentaire si je n’avais nul part où l’amener ».

– « Engager le dialogue » –

Venir en aide à ces sans-domiciles qui cherchent la discrétion, c’est la mission d’Emma McCrudden, travailleuse sociale au sein de l’association Catching Lives. Au volant de sa voiture, elle effectue des tournées dans les villages, localisant les sans-abris grâce aux indications que lui donnent la police ou des promeneurs.

« Mon boulot c’est engager le dialogue avec eux, leur présenter certains services pour répondre à leur besoin », détaille-t-elle. « Je peux essayer de leur trouver un logement, les emmener à un rendez-vous, ou chez le médecin ». Une aide parfois indispensable quand les transports en commun se font rares, et chers pour ces personnes particulièrement démunies.

Malgré sa capacité à repérer des abris de fortune à travers la végétation, elle reconnaît qu' »il y a une large population (de sans-abris) que l’on ne rencontre pas – ils vivent dans des granges, des cabanes, des fermes ou des tentes, dans des endroits où les gens ne vont jamais ». Elle espère simplement que leurs besoins essentiels les pousseront, un jour ou l’autre, à contacter son association, qui distribue des repas quotidiennement.

En dépit des difficultés de recensement, Terry Gore, le directeur général de Catching Lives, est catégorique: « le nombre de sans-abris est à la hausse depuis plusieurs années ». Officiellement, il a été multiplié par 2,5 en Angleterre entre 2010 et 2017, pour atteindre 4.751 personnes, dont 36 dans le district de Canterbury. Mais Terry Gore juge ces chiffres sous-évalués de moitié.

– « Pénurie de logements » –

« L’idée que le problème des sans-abris est avant tout urbain et non rural est en train de changer, parce que la pénurie de logements est la même à la campagne qu’à la ville », soutient-il.

De fait, le conseil de district de Canterbury traite chaque année un millier de demandes d’habitants craignant de perdre leur logement. Et 2.400 personnes figurent sur une liste d’attente pour obtenir une habitation.

Dans sa tente humide, Benny Clapp ne nourrit plus d’espoir de se voir attribuer une solution d’hébergement provisoire. Mais il prend son mal en patience. Un vieil ami ayant eu vent de sa situation lui a annoncé qu’il avait « de la place » pour lui, dans son logement à Liverpool (nord-ouest de l’Angleterre). Quatorze mois après le début de son errance, il attend le prochain versement de son allocation pour se payer le trajet en bus, et retrouver un toit.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire