L'arrestation du gynécologue namurois, Willy Peers, provoquera une libération de la parole sur l'avortement. © BELGAIMAGE

18 janvier 1973 : L’affaire Peers lance le débat sur l’avortement

C’est un homme qui a fière allure. Langage posé et mesuré, cheveux plaqués en arrière, regard obstiné, le docteur Peers a de la prestance. Il est aussi chaleureux, pétri d’idéaux. Et dangereusement persévérant.

Il sait que son combat peut le conduire à sa perte. Il le mènera quand même. Le 18 janvier 1973, il est arrêté. Défaite ? Que du contraire ! En acceptant la prison, Willy Peers brise un tabou. Et pose un acte décisif dans la perspective de la reconnaissance de l’avortement en Belgique.

Ce gynécologue namurois est le pionnier de l’accouchement sans douleur. Dès les années 1950, il parcourt les villes pour disserter sur le sujet. L’homme veut permettre à la femme de donner la vie dans les meilleures conditions. C’est pour lui une question de dignité. A l’ombre de sa maternité, il encourage abondamment les femmes à utiliser les moyens de contraception… C’est peu dire que l’Ordre des médecins voit d’un mauvais oeil les activités du docteur. Dès 1955, il le sanctionne une première fois. En 1965, Peers est carrément suspendu de ses fonctions pour une durée de six mois. On lui reproche notamment de stériliser abusivement ses patientes. Il n’est réhabilité dans ses fonctions qu’après avoir porté l’affaire devant le Conseil d’Etat…

On en arrive à janvier 1973. Après une dénonciation anonyme, la justice s’attaque à lui, l’accusant d’avoir permis à une jeune handicapée mentale d’avorter. Inculpé sur la base d’une loi datant de 1867, Peers est conduit en prison. Mais dehors, ça gronde. L’arrestation du gynécologue provoque de vives réactions au sein de l’opinion publique. Une pétition réclamant sa libération recueille 250 000 signatures en deux semaines. Cinq ans après Mai 68, des étudiants en médecine se lancent même dans une grève de la faim… La réaction politique est plus timide : dans certains cénacles, on commence à envisager l’avortement comme un ultime recours. De là à modifier la loi…

Après trente-quatre jours, Peers est libéré. Dans la foulée, des contacts sont établis entre le ministre de la Justice et les procureurs généraux du royaume : une trêve judiciaire est proposée. Le deal ? Lorsque des avortements sont pratiqués sur contrôle médical, sans esprit de lucre, et sans publicité, les parquets n’entameront plus de poursuites. En attendant, la parole est libérée. En 1975, un ouvrage publie des statistiques concernant les interruptions de grossesse en même temps que le nom de cliniques pratiquant l’avortement. L’année suivante, le docteur Hubinont, médiatique chef de service à l’hôpital Saint-Pierre et professeur à l’ULB, déclare que 1 822 avortements ont été effectués par ses équipes au cours des trois dernières années.

En 1978, la trêve est rompue. Peers, Hubinont, divers juristes, militants et patients sont poursuivis. Pour autant, aucune sanction ne tombe. Trop touchy. Mais intenable. Comment justifier le maintien d’une loi qui n’est plus appliquée ? Il faudra encore du temps pour mettre un terme à cette situation ubuesque. Ce n’est qu’en 1990 que la loi Lallemand-Michielsen dépénalisera partiellement l’avortement.

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