Carte blanche

Les régions, ces « vents favorables » qui font avancer l’Union européenne

L’Union européenne a davantage besoin d’un changement de cap que d’un « changement d’heure ». Les collectivités locales et régionales peuvent être porteuses de ce changement, à condition que les décideurs européens leurs accordent leur juste place dans le dispositif européen.

Par Karl-Heinz Lambertz, Président du Comité européen des régions

Alors que les Etats membres peinent de plus en plus à s’entendre pour répondre aux crises multiples auxquelles l’Union européenne est confrontée, les régions, mais aussi les villes et les municipalités, parviennent à trouver des solutions innovantes aux défis qui traversent le continent. Ce sont elles qui continuent de faire vivre l’Union sur le terrain, une Union pourtant en pleine crise existentielle. Et ceci non seulement parce que ce sont elles qui mettent en oeuvre près de 70% des décisions européennes, mais aussi parce qu’elles sont directement en prise avec les attentes des citoyens et la réalité des territoires.

L’Union a besoin des régions

La question de l’accueil et de l’intégration des migrants et des réfugiés est sans doute l’un des exemples les plus flagrants. Le mois d’août dernier a encore offert le triste spectacle de tensions entre certains Etats membres sur la question du débarquement de navires transportant des migrants et des réfugiés sur les côtes méditerranéennes. Alors que les gouvernements européens ne cessent de se rejeter la responsabilité de la situation, l’accueil digne et l’intégration sociale des migrants et des réfugiés sont apportés, souvent en urgence, par les autorités au plus proche du terrain. Et nos maires sont souvent exemplaires!

En matière de changement climatique, alors que les Etats peinent à s’engager sur des objectifs ambitieux, force est de constater que nombreuses sont les villes, communes et régions qui pilotent les efforts climatiques, allant souvent au-delà des objectifs nationaux. Dans le cadre de la « Convention des Maires pour le Climat et l’Energie », ce sont par exemple 7 755 collectivités – dont plus de 300 communes belges – qui se sont engagées à atteindre, voire à dépasser, l’objectif européen de réduire de 20% les émissions de CO2.

Les élus locaux et régionaux s’engagent pour l’Europe

L’Union européenne peut aussi compter sur la mobilisation des élus locaux et régionaux pour resserrer le lien entre les citoyens et l’Union et rendre son action plus visible au niveau local. C’est d’ailleurs le sens des quelques 181 dialogues citoyens qui ont été organisés depuis 2016 dans toute l’Union, à l’initiative des membres du Comité européen des régions, dans le contexte de notre campagne « Réflexions sur l’Europe ». Plusieurs de ces rencontres ont d’ailleurs eu lieu en Belgique sur des sujets qui interpellent les citoyens: impact du Brexit sur les régions, montée des mouvements régionalistes, coopération transfrontalière, ou encore lutte contre le changement climatique

A moins de huit mois des élections européennes, l’engagement des bourgmestres et des élus régionaux sera d’ailleurs essentiel pour expliquer l’Europe aux citoyens, les sensibiliser aux enjeux du scrutin, voire démystifier les fausses informations que ses détracteurs peuvent faire circuler.

Les régions ont besoin du soutien de l’Union

L’Union européenne a besoin de ses régions pour avancer, mais l’inverse est tout aussi vrai. On le sait trop peu : l’action des collectivités territoriales s’appuie en partie sur un soutien européen qui est déterminant. La Belgique reçoit ainsi quelques 2,7 milliards d’euros – 242 euros en moyenne par habitant – au titre des fonds européens dits de « cohésion » (aides régionales, sociales et en faveur du développement rural) sur la période budgétaire 2014-2020, autant de fonds qui sont injectés dans des projets qui améliorent la vie des citoyens.

Grâce à ce soutien européen, l’Union prend vie et s’enracine dans nos territoires. L’impact pour les citoyens et les entreprises est bien réel. Entre 2007 et 2013, grâce à ces financements, plus de 30 000 emplois ont été créés en Belgique, près de 300 000 personnes par an ont pu bénéficier d’actions de formation, 3 600 projets menés par des PME ont reçu des aides directes et 4 060 start-ups ont été soutenues. Ce sont aussi les fonds européens qui aident ou ont aidé à financer la transformation radicale de friches industrielles portuaires, la reconversion de quartiers en difficulté, la transition écologique ou encore la construction d’ouvrages d’art pour favoriser la mobilité douce, dans les quartiers en reconversion.

Les régions inquiètes de l’affaiblissement des politiques européennes à fort impact territorial

En dépit des résultats tangibles des investissements régionaux de l’Union, les propositions de la Commission européenne pour le prochain budget européen inquiètent les villes et les régions. Au lieu de renforcer la cohésion économique et sociale dont l’Europe a besoin, ces propositions risquent non seulement d’affaiblir les politiques européennes ayant le plus fort impact territorial – politique régionale et politique agricole – mais aussi de remettre en cause les valeurs de solidarité sur lesquelles l’Union est fondée.

La Commission a proposé aux Etats de réduire le budget de la politique régionale de plus de 10%, et ce alors qu’elle reconnait que chaque euro dépensé en faveur de cette politique rapporte 2,7 euros en investissements directs ou indirects. C’est une erreur! On ne renforcera pas l’adhésion des citoyens au projet européen en amoindrissant le soutien européen à l’action de nos régions. Plus de 8 000 collectivités régionales et locales, couvrant plus de 90% de la population européenne, des élus, des universités et des syndicats ont ainsi rejoint l’Alliance pour la Cohésion[1] pour sonner l’alerte auprès de leurs pays afin qu’ils sauvent cette politique dans les négociations en cours.

Une Europe ambitieuse nécessite des ressources ambitieuses. Il est temps que l’on arrête de prétendre que, avec le Brexit, nous devons faire plus avec moins. Je suis convaincu que nous pouvons faire plus et mieux avec un niveau équivalent de ressources. C’est pourquoi il faut que les Etats membres suivent la proposition du Parlement européen, que nous soutenons pleinement, de doter l’Union d’un budget correspondant à 1,3% du revenu national brut européen, la richesse produite annuellement en Europe.

Un nouveau souffle est nécessaire

Au moment où les gouvernements nationaux semblent paralysés pour avancer sur les grands défis communs, où l’Union européenne fait face à une « crise multi-facettes », et où la mondialisation semble échapper au contrôle des citoyens, les régions peuvent renforcer ces « vents favorables » – pour paraphraser le Président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker dans son discours de 2017 – dont l’Europe a besoin pour se reconstruire.

La Commission européenne reconnaît la nécessité de mieux prendre en compte les régions et les villes dans l’élaboration des politiques de l’Union. Cela a été confirmé récemment par la mise en place d’un groupe de travail sur la « subsidiarité » au niveau européen, auquel le Comité des régions a activement participé, et qui a proposé « Une nouvelle méthode de travail ». Selon cette approche, et à travers une dizaine de recommandations, les villes, les régions, et notamment les régions à pouvoir législatif, verraient leur influence renforcée dans la prise de décision européenne. Il convient maintenant de passer des déclarations de principes aux actes, et travailler de concert avec les autres institutions européennes, les États membres et les parlements nationaux et régionaux, pour appliquer ces recommandations.

Un Sommet européen des Régions et des Villes en 2019

Pour nourrir la réflexion des institutions européennes sur la refondation de l’Europe, nous organiserons à Bucarest, les 14 et 15 mars prochain, le 8e Sommet européen des Régions et des Villes, qui rassemblera près de 800 maires, dirigeants locaux et présidents régionaux de toute l’Europe. A deux semaines de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, et à deux mois d’un scrutin européen qui s’annonce décisif, il s’agira de démontrer la capacité de mobilisation et l’engagement des élus locaux et régionaux pour redonner de l’élan au projet européen.

Le 9 octobre à Bruxelles, Karl-Heinz Lambertz prononcera un discours sur « L’Etat de l’Union européenne: la perspective des régions et des villes » lors d’un débat en session plénière du Comité consacré au futur de l’Europe, en présence du Président du Parlement européen, Antonio Tajani.

[1] www.cohesionalliance.eu

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire