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Pourquoi la Rome antique fascine

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Empereurs, gladiateurs, complots, sexe, violence : ce cocktail corsé alimente la fascination pour la Rome antique. Eclairage sur le phénomène au moment où renaît, à Bruxelles, la maquette monumentale de la Ville éternelle sous l’empire, mise en valeur par les nouvelles technologies.

O tempora, o mores ! ( » Quelle époque, quelles moeurs ! « , en français courant :  » Tout fout le camp ! « ). De toutes les disciplines au programme de l’enseignement secondaire en Belgique francophone, le latin est celle qui a perdu le plus d’heures en un demi-siècle. Avec le Pacte d’excellence, le latin passe dans le tronc commun, mais le désintérêt pour son étude se confirme. Cet apprentissage est désormais considéré comme une activité annexe. Les professeurs de latin doivent ferrailler comme des gladiateurs pour justifier le maintien de l’existence de leur cours, dont l’intérêt formatif, culturel et linguistique n’est pourtant plus à démontrer.

Si le latin n’a plus la cote, l’attrait pour la civilisation romaine, lui, atteint des sommets. En témoigne la vogue persistante du péplum, genre relancé dans les années 2000 par Gladiator, le film culte de Ridley Scott. L’onéreuse série télé Rome, imprégnée de sexe et de violence, a connu un succès international (sauf en Italie, où Rai 2 a renoncé à diffuser la saison 2). L’univers des jeux vidéo n’est pas en reste ( Rome : Total War, Age of Empires, Shadow of Rome…). Dans la  » vraie vie « , l’affluence sur les sites de vestiges monumentaux romains, des ruines de Pompéi aux temples de Baalbek au Liban, de la Maison carrée de Nîmes aux mosaïques de la Villa du Casale en Sicile, confirme l’engouement du public pour notre passé romain.

Un vrai fan club

Les aventures d’ Astérix et celles d’ Alix, dont l’action se déroule à l’époque de Jules César, se sont poursuivies après la disparition de leurs créateurs et restent des valeurs sûres de la BD classique. Véritable péplum du 9e art franco-belge, la série Murena (publiée depuis 1997), qui a pour cadre les règnes des empereurs Claude et Néron et mêle pouvoir, sexe et complots, a relancé l’intérêt des maisons d’édition pour la Rome antique. Dans un tout autre registre, L’Amérique nouvelle Rome (Buchet Chastel, 2005), brillant essai de l’historien berlinois Peter Bender, compare l’ascension géopolitique des deux grandes puissances devenues hégémoniques. Une autre étude comparative, Le Déclin (éditions du Toucan, 2013), de l’historien belge  » décliniste  » David Engels, passe en revue les analogies entre la crise identitaire de l’Union européenne et les désordres de la République romaine tardive, de la question de la citoyenneté à celle des flux migratoires. Dans cette thèse, il prédit que l’Europe communautaire finira par devenir un empire centralisé et technocratique, avec moins de démocratie, plus de stabilité et un retour aux valeurs traditionnelles, à l’instar du principat d’Auguste, premier empereur romain après la chute d’une République cosmopolite en déclin.

La Rome antique est à la fois un monde cruel, et une civilisation qui ressemble à la nôtre.

Pas surprenant que des dirigeants politiques et militaires cultivent, aujourd’hui comme hier (Napoléon, le général Patton…), un amour immodéré de la Rome antique, de ses symboles et institutions. Les dictateurs impérialistes et les mystiques de la guerre ne sont heureusement pas les seuls à faire partie du club des fans du monde romain. En France, l’ancien ministre de l’Education nationale Xavier Darcos, spécialiste de Tacite et d’Ovide, a publié un Dictionnaire amoureux de la Rome antique (Plon, 2011). Il avoue, dans sa conclusion proustienne, goûter à cette  » immense madeleine dodue et mordorée  » que représente Rome. En Belgique, Bart De Wever, auteur d’une contribution sur Cicéron dans l’ouvrage collectif Oud maar niet out (Peeters, 2012), étale volontiers ses connaissances sur Rome et aime faire des comparaisons – parfois contestées par les historiens -entre l’époque romaine et l’actualité. Dans une interview accordée en mars 2018 au magazine Wilfried, le président de la N-VA s’appuie sur le processus romain d’assimilation progressive des étrangers pour critiquer le système belge d’acquisition de la nationalité. Selon l’historien de formation, l’empire d’Auguste était plus unifié que l’Union européenne. En octobre 2010, De Wever, alors  » clarificateur  » royal, avait lancé, après le rejet francophone de sa proposition de réforme de l’Etat,  » Acta est fabula  » ( » la pièce est jouée « ), mot emprunté à Auguste, son empereur préféré.

Des jeux vidéo aux jeux de société

 » La popularité actuelle de la Rome antique n’a rien à envier à celle de l’Egypte pharaonique, estime Cécile Evers, conservatrice des Antiquités romaines aux Musées royaux d’art et d’histoire. Même si la plupart des jeunes d’aujourd’hui n’étudient plus le latin, ce qui est dommage quand on est francophone, ils ont une prédilection pour les jeux de société et les jeux vidéo dont le cadre est l’antiquité romaine.  » L’historienne et archéologue poursuit :  » La Rome antique est à la fois un monde cruel, guerrier, dictatorial, et une civilisation qui ressemble par bien des aspects à la nôtre. Les Romains sortaient avec leurs amis, se rendaient au spectacle, assistaient à des compétitions sportives. Des ambitieux de milieux modestes se lançaient dans des entreprises politiques ou commerciales et certains devenaient richissimes. Si les révoltes d’esclaves ont été si peu nombreuses dans la longue histoire romaine, c’est parce que beaucoup parmi ces défavorisés avaient l’espoir de s’en sortir un jour. Les conseillers de l’empereur étaient souvent des affranchis. Un fils d’esclave pouvait devenir citoyen de plein droit.  »

Une Rome multiculturelle

La responsable des Antiquités romaines au Musée Art & Histoire décrit la Rome antique comme une ville au moins aussi multiculturelle que Bruxelles aujourd’hui :  » Quand, aux iie et ier siècles avant notre ère, Rome a conquis le bassin méditerranéen et le Proche-Orient, des centaines de milliers de prisonniers de guerre se sont retrouvés en Italie, où eux et leurs descendants devenus libres se sont complètement assimilés. Une étude de l’ADN des citoyens romains d’il y a deux mille ans révèle la faible proportion parmi eux de Romains de souche. Rome comptait alors environ un million d’habitants, pour la plupart originaires des Balkans, de Chypre, d’Egypte, de la Turquie et de la Syie actuelles… Cette diversité ethnique de la Rome impériale est une richesse que nous avons voulu mettre en évidence dans la nouvelle présentation digitale qui accompagne notre maquette rénovée de la Ville éternelle (lire l’encadré) , présentée ce 6 février au public.  »

« La maquette de Rome, elle est où ? »

Pourquoi la Rome antique fascine
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Les visiteurs du Musée Art & Histoire  » ont toujours été nombreux à nous poser cette question « , confie un gardien de l’institution fédérale. Depuis son installation à Bruxelles au milieu du xxe siècle, cette représentation en plâtre de la Ville éternelle à la fin du ive siècle est le fleuron imposant (11 mètres sur 6) du musée. Elle avait toutefois grand besoin d’une rénovation en profondeur et d’un dispositif moderne de mise en valeur. C’est chose faite : à partir de ce 6 février, le grand public peut redécouvrir le plan en relief au 1/400e nettoyé, restauré, numérisé et accompagné de technologies modernes qui permettent de vivre une expérience interactive (1).  » Cette modernisation est le fruit d’une collaboration avec la société irlandaise Nóho, explique Cécile Evers, conservatrice des Antiquités romaines du musée. La restauration et les nouvelles installations ont coûté près de 300 000 euros, dont plus de 200 000 fournis par le Fonds Alexis Liénard géré par la Fondation Roi Baudouin. Un bonus est réservé aux groupes : grâce à un casque de réalité virtuelle, ils peuvent déambuler dans les rues de la Rome antique comme s’ils y étaient.  »

A l’étage supérieur, des vidéos initient les visiteurs à la vie quotidienne dans la Rome antique. Des écrans tactiles fournissent des informations sur dix bâtiments emblématiques de Rome : le Colisée, le Circus Maximus, le Forum, le Panthéon… On y fait aussi la connaissance de Paul Bigot, l’architecte normand du début du xxe siècle qui a consacré la majeure partie de sa vie à cette reconstitution, dont il avait réalisé quatre exemplaires. Ne sont plus conservés aujourd’hui que son modèle de travail, à l’université de Caen, et l’exemplaire de Bruxelles, le seul à avoir été coloré.

 » L’étage inférieur, auquel le public n’avait plus accès depuis une vingtaine d’années, permet de voir les détails de la maquette et de se rendre compte que la ville est bâtie sur des collines « , remarque Cécile Evers.  » Les jeunes qui en savent souvent beaucoup sur les gladiateurs repèrent vite le Colisée « , constate un guide. Grâce à des écrans, les visiteurs font la connaissance de quatre habitants de la Ville, qui racontent, en latin (sous-titré), leur vie de tous les jours : un sénateur romain de famille aristocratique, une femme venue d’Italie centrale qui rêve de devenir gladiateur, une esclave affranchie originaire de la côte du Levant qui veut ouvrir son propre commerce, et un jeune d’Afrique du Nord monté à Rome pour y étudier l’architecture.  » Leurs témoignages illustrent le caractère multiculturel de la ville et les possibilités de gravir les échelons de l’échelle sociale « , commente Cécile Evers.

(1) Au Musée Art & Histoire : parc du Cinquantenaire, à Bruxelles (fermé le lundi).

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