Siège du journal Nice Matin. © ISOPIX

Nice-Matin, L’Avenir: le même flou

Sommé de se désengager des journaux du sud de la France, Stéphane Moreau a décidé de s’exécuter à sa manière. Malgré l’intérêt d’un groupe de presse français pour les parts de Nethys dans La Provence et de Nice-Matin, le patron liégeois ne réagit pas, mais il va rencontrer le maire de Nice.

Selon les bruits qui courent, Stéphane Moreau aurait un rendez-vous la semaine prochaine à Nice, dans le bureau du maire de la Cité des Anges : Christian Estrosi (Les Républicains). De quoi discuteront-ils ? Sans doute du groupe de presse Nice-Matin dont Nethys détient 34 % des parts, le reste appartenant aux salariés-coopérateurs. Le pacte d’actionnaires enregistré au tribunal de commerce de Nice prévoit que le groupe liégeois devienne majoritaire (51%) dans Nice-Matin d’ici le 31 décembre 2018. Or le conseil d’administration de Nethys, sous la pression de ses actionnaires publics liégeois et du gouvernement wallon, a voté le principe d’un retrait de Nethys de la presse du Sud. Le tout est de savoir quand et à quelles conditions. Et surtout pour vendre à qui. Où l’on revoit poindre le bout du nez de Bernard Tapie, actionnaire principal du groupe La Provence, qui avait déjà tenté par le passé de s’emparer de Nice-Matin.

Le groupe liégeois possède donc 11 % dans La Provence et 34 % dans Nice-Matin. Jusqu’à présent, Bernard Tapie freinait des quatre fers sur la revente des parts de Nethys, jugeant insuffisante la valorisation proposée pour La Provence. L’été tropézien a produit ses heureux effets sur la nouvelle bande d’amis formée de Bernard Tapie, Lucien D’Onofrio – irremplaçable facilitateur-, Stéphane Moreau et François Fornieri, ceo de l’entreprise pharmaceutique Mithra. Comme Le Vif/L’Express l’a déjà raconté, François Fornieri a été installé dans un fauteuil d’administrateur de La Provence en remplacement de Marc Beyens, ex-bras droit de Stéphane Moreau, qui renâclait à autoriser Bernard Tapie à prélever 1,5 million d’euros provenant de Nethys sur le compte courant de l’entreprise.

A Nice-Matin, Nethys a toujours été pareillement généreux, répondant sans sourciller aux besoins de trésorerie du journal niçois. Il y a investi plus de 14 millions d’euros en deux ans. Mais, en réalité, Nethys a montré peu d’intérêt pour la gestion du journal, sauf lors de sa tentative avortée d’y parachuter Michel Marteau, pape de la presse populaire en Belgique francophone. Les quatre places de Nethys au conseil d’administration de Nice-Matin ne sont occupées que par Stéphane Moreau, souvent absent, et Marc Beyens, responsable du développement international de Nethys (L’Avenir Développement). Comme L’Avenir, laissé en jachère pendant quatre ans par son propriétaire, le quotidien azuréen est en grande difficulté. Sans apport urgent d’argent frais, l’année 2019 pourrait être délicate dès les premiers mois.

Or, selon nos informations, un groupe de presse français a déjà manifesté son intérêt pour les parts que le groupe liégeois détient dans Nice-Matin et La Provence. Il serait prêt à les racheter au prix d’achat majoré de l’argent investi en cours de route. Une vingtaine de millions d’euros en ce qui concerne Nice-Matin. Une aubaine pour Nethys ? Comme IPM piétinant devant le groupe L’Avenir, l’acheteur français est dédaigné.

Visiblement, Stéphane Moreau a un autre projet en tête. Lorsqu’il a reçu l’émissaire de ce mystérieux groupe de presse, un banquier d’affaires, le Liégeois s’est montré à la limite de la courtoisie, quittant prématurément la réunion, ce qui a contraint le président du conseil d’administration de Nethys, Pierre Meyers, d’une autre génération, à présenter des excuses. Cela se passait le 7 novembre dernier à Liège. Le lendemain, un conseil d’administration extraordinaire se prononçait à l’unanimité pour céder les parts de Nethys dans les journaux du Sud de la France « le plus rapidement possible ». Le procès-verbal de cette réunion non exécutive a été approuvé par le conseil d’administration ordinaire du 20 novembre, sans rouvrir le débat sur la cession des titres du Sud.

Depuis, rien. L’offre française est tombée dans une trappe. Entre temps, dans les couloirs de La Provence, Bernard Tapie se serait vanté d’acheter Nice-Matin. Averti de ces rumeurs, le Syndicat national des journalistes (SNJ) de Nice-Matin a réagi par communiqué, le 30 novembre. « On est donc bien loin de la montée au capital pourtant prévue dans le pacte d’actionnaires qui nous lie à Nethys, s’étonnent les journalistes niçois. Ce même pacte prévoit que notre partenaire belge nous informe d’un éventuel désengagement de sa part. Le report du conseil d’administration et de l’assemblée générale des actionnaires, qui devaient se tenir respectivement le 29 novembre et le 14 décembre, sont de nature à jeter le trouble. »

Les journalistes de Nice-Matin subodorent une manigance. « Un rapprochement paraît s’opérer entre Stéphane Moreau, l’administrateur de Nethys en charge de la presse du Sud, empêtré dans le scandale Publifin en Belgique, Christian Estrosi, le maire de Nice et… Bernard Tapie ! Le patron de La Provence serait-il en train de mettre au point un de ces montages financiers dont lui seul a le secret pour tenter de se soustraire une nouvelle fois au fisc et à la justice ? Sur le dos de Nice-Matin et de ses salariés ? »

Dans un autre style, le front commun CGT-CGC-FO de Nice-Matin s’adresse à Bernard Tapie et « à son copain Moreau de Nethys » dans un communiqué du 29 novembre rendu public le lendemain. « Bernard Tapie revient ! Qu’il nous entende bien avant de tenter quoi que ce soit ! Comme en 2014, quand il espérait licencier 300 personnes pour s’offrir non pas un journal mais une emprise foncière, nous sommes toujours aussi déterminés à nous mettre en travers de son chemin. Non Tapie ne passera pas par nous. Même si avec son habileté habituelle, Tapie se cache derrière le faux nez de Stéphane Moreau, le patron de Nethys et de ses acolytes belges. S’il croit que l’avenir de notre entreprise se joue davantage dans le bureau du maire de Nice que dans la rédaction d’un journal au pied des rotatives, il se trompe. Il va l’apprendre à ses dépens.Tapie ne va pas nous racheter avec la complicité de Nethys et de Moreau ! Nous l’en empêcherons par tous les moyens. Ce n’est pas une promesse, c’est un engagement. »

Pour rappel, il y a quatre ans, le personnel a sauvé 800 emplois en se transformant en coopérative. Il a déjà fait la démonstration de sa combativité, mais les temps sont durs. Il soupçonne que la visite de Stéphane Moreau au maire de Nice soit dictée par son intérêt pour le bâtiment de Nice-Matin. Les salariés l’ont acheté un million d’euros en 2014. Il en vaudrait aujourd’hui 40 millions. Un valorisation qui fait saliver, mais qui, pour Nethys, couvrirait à peine les sommes déjà investies et encore à investir dans Nice-Matin. Cette opération de spéculation immobilière ne pourrait pas intervenir avant un minimum de vingt-quatre mois. Or, les besoins financiers du journal sont pressants.

Le SNJ de Nice-Matin s’interroge : « Christian Estrosi, qui a entre les mains un peu d’avenir du groupe Nice-Matin en maîtrisant la constructibilité du foncier de la plaine du Var, veut-il s’assurer les grâces de Nice-Matin en pleine guerre fratricide (NDLR : entre Christian Estrosi, l’actuel maire de Nice et son ancien ami Eric Ciotti, qui convoite désormais sa place) et dans la perspective d’échéances électorales délicates ? ». « Le SNJ est plus que jamais déterminé à faire la lumière sur toutes les tractations qui hypothèquent l’avenir de notre entreprise, continuent-ils. Nous ne laisserons personne décider à notre place de notre avenir, et récupérer au passage les mètres carrés constructibles sur lesquels Nice-Matin veut maintenir une activité de presse libre et indépendante. Ce journal n’est pas un terrain vague que l’on peut brader au premier venu, sur fond d’intérêts électoraux. Nous engageons le directoire, le conseil de surveillance et le conseil d’administration à tout mettre en oeuvre afin d’apporter, dans les meilleurs délais, les éclaircissements nécessaires. Nous exigeons que Nethys sorte enfin de ce silence assourdissant qui plonge les salariés de Nice-Matin dans le désarroi. »

La hache de guerre est déterrée à Nice. A Marseille également. La direction de La Provence a voulu licencier le responsable du Syndicat national des Journalistes pour un motif jugé futile par le personnel. Après plusieurs assemblées générales, un jour de grève et des motions, la direction a retiré sa décision.

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