Ni Dehaene ni Lubbers (à dr.) ne décrocheront la timbale. © Belgaimage

Quand Dehaene loupa la présidence de la Commission européenne

Décor idyllique pour un moment historique. C’est sur l’île de Corfou, au bord de la mer Ionienne, que Jean-Luc Dehaene s’apprête à devenir président de la Commission européenne. Pour décrocher le leadership, il a dû manoeuvrer, séduire, se battre. Mais ça y est : l’Allemagne et la France appuient sa candidature ; le sommet de Corfou devrait confirmer sa désignation. Sauf que… la politique réserve parfois des surprises. Et que si Berlin et Paris sont nécessaires pour faire avancer l’Europe, Londres suffit à la bloquer.

Dix ans que Jacques Delors règne au sommet du Berlaymont ! Avec lui, l’Union européenne a avancé. Qui pour remplacer le Français ? Tous les regards se tournent vers la première famille politique du Parlement, le Parti populaire européen. Où les candidats ne manquent pas. Pas moins de quatre hommes sont intéressés par le poste : les Britanniques Peter Sutherland et Leon Brittan, mais, surtout, le Néerlandais Ruud Lubbers et le Belge Jean-Luc Dehaene. Entre ces deux-ci, la lutte est serrée. Elle devient même féroce lorsque le Néerlandais déclare le Belge  » inapte  » à exercer le poste. Mi-juin, les huiles du PPE organisent une réunion de médiation secrète entre les deux hommes. Ruud Lubbers retire ses propos. Mais pas sa candidature.

Si le duel est serré, Dehaene prend lentement l’ascendant. Porté par le succès d’une très brillante présidence belge, il reçoit bientôt le soutien du chancelier Kohl et du président Mitterrand. Le Premier ministre espagnol Aznar a beau avoir manifesté une préférence pour Lubbers, Dehaene est confiant. Et toute la diplomatie belge avec lui.

C’est à la veille de l’ouverture du sommet de Corfou qu’un événement inattendu se produit. Philippe de Schoutheete, représentant permanent de la Belgique auprès de l’Union européenne, reçoit un coup de téléphone de John Kerr, son homologue britannique. Ce dernier lui signale que le Premier ministre John Major s’opposera à la candidature de Dehaene. Schoutheete est inquiet, mais Dehaene n’y croit qu’à moitié.  » On verra bien une fois qu’on sera dans la salle « , balaie le Premier ministre. Il n’empêche, le doute s’est installé.

La journée du vendredi se perd en vaines formalités protocolaires et en vagues débats. Ce n’est qu’à l’heure du dîner que le principal objet de la rencontre est discuté. Officiellement, trois candidats sont encore en lice. Sir Leon Brittan, membre de la Commission sortante, est ultracompétent mais hyperlibéral. Impossible. Lubbers ? Il est en conflit ouvert avec Kohl. Impensable. Reste Dehaene. Il a clairement les faveurs de la salle. C’est alors que Major intervient :  » No way !  »

Pourquoi ce veto ? Pour des raisons de politique interne. Pour le conservateur Major et son électorat, Dehaene est trop fédéraliste, trop européen. Trop risqué. Tout est tenté ; rien n’y fait : le sommet de Corfou se clôt sur un échec. Quelques semaines plus tard, la présidence sera offerte au Luxembourgeois Jacques Santer. Un candidat de compromis. Qui dirigera une Commission de transition.

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