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Sigmund Freud, has-been ou toujours pertinent ?

Dépassé, Freud? Plus de quatre-vingts ans après sa mort, le père de la psychanalyse reste bien présent dans les universités et les cabinets de consultation même si ses théories suscitent le débat. Pour ses défenseurs, ses apports n’ont rien perdu de leur modernité.

Une article de Jérôme Rombaux.

« Dans le Livre noir de la psychanalyse, Sigmund Freud est présenté comme un bon écrivain de fiction. » Ces propos, rapportés avec indignation par Jennifer Denis, psychothérapeute et docteure en psychologie à l’UMons, illustrent à quel point le neurologue autrichien, fondateur de la discipline, est la cible d’attaques ces dernières années. Certains l’ont aussi requalifié de « philosophe », comme pour l’exclure du monde scientifique.Patrick De Neuter, psychanalyste, professeur émérite à l’UCLouvain et cofondateur de l’Espace analytique de Belgique, réfute cette réaffectation: « Freud s’est toujours refusé à faire de la philosophie, car il ne voulait pas imposer sa conception du monde. » Même constat pour Francis Martens, président de la Fédération nationale des psychologues praticiens d’orientation psychanalytique de Belgique (APPPsy): « Pionnier des neurosciences, il s’inscrit dans une démarche scientifique, non expérimentale mais rigoureuse, avec la clinique comme poste d’observation. »

On ne peut pas se dire psychanalyste si l’on n’est pas freudien.

Pourtant, des détracteurs tels que Jacques Van Rillaer (dont l’ouvrage Les Désillusions de la psychanalyse, éd. Mardaga, vient de sortir) en Belgique ou Jacques Bénesteau et Joel Swendsen en France reprochent aux théories freudiennes d’être basées sur des observations personnelles et subjectives sans aucun support objectif, et souvent rapportées de façon mensongère. Elles seraient caractérisées par l’absence d’hypothèse réfutable et par leur étanchéité aux critiques et preuves contraires. Elles ne seraient donc pas démontrables scientifiquement. Par ailleurs, ces théories n’auraient aucune valeur thérapeutique comme souligné par une étude de l’Inserm (Intitut national de la santé et de la recherche médicale), en France. « Cette étude atteste que la psychanalyse ne produit pas plus d’effet thérapeutique qu’un curé dans un confessionnal », assène Jacques Balthazart, neuroendocrinologue et professeur émérite à l’ULiège. « L’amour n’est pas démontrable, faut-il le révoquer pour autant? », rétorque Francis Martens, pour qui « on ne peut pas se dire psychanalyste si l’on n’est pas freudien ».

Le reproche principal fait aux théories de Freud? Ne pas être démontrables scientifiquement.
Le reproche principal fait aux théories de Freud? Ne pas être démontrables scientifiquement.© GETTY IMAGES

Inconscient collectif

Mort en 1939, le père de la psychanalyse – et, par extension, du courant psychodynamique – est-il dès lors toujours pertinent de nos jours? Pour Jacques Balthazart, « Freud est enterré dans le monde entier, sauf en Argentine et en France – où on continue de l’enseigner parfois de façon exclusive. Ailleurs, comme aux Etats-Unis, la psychanalyse est plutôt étudiée dans un cadre historique. » « Freud est plus actuel que jamais », clame pour sa part Francis Martens.

« La psychanalyse est surtout efficace pour les troubles légers, comme les névroses et les difficultés relationnelles, avec un public doté de bonnes capacités d’élaboration, reconnaît Jennifer Denis. Les psychanalystes ont aussi réussi à s’adapter à différents contextes institutionnels, au-delà du divan. » Et la psychothérapeute d’évoquer, selon elle, les vertus de Freud: « Il a créé un espace de parole, notamment pour les femmes et les enfants, à une époque où la voix de ces derniers avait moins de poids qu’aujourd’hui, et il s’est intéressé à la dimension invisible, à travers notamment ses théories de l’angoisse et des pulsions, ainsi qu’aux processus d’activation interne, comme le transfert (NDLR: le déplacement d’un sentiment ou d’une émotion d’un patient vers son thérapeute) et le contre-transfert (NDLR: du thérapeute vers son patient). » Et au concept d’inconscient, Patrick De Neuter ajoute, lui, les pulsions de répétition ainsi que celles de vie et de mort, l’importance du langage et, bien sûr, les interdits oedipiens « dont l’inceste, dont on parle souvent en ce moment ». Freud serait donc toujours au coeur de l’actualité, mais aussi des débats…

La relève est assurée

Ils sont nombreux ceux qui peuvent prétendre à la succession de Freud: pour Jennifer Denis (UMons), il s’agit surtout de Roussillon, Kaës et Green, également cité par Patrick De Neuter (UCLouvain) aux côtés de Dolto, le couple Octave et Maud Mannoni ainsi que Laplanche, cher à Francis Martens. Ce dernier mentionne aussi Judith Dupont, qui a fait redécouvrir l’oeuvre de Ferenczi, lequel « redynamise la psychanalyse ». Sans oublier Lacan, unanimement référencé, même si c’est « pour le meilleur et pour le pire », consent le président de l’APPPsy.

Surtout, Freud n’aurait pas tout dit. « Il s’est principalement attaché à la compréhension des névroses, indique Patrick De Neuter. On pourrait donc aller plus loin avec les psychoses, dans certaines catégories d’âge comme les ados, les bébés et les prématurés, ainsi qu’avec les toxicomanes, les grands traumatisés et la transidentité, mais aussi pour trouver de nouvelles techniques en thérapie de couple et de groupe. » Pour Jennifer Denis, la transmission de la pensée freudienne constitue un enjeu de taille: « Il faut continuer à l’enseigner à l’université, poursuivre recherche et, surtout, diffuser les nouveaux écrits à son sujet. » « Freud aurait été ravi de voir le progrès des neurosciences », conclut Francis Martens. Ces mêmes neurosciences dont les récentes avancées donnent un nouvel élan à la psychologie, même si nombre de ses représentants sont loin d’être freudiens. Comme pour donner une nouvelle envergure au neurologue autrichien?

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