Marine Le Pen fait sa rentrée dans l'ancienne cité minière de Hénin-Beaumont en compagnie du maire, Steeve Briois. © F. LO PRESTI/AFP

Marine Le Pen et la stratégie de l’inondation

Le Vif

Gagner les élections par contagion à partir d’une ville, comme à Hénin-Beaumont : l’ambition du Rassemblement national va se heurter à quelques réalités.

Comme tous les ans, en septembre, les familles et les associations d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais, nord de la France) se sont installées pour la traditionnelle braderie. Comme tous les ans, Marine Le Pen fait sa rentrée, visage reposé et sourire aux lèvres. La présidente du Rassemblement national a ses habitudes dans l’ancienne cité minière. Derrière elle, le fidèle Steeve Briois, trente ans de carte au FN devenu RN, ralentit la marche du cortège à force de claquer des bises à tout-va.  » C’est la star, monsieur le maire, tellement agréable « , se réjouit une militante. Un peu en retrait, Bruno Bilde, aussi petit et discret que son acolyte est grand et avenant, ferme la marche. Le député siège à l’Assemblée nationale depuis 2017 au côté de Marine Le Pen. Comme Ludovic Pajot, chargé, en ce dimanche 8 septembre, de vérifier le bon fonctionnement du micro.  » Un, deux, un, deux. Ça marche ?  » Tout roule.

Multiplier l’exemple

Ici, le parti de Marine Le Pen a tout gagné. En 2014, la ville, grâce à Steeve Briois, dès le premier tour. En 2015, six cantons, dont les deux à cheval sur la commune, Hénin-Beaumont 1 et Hénin-Beaumont 2, dans l’indifférence des élections départementales. En 2017, c’est le jackpot et les quatre circonscriptions mitoyennes tombent : les nos 3, 10, 11 et 12. Presque une combinaison du loto pour les nouveaux députés Marine Le Pen, Bruno Bilde, Ludovic Pajot et José Evrard (depuis, ce dernier a rejoint Les Patriotes de Florian Philippot).

Les villes de taille moyenne sont les plus favorables au parti de marine le pen.

Pour les municipales de 2020, l’idée est donc simple :  » On veut multiplier l’exemple d’Hénin sur le territoire « , affirme Gilles Pennelle, chargé de la campagne municipale au RN. Au Carré (le surnom du siège, à Nanterre), on appelle ça  » la stratégie de l’inondation  » ou  » de la contagion « .  » De la contamination « , diraient les mauvaises langues. Sur le papier, la recette semble enfantine. Prenez une ville aux municipales, faites-en une place forte, évitez les scandales et la mauvaise gestion. L’année suivante, vous emportez quelques cantons aux départementales. Laissez reposer… Avec un peu de chance, vous pourrez décrocher un ou deux sièges de député aux élections législatives. Simple et basique comme la recette du gâteau au yaourt.

Les huit députés Rassemblement national ou apparentés, dont Marine Le Pen, élue dans le Pas-de-Calais, en juin 2017 à l'Assemblée nationale.
Les huit députés Rassemblement national ou apparentés, dont Marine Le Pen, élue dans le Pas-de-Calais, en juin 2017 à l’Assemblée nationale.© M. BUREAU/AFP

Perspectives de victoire

Cet effet domino, effectif dans le Pas-de-Calais, s’est reproduit, à une moindre échelle, dans la région de Béziers (Hérault, sud de la France), où Robert Ménard et le FN ont successivement pris la ville (2014), trois cantons (2015) puis un siège de député (en 2017, occupé par sa femme, Emmanuelle). De quoi faire rêver les commis de la cuisine frontiste qui voudraient décrocher ici ou là une région en 2021.

Les élus du parti connaissent par coeur l’étude sur leurs perspectives de victoires réalisée par l’Ifop à la fin du mois d’août. Selon cet institut de sondages, les villes de taille moyenne sont les plus favorables au RN. La corrélation avec les résultats des européennes permet d’établir une carte des possibles prises de guerre pour le parti d’extrême droite : en clair, dans les communes où le RN a obtenu plus de 35 % des voix le 26 mai, il y a une chance de victoire.

Aussi les cadres ont-ils décidé de se concentrer sur leurs points forts : les villes de moins de 100 000 habitants situées dans leurs deux bastions. D’un côté, l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais, avec les communes de Calais, Lens, Montigny-en-Gohelle, Sallaumines, Noyelles-Godault, Roubaix, Tourcoing, Maubeuge, Denain ; de l’autre, le pourtour méditerranéen et la basse vallée du Rhône, où le RN caresse l’idée de conquérir Agde, Sète, Frontignan ou Lunel dans l’Hérault, Saint-Gilles ou Vauvert dans le Gard, Sorgues ou Monteux dans le Vaucluse…

Gagner Perpignan (Pyrénées- Orientales), 121 000 habitants, où Louis Aliot est solidement implanté, serait la cerise sur le gâteau frontiste. C’est la seule grande ville qui pourrait tomber dans l’escarcelle du RN. Dans les autres métropoles, les candidats se lancent sans trop y croire.  » C’est un chantier, je ne suis pas un magicien !  » s’excuse presque Gilles Pennelle, le responsable de la campagne des municipales, qui sait par avance que les scores dans les métropoles seront modestes, voire décevants.

Comme après la présidentielle de 2012, la conquête de villes moyennes se veut un moyen d’apparaître comme un parti responsable, capable de gérer sérieusement des exécutifs locaux.  » Après la dédiabolisation, la crédibilisation !  » répète à l’envi Gilles Pennelle. Cet ancrage local doit servir de marchepied à la candidature de Marine Le Pen en 2022.  » On ne peut pas passer de onze mairies à l’Elysée, la marche est trop haute « , explique Philippe Olivier, beau-frère et influent conseiller de la patronne du parti.  » Si on avait remporté au moins une région, ça nous aurait aidés en 2017.  » En 2015, ni Marine Le Pen (candidate en Nord-Pas-de- Calais-Picardie) ni Marion Maréchal (en Provence-Alpes-Côte d’Azur) n’avaient réussi à briser le plafond de verre lors des régionales.

Crédibilité des candidats

Voilà pour la théorie. En pratique, cette stratégie de l’inondation se heurte à deux écueils. Le premier, et le plus important, est de trouver des candidats crédibles. N’est pas Steeve Briois qui veut. Voilà trente ans que l’enfant du Nord fait valser les retraitées dans les dancings, serre des pinces deux fois par semaine sur le marché, sourire aux lèvres et carnet à la main, prêt à noter les doléances de chacun. L’édile doit aussi sa victoire à un contexte politique local particulier, où les affaires ont affaibli la gauche au pouvoir.  » Gagner une ville, c’est l’équation d’une tendance politique et d’un candidat « , résume Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès. Pour gagner, le Rassemblement National doit trouver la perle rare. Des hommes et des femmes dont le parti, en manque cruel de cadres, est très loin de disposer en nombre suffisant.

Preuve de la difficulté de trouver des têtes de liste, la centaine de délégués départementaux ( » DD « ) a été fortement incitée à aller au charbon. Et gare à ceux qui ne montreraient pas l’exemple.  » On a dit aux DD que, s’ils voulaient être reconduits, il valait mieux qu’ils se présentent aux municipales « , assume Gilles Pennelle. En interne, on donne la priorité à la constitution de listes dans des villes  » gagnables  » plutôt que de chercher à être présents partout.  » L’idée, c’est de privilégier la qualité à la quantité « , dit Marine Le Pen. Cette ligne fait d’ailleurs grincer quelques dents.  » Si le match se passe sans nous dans certaines villes, les voix de nos électeurs iront ailleurs « , regrette un cadre. Dans les Hauts-de-France, le parti ne pourra pas présenter de listes dans toutes les villes gagnables : selon le décompte de l’Ifop, le RN a enregistré plus de 35 % des voix aux européennes dans 85 communes de plus de 5 000 habitants de la région. En 2014, déjà, le parti était aux abonnés absents de certaines villes à fort potentiel, comme Wingles, Courrières ou Noyelles-Godault…

Il est toujours plus facile de glisser un bulletin dans le secret de l’isoloir que de s’afficher lepéniste au grand jour.

D’où la deuxième difficulté : l’ouverture. Faut-il aller chercher des candidats en dehors du parti ? Les proches de Marine Le Pen jurent que l’heure est aux listes de rassemblement. Regardez Carpentras, disent-ils en choeur. Le délégué départemental RN du Vaucluse, Hervé de Lépinau, a décidé de céder sa place à un général de corps d’armée à la retraite, Bertrand de La Chesnais, pour mener une liste d’union intitulée  » A nouveau la confiance ! « .  » Vous avez vu qu’on n’a pas que des tocards « , glisse dans un sourire un député européen, satisfait.

Ces cas demeurent exceptionnels. Au point que Robert Ménard tire la sonnette d’alarme : sans alliances au niveau local, impossible de gagner. Pour le Biterrois, Marine Le Pen doit accepter de soutenir des candidats non estampillés RN, sans imposer les initiales du parti ni la flamme tricolore sur les affiches. Hors de question, répond la direction du parti.  » On n’est pas là pour faire élire des maires qui ne veulent pas nous assumer ! On n’est pas des pestiférés, râle Philippe Olivier. Si quelqu’un pense que ça fait mauvais genre d’avoir nos voix, eh bien, il s’en passe.  » Une position que regrette le maire de Béziers, élu avec le soutien de l’ex-FN :  » Ils persistent, certains qu’ils gagneront seuls. C’est une erreur…  »

Marine Le Pen et la stratégie de l'inondation

Effet dissuasif

Comme si le parti fondé par Jean-Marie Le Pen refusait de voir que la dédiabolisation n’était pas achevée, malgré son changement de nom. Dans les petites villes comme dans les grandes, il est toujours plus facile de glisser un bulletin dans le secret de l’isoloir que de s’afficher lepéniste au grand jour.  » On doit encore convaincre certains que nous ne sommes pas d’extrême droite « , témoigne Laurent Jacobelli, responsable de la fédération des Bouches-du-Rhône, qui poursuit :  » La meilleure manière de rallier le notable de la ville, c’est de l’intégrer dans des listes d’ouverture.  »  » Se réclamer du RN, c’est souvent se priver d’une carrière professionnelle, se fâcher avec sa famille, ses amis « , assure de son côté Robert Ménard. Une  » mort sociale « , lâche un autre, conscient de l’effet dissuasif de l’étiquette dans les petites communes. Une fois le candidat trouvé, il faut dénicher ensuite ceux qui suivront sur la liste, et convaincre plusieurs dizaines de personnes d’assumer le label honni. Sans compter la nécessité légale de présenter des listes paritaires, qui complique tout…

Alors, ce dimanche de rentrée, perchée sur une estrade, Marine Le Pen fait de la retape devant les 150 militants présents :  » Français, inscrivez-vous sur les listes électorales, soyez candidats, faites-vous élire !  » Avant de détailler les grands axes de la future campagne des municipales ( » l’ensauvagement de la société « ,  » l’insécurité « …), la patronne du RN cite Lamartine :  » Le réel est étroit, le possible est immense.  » C’est ce qui peut faire la différence entre une inondation et une petite fuite.

Par Camille Vigogne le Coat.

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