Décédé un mois avant la sortie du film, Ian Fleming n'a pas pu apprécier le succès de Goldfinger en 1964. © © Rex Features

James Bond, une odyssée cinématographique qui a bien failli ne jamais voir le jour

Entre James Bond et le septième art, c’est une longue histoire aussi tumultueuse que les aventures du célèbre agent secret. Retour sur une odyssée cinématographique qui a bien failli ne jamais voir le jour.

Cette analyse de Frédéric Albert Levy du hors-série que Le Vif consacre à l’agent 007:James Bond, les espions sont éternels. Envie d’en lire plus? Il est en vente actuellement en librairie ou via notre shop.

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« C’est vous, alors, qui avez été choisi pour saloper mon livre ?  » Entrée en matière pour le moins cavalière, mais, surtout, surprenante. Cela fait près de dix ans que Ian Fleming se démène comme un beau diable pour que ses romans soient portés à l’écran. Ne devrait-il pas se réjouir d’être enfin si près du but, d’autant plus que Terence Young, le réalisateur chargé de  » saloper  » son Dr. No, vient d’obtenir un prix à la Mostra de Venise? Mais, que voulez-vous? Fleming avait dès le départ des rêves de grandeur.

Pour incarner Bond, il eût aimé Cary Grant ou David Niven. Et derrière la caméra, Hitchcock, bien sûr ! Alors, ce Sean Connery et ce Terence Young qu’on lui imposait risquaient de lui faire perdre encore plus ses illusions. Encore plus ? Casino Royale, la première aventure de Bond, publiée en 1953, avait dès l’année suivante fait l’objet d’un téléfilm diffusé à la télévision américaine. Mais c’était un épisode parmi tant d’autres de la série Climax Mystery Theater, aussitôt oublié. En outre, Bond avait été américanisé pour la circonstance et rebaptisé Jimmy Bond… Shocking.

Le goût pour l’argent

Fleming s’intéressait au cinéma au moins pour deux raisons. La première, c’était son snobisme: recherchant la compagnie de célébrités, il comptait parmi ses relations des gens comme le producteur-réalisateur Alexander Korda ou le comédien David Niven. La seconde, c’était son goût du luxe et de l’argent: Bond serait une affaire beaucoup plus rentable si aux droits d’auteur traditionnels venaient s’ajouter des droits d’adaptation cinématographique. Dr. No, à l’origine, n’avait d’ailleurs rien à voir avec Bond. C’était un scénario commandé à Fleming par un producteur pour un épisode d’une série télévisée qui devait se nommer Commander Jamaica, mais qui ne vit jamais le jour. Fleming décida de recycler l’affaire sous la forme d’un roman ayant Bond pour héros, et ce roman, publié en 1958, devint finalement un film quatre ans plus tard.

Détour analogue pour Opération Tonnerre, scénario écrit par Fleming avec des amis qui l’avaient persuadé qu’il séduirait plus aisément un producteur en proposant une aventure de Bond dans un format déjà cinématographique. Cette stratégie n’ayant rien donné, Fleming procéda là aussi à une opération recyclage, et c’est le roman qu’il avait tiré du scénario original qui, en 1965, engendra finalement un film*. Entre-temps, bien sûr, la situation avait changé, les producteurs Harry Saltzman et Albert Broccoli ayant senti que Bond pourrait être une poule aux oeufs d’or s’ils avaient d’emblée en tête – chose assez neuve à l’époque – une série. Le succès de l’entreprise amena Fleming à vite oublier ses réticences initiales. Il fit de Bond un Écossais en hommage à Sean Connery. Il fit aussi référence à Ursula Andress dans un de ses romans. Et il sut gré au scénariste Richard Maibaum d’avoir introduit dans les films l’humour qui manquait à sa prose. Mais Fleming n’eut guère le temps de savourer ce succès auquel il avait si longtemps aspiré. Comme Moïse, il ne fit qu’apercevoir la Terre promise. Il meurt le 12 août 1964, un mois avant la sortie de Goldfinger, autrement dit juste avant l’explosion de la Bondmania.

James Bond, une odyssée cinématographique qui a bien failli ne jamais voir le jour
© D.R.

Que penserait-il des films que son oeuvre a inspirés ?

La question est toujours celle de l’esprit et de la lettre. On laissera les exégètes s’interroger sur le fait que Jill Masterton, dans le roman Goldfinger, devient Masterson dans le film et sur d’autres détails aussi troublants. Mais le remplacement de la scie circulaire qui vient chatouiller l’entrejambe de Bond par un rayon laser cadre parfaitement avec le goût de Fleming pour les innovations techniques. De la même façon, le remplacement, dans le Casino Royale avec Daniel Craig, de la partie de baccara par une partie de poker n’est rien d’autre qu’une mise en conformité avec l’esprit du temps.

Certains changements tiennent au fait que la chronologie des films, pour des raisons logistiques de production, ne correspond pas à celle de la parution des livres et au fait que les films ont très vite été pris dans une spirale d’inflation. On ne vit que deux fois, le roman, centré autour de la dépression suicidaire de Bond après l’assassinat de son épouse par Blofeld dans Au service secret de Sa Majesté, n’est pas loin d’être intimiste. Rien de tout cela au cinéma, puisque l’ordre des deux épisodes a été inversé. On ne vit que deux fois, succédant à l’aquatique Opération Tonnerre et se devant d’aller plus loin, se fait dans une certaine (dé)mesure space opera.

Reste l’idéologie

Dès lors – et exception faite, quarante ans plus tard, du reboot que constitue Casino Royale -, la fidélité à Fleming devient toute relative, et plus relative encore quand les sources romanesques sont taries. Quantum of Solace se contente d’emprunter son titre à une nouvelle de quelques pages qui n’est que le compte rendu d’une conversation au coin du feu…

Reste  » l’idéologie « . Dès Bons baisers de Russie, deuxième film de la série, les Soviétiques au cinéma cessent d’être les vrais méchants. En 60 ans, les films ont dû tenir compte d’une évolution que les romans, écrits sur une période de moins de quinze ans, ne faisaient au mieux qu’entrevoir. Fleming n’aurait jamais imaginé que Bond pût trouver en une femme, et quelle que soit la couleur de sa peau,  » un adversaire à sa taille  » (accroche de Dangereusement vôtre) ou qu’un Coréen, avec le seul secours de la chirurgie esthétique, puisse devenir un Anglais plus vrai que nature (Meurs un autre jour). Il n’aurait pas non plus deviné qu’il deviendrait lui-même le héros très bondien (incarné dans un cas par Jason, fils de Sean, Connery !) de quatre biopics télévisés** ! La réalité a fini par rejoindre ses rêves.

* …et, préalablement, un procès interminable, Fleming s’étant présenté comme le seul et unique auteur du roman, en  » oubliant  » de mentionner que l’intrigue devait beaucoup à l’imagination de ses amis.

** Goldeneye, The Secret Life of Ian Fleming (1989) ; Spymaker (1990) ; Ian Fleming : Bondmaker (2005) ; Fleming, The Man Who Would Be Bond (2014).

Frédéric Albert Levy

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