Représentation du début du XVIIe siècle d'un sultan ottoman à cheval, peut-être Ahmed Ier. © BELGA IMAGES

L’histoire des sept sultans

C’est l’histoire de sept sultans qui ont régné il y a bien longtemps. Mehmed II (1430 – 1481) a accordé à ses successeurs le droit de tuer tous leurs frères pour éviter une guerre civile. Le sultan Mehmed III (période de règne 1595 – 1603) veut être assuré de son trône et met à mort ses 19 (demi-) frères. Lorsqu’il meurt à son tour, c’est son fils aîné, Ahmed Ier (1603 – 1617) qui prend sa place. Le nouveau sultan n’assassine pas son jeune frère Moustapha Ier (1617 – 1618 et 1622 – 1623), mais enferme le garçon de 11 ans dans la « Cage », un pavillon isolé et à l’entrée verrouillée. La solitude rend le jeune Moustapha fou. Quand Ahmed meurt à 27 ans du typhus, une rivalité s’engage entre ses principales concubines, Mahfiruz, mère d’Osman II (1604 – 1622), et Kösem, mère de Mourad IV (1623 – 1640), de Bayezid et d’Ibrahim le Fou (1640 – 1648). Kösem place Moustapha sur le trône, car elle craint qu’Osman, le fils aîné de Mahfiruz, n’assassine ses fils. C’est ainsi que Moustapha est libéré après quatorze ans de confinement. Mais il apparaît très tôt que le nouveau sultan ne s’en sortira pas, et, après trois mois, il est déposé et remis dans la Cage.

SULTAN EN CAGE

Osman, fils aîné de Ahmed Ier, alors âgé de 13 ans, succède à Moustapha. Le garçon est fou de tir à l’arc, surtout sur des cibles vivantes comme des prisonniers de guerre ou ses propres pages. Avant de partir en campagne, il prend encore la peine d’ordonner l’exécution de son frère, Mehmed, en janvier 1621. Malgré son jeune âge, il parvient à agrandir considérablement son empire et tente de limiter le pouvoir des janissaires, corps d’élite de l’armée ottomane. Cela lui vaut en 1622 d’être victime d’un coup d’État. Avant d’être maîtrisé, il tue encore six assaillants. Le lendemain, il meurt après avoir eu les testicules écrasés. Sa mère, Mahfiruz, reçoit ses oreilles coupées.

Portrait de Mourad IV.
Portrait de Mourad IV.© GETTYIMAGES

Moustapha, à nouveau appelé à régner, n’est manifestement pas davantage prêt que la première fois. Il fait poursuivre tous ceux qui sont liés au complot ourdi contre son cousin, avant d’oublier peu après qu’Osman est mort et de parcourir tout le palais, frappant à toutes les portes, à sa recherche. Les grands vizirs se succèdent à un rythme effréné et c’est un muletier qui devient muezzin de Sainte-Sophie. Dans tout l’empire, les gouverneurs refusent désormais de payer l’impôt ou d’obéir aux ordres du sultan. Ne percevant plus leur solde, les janissaires commencent à se rebeller. Lorsque Moustapha ordonne l’exécution des autres fils d’Ahmed, en 1623, le corps des eunuques intervient. Le grand mufti décrète que, dorénavant, « plus aucune personne souffrant de désordres mentaux ne pourra assumer le sultanat « . Moustapha retourne à nouveau dans sa cage jusqu’à sa mort, à 47 ans.

LE SOUVERAIN CRUEL

Mourad IV (1623-1640) a 5 ans quand son père, le sultan Ahmed Ier, meurt. Six ans plus tard, il monte lui-même sur le trône. Vu son jeune âge, c’est sa mère, Kösem (1591-1639), qui règne durant les premières années. Durant sa régence, l’empire est victime d’invasions et de révoltes. En novembre 1631, les janissaires se soulèvent à nouveau. Des émeutes éclatent et des mutins envahissent le palais, assassinent le grand vizir, le grand mufti, le page préféré de Mourad et une série de hauts fonctionnaires. Le jeune Mourad est contraint de désigner l’homme de leur choix comme nouveau grand vizir. Dans les six mois, il est toutefois remis à la tête du gouvernement et fait décapiter le grand vizir. Sa vengeance contre l’armée, qui a tenté de lui imposer sa volonté, est cinglante. Il fait étrangler plus de 500 de ses officiers. Ses espions sillonnent Istanbul, à la recherche de traîtres. Son frère, le populaire Bayezid, est également mis à mort après qu’il l’eut battu lors d’une joute. Mourad, qui parie volontiers sur sa force physique, n’a pas digéré la défaite. Un autre frère est assassiné en 1638. Sa mère Kösem le retient de faire de même avec son seul frère survivant, Ibrahim (1640 – 1648). Son argument? « Il est trop fou pour constituer une menace. »

La relation du sultan avec les femmes est, elle aussi, assez problématique. La sultane Kösem connaît les dangers et les risques de trahison des harems : elle éloigne donc Mourad des filles et l’entoure de beaux garçons, afin de le convertir à l’homosexualité. Mourad ne sait plus distinguer son désir et sa haine pour les femmes. Quand il en rencontre un groupe qui chante dans ses vastes jardins, il les fait toutes noyer sous prétexte qu’elles dérangent sa quiétude. Un jour où un bateau avec des femmes à bord passe à proximité des murs du palais, il fait ouvrir le feu pour couler l’embarcation avec toutes ses occupantes.

UN ROI ALCOOLIQUE

En dépit de sa soif de sang et de sa cruauté, Mourad IV restera dans les annales comme l’un des meilleurs sultans de Turquie. Il rétablit le pouvoir monarchique, se révèle un bon chef militaire et acquiert le respect de ses hommes. Cela ne l’empêche pas de mettre à mort 30 000 soldats et autant de civils après la victoire de Bagdad (1638). Selon certains récits, sa cruauté va plus loin encore. Il lui arrive de se travestir et de se promener avec son bourreau dans les rues de la capitale. S’il rencontre un semeur de troubles, il demande au bourreau de choisir lui-même l’instrument le plus adapté à son exécution. Des corps se balancent à chaque coin de rue. Sa cruauté devient légendaire. Le plus petit soupçon de trahison suffit. Il fait, par exemple, décapiter un musicien parce qu’il jouait un air persan. En 1633, les cafés, les commerces de vin et les tavernes sont fermés parce ce sont des lieux de rencontre où les gens sont susceptibles d’émettre des critiques concernant le sultan. Mourad interdit l’alcool, le tabac et le café dans tout l’empire sous peine de mort. Lui-même continue à fumer et à boire. Dans les dernières années de sa vie, il sombre même dans l’alcoolisme. Il se change alors en fou criminel. La nuit, il se glisse hors de son palais pieds nus et sillonne les rues de la ville pour tuer tous ceux qu’il croise. Il aime par-dessus tout décapiter les hommes qui ont le cou épais. Quand il sort à cheval, il exerce ses talents d’archer en visant les femmes qui passent. L’ironie du sort veut qu’il meure lui-même d’une cirrhose à 27 ans, en 1460. Tous ses fils étant morts en bas âge, c’est son jeune frère Ibrahim qui devient le nouveau sultan.

Portrait gravé d'Ibrahim Ier (1615 - 1648), sultan de l'Empire ottoman, par Lemaitre, Lalaisse et Chaillot, tiré de Turquie. L'Univers pittoresque, Europe de Joseph Marie Jouannin (1783 - 1844) et Jules Van Gaver. L'exotisme turc est très en vogue dans la France de la fin XVIIIe et du début XIXe siècle.
Portrait gravé d’Ibrahim Ier (1615 – 1648), sultan de l’Empire ottoman, par Lemaitre, Lalaisse et Chaillot, tiré de Turquie. L’Univers pittoresque, Europe de Joseph Marie Jouannin (1783 – 1844) et Jules Van Gaver. L’exotisme turc est très en vogue dans la France de la fin XVIIIe et du début XIXe siècle.© BELGA IMAGES

LE MORCEAU DE SUCRE

Né en 1616, Ibrahim est le fils du sultan Ahmed Ier. Tout comme son oncle Moustapha Ier, il est mis à l’isolement (1640 – 1648). Il vit dans l’angoisse perpétuelle d’être exécuté à l’instar de ses frères. En 1640, Mourad ordonne sur son lit de mort l’exécution de son dernier frère, mais leur mère Kösem parvient à déjouer son projet. Une fois libéré, Ibrahim rattrape les années perdues en s’offrant des beuveries et une interminable série de jeunes vierges. La sultane se charge de l’approvisionner, ce qui lui permet d’exercer entre-temps le pouvoir. Mais Ibrahim veut surtout les femmes qu’il ne peut avoir. Lorsqu’il rencontre la très belle fille du grand mufti, le plus haut dignitaire religieux du pays, il demande sa main. Le mufti, qui a bien entendu eu vent de ses comportements pervers, refuse. Furieux, Ibrahim enlève la jeune fille, la viole et la renvoie chez son père. Son désir est pathologique. La légende raconte qu’en voyant les organes sexuels d’une vache abattue, il en coule la forme dans l’or. Il envoie ensuite le modèle dans tout le pays afin de trouver une femme qui soit faite de la même façon, afin de satisfaire à ses désirs.

Il finit par trouver en Arménie une femme de 150 kilos, qui correspond à ses desiderata. Sechir Para, alias  » Morceau de sucre « , est rapidement intégrée à son harem. Mieux que cela, Ibrahim en tombe fou amoureux. Un jour, elle lui raconte qu’une des filles de son harem a été  » souillée  » par un autre homme, mais refuse de donner son nom. Ibrahim est pris de rage. Après avoir longtemps torturé, en vain, le chef des eunuques pour connaître le nom de la traîtresse, il ne tergiverse nullement et fait noyer les 280 femmes de son harem dans le Bosphore, lestées par des sacs remplis de pierres. Seules Sechir Para, Turhan Hadice, la mère de son fils aîné, et quelques autres, sont épargnées. Pendant ce temps, l’empire et l’administration des provinces connaissent des problèmes. Les hautes fonctions sont vendues au plus offrant et les impôts sont sans cesse augmentés afin de financer la soif de luxe insatiable du sultan. Ibrahim finit par perdre tout crédit. De plus, la naissance de ses fils le rend remplaçable. En 1648, les janissaires se révoltent parce qu’ils ne sont pas ou insuffisamment payés. Ils découpent le corps du grand vizir et vendent les morceaux en rue. Le grand mufti se venge du viol de sa fille et commet un coup d’État. Ibrahim est à nouveau enfermé dans la Cage. Une semaine plus tard, il est étranglé et enterré près de son oncle fou, Moustapha, dans la mosquée Sainte-Sophie.

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