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120 millions d’Américains bientôt privés d’eau courante ?

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Quatre Américains sur dix dépendent de sociétés de gestion des eaux qui les menacent de coupure en cas de non-paiement de facture. Or, ils sont nombreux à être actuellement sans revenu à cause de la pandémie de coronavirus.

Des millions d’Américains risquent d’être privés d’eau courante s’ils ont un retard de paiement de leurs factures dans les mois à venir. Les licenciements massifs déclenchés par la pandémie de coronavirus obligent les familles sans revenu à faire des choix pour payer les dépenses de leur ménage.

Environ 40 % des habitants du pays dépendent des sociétés de gestion des eaux qui n’ont pas suspendu leur politique de coupures en cas de non-paiement, malgré les avertissements de santé publique selon lesquels une bonne hygiène – en particulier le lavage fréquent des mains – est cruciale pour prévenir la propagation du virus hautement contagieux, selon les données analysées par Food and Water Watch (FWW) et le Guardian.

Le virus s’est propagé de manière exponentielle au cours des dernières semaines, faisant plus de 68.000 victimes aux États-Unis, selon le dernier bilan. Le pays de Donald Trump devrait probablement dépasser les 100.000 décès dès le mois de juin, selon plusieurs modèles épidémiologiques qui ne prédisent pas d’arrêt soudain des contagions pendant l’été.

Un taux de chômage record

En plus du bilan de santé publique, l’impact économique de la pandémie a aussi dévasté beaucoup de familles. Début mai, près de 30 millions de personnes avaient déjà demandé des allocations de chômage. Une augmentation sans précédent de la demande d’aide d’urgence auprès des banques alimentaires a également été constatée dans le pays. De plus, un Américain sur deux n’a pas de bas de laine d’urgence ou pas assez pour couvrir trois mois de frais de subsistance, selon l’indice de sécurité financière 2019 de Bankrate.

Pourtant, malgré l’évolution de la crise économique et sanitaire, moins de 60 % de la population a jusqu’à présent été protégée contre les coupures d’eau. Et seuls 11 % de ces services publics se sont explicitement engagés à reconnecter les ménages actuellement sans eau courante en raison de factures impayées.

« Alors que le chômage atteint des niveaux records, des millions d’Américains vont devoir choisir entre payer la nourriture, le loyer et les factures… l’eau n’est pas quelque chose que les gens devraient avoir à sacrifier », a déclaré Mary Grant, directrice de l’eau au Food and Water Watch.

Alors que le chômage atteint des niveaux records, des millions d’Américains vont devoir choisir entre payer la nourriture, le loyer et les factures…

Il n’existe pas de base de données nationale permettant de suivre les coupures ou le nombre de ménages américains qui n’ont pas l’eau courante. Mais en 2016, un ménage sur 20 a été déconnecté par les services publics de l’eau, laissant environ 15 millions d’Américains sans eau courante.

Témoignage : « C’est comme si tout le monde s’en fichait »

Joshua Haynes a été élevé pour travailler dur et prendre soin de sa famille sans demander d’aide extérieure. Mais lorsque les factures de services publics sont arrivées le mois dernier, il savait qu’il y aurait un problème.

À 34 ans, ouvrier du bâtiment de Newbern, dans le Tennessee, il s’est retrouvé sans revenu après que le gouverneur a ordonné le confinement au début du mois d’avril. En tant qu’ouvrier du bâtiment, il n’a pas droit à l’assurance chômage et le chèque de relance de l’État n’est toujours pas arrivé. « Je paie toujours mes factures à temps, mais sans travail, je n’avais tout simplement pas l’argent pour tout couvrir, alors j’ai demandé une prolongation. Ils ont dit non », a expliqué Joshua Haynes au Guardian.

Joshua Haynes, qui vit avec sa femme et ses trois enfants, a réussi à obtenir l’argent six jours seulement après l’échéance de la facture, mais la ville a refusé d’accepter le paiement à moins qu’il ne paie également des frais de rebranchement de 70 dollars. Il ne les avait pas, et les frais n’avaient pas de sens, car sa maison n’avait pas été déconnectée du circuit. Quelques heures après que son paiement a été refusé, les robinets ont été fermés, alors même que les Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) exhortaient les gens à se laver fréquemment les mains afin d’éviter la propagation du virus.

Pendant une semaine, la famille a survécu grâce à des sodas et des repas au micro-ondes, en se nettoyant les mains avec du gel et en tirant la chasse d’eau avec des seaux remplis chez un voisin.

Finalement, Joshua Haynes est retourné au travail malgré le confinement afin d’obtenir une avance sur son salaire pour payer les frais de rebranchement. « C’est mal ce qu’ils ont fait, surtout avec autant de personnes sans travail. Je me suis senti en colère et embarrassé. Je n’avais jamais manqué une facture avant… Je n’avais pas d’autre choix que de retourner au travail », a-t-il déclaré.

Les communautés les plus vulnérablesles plus touchées

Le plus grand nombre de coupures ont lieu dans les États du Sud et les États ruraux. Certaines des villes les plus touchées, dont La Nouvelle-Orléans, Detroit, Milwaukee, Mecklenburg, Ada et Dekalb, sont désormais des points chauds de Covid-19, selon l’analyse du Guardian.

À La Nouvelle-Orléans, qui présente le quatrième taux d’infection au coronavirus le plus élevé du pays, 300 foyers ont été reconnectés et la ville ne sait pas combien d’entre eux sont encore privés d’eau courante. « C’est un ensemble de facteurs connexes – racisme institutionnel, injustice environnementale et pauvreté – ce qui signifie que les communautés les plus vulnérables à Covid-19 sont les mêmes que celles qui sont les plus vulnérables aux coupures d’eau », a déclaré Mary Grant.

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120 millions de personnes à risque

Si plus de 600 localités et 13 États ont imposé des moratoires sur la déconnexion des habitants depuis début mars, certains de ces moratoires expireront bientôt lorsque les États rouvriront leurs portes.

Dans le Tennessee, où la charge énergétique est également très élevée, le gouverneur a résisté aux appels à un moratoire à l’échelle de l’État, affirmant que l’on peut faire confiance aux entreprises de services publics pour faire ce qu’il faut.

Jusqu’à présent, une poignée de services publics desservant 2,2 millions de personnes, soit 30 % des habitants du Tennessee, ont suspendu les coupures. Aucune n’a accepté de rebrancher les ménages sans eau courante malgré la grave menace que représente le manque d’hygiène pour la santé publique.

« Nous avons besoin d’un moratoire de l’État [sur les fermetures] », a déclaré Brianna Knisley, du groupe de défense Appalachian Voices, qui s’inquiète de la récession imminente. « L’ordonnance de confinement a expiré le 30 avril, mais beaucoup de gens n’ont plus de travail. »

L’accès à l’eau, un problème national

Même avant la crise actuelle, l’accès à l’eau potable était un problème croissant aux États-Unis, après des années de hausse des prix qui ont laissé un nombre croissant de ménages à faibles revenus en difficulté pour payer leurs factures.

En conséquence, certains services publics d’eau ont multiplié les coupures, soi-disant pour encourager les gens à payer à temps : environ un ménage sur 20 était déconnecté en 2016, selon une étude de Food and Water Watch. En outre, plus de 2 millions de personnes n’ont pas de plomberie intérieure – pas d’eau courante ni de toilettes à chasse d’eau.

À l’échelle nationale, personne ne sait combien d’Américains étaient sans eau au début de la pandémie – ni combien ont été déconnectés depuis.

Ce que l’on sait, c’est que les aides financières destinées à aider les familles et les services publics à faire fonctionner les robinets ont été jusqu’à présent exclus des plans de sauvetage fédéraux. Les industries de l’eau et des eaux usées estiment à 26,4 milliards de dollars le manque à gagner, principalement en raison du blocage des industries et des entreprises – ce qui alimente la crainte que les petites villes se sentent obligées de vendre leurs services publics à de grandes sociétés à but lucratif.

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