Le président français raccompagne sa précieuse ennemie le 22 novembre 2017 : seuls sur le ring, Emmanuel Macron et Marine Le Pen tiennent à le rester. © p. wojazer/reuters

Les élections européennes, théâtre du match retour entre Macron et Le Pen

Le Vif

Deux ans après la présidentielle, le chef de l’Etat et la présidente du Rassemblement national se retrouvent pour les élections européennes. Tout les oppose : vision du monde, stratégie, programme…

« Il ne faut pas exagérer non plus, je n’ai pas mis ma culotte sur la tête !  » Elle parle dru, Marine Le Pen, pour dire que ce débat catastrophique de l’entre-deux-tours de la présidentielle française de 2017 ne l’était pas tant que cela.  » Mon parti a été sensible à ce que les médias disaient, certains se sont interrogés, poursuit la présidente du Rassemblement national (RN), mais, à l’arrivée, le fond l’emporte sur la forme.  » Aujourd’hui, elle s’est relevée de cet épisode. Débat, des hauts, comme quoi, en politique…

Octobre 2018, les amis d’Emmanuel Macron, quand ils songent aux européennes, se résignent à un score de 17 % et espèrent, au mieux, une deuxième position derrière le RN. En novembre, ça ne s’arrange pas : le pouvoir vacille, habillé pour l’hiver par des gilets jaunes. Mais le temps change et le printemps se pointe en février. Les sondages actuels laissent espérer la première place, autour de 23 % des intentions de vote. Comme quoi, en politique…

Les deux boxeurs ont récupéré de leur K.-O. Le duo est désormais en piste pour le duel. S’ils sont d’accord sur un point, c’est bien celui-ci : ils tiennent à être seuls sur le ring. En tête à tête – cela leur arrive -, le chef de l’Etat est d’une exquise séduction. Le 22 novembre 2017, il reçoit sa précieuse ennemie. A l’ordre du jour, déjà, les européennes, en l’occurrence la réforme du mode de scrutin. Le chef de l’Etat français est favorable au retour à des listes nationales, la présidente du FN (c’est encore son nom à l’époque) aussi. La conversation ne s’arrête pas là. Marine Le Pen décrit les problèmes de financement de son parti. C’est aussi l’occasion de jouer les anciens combattants d’une campagne présidentielle encore toute fraîche. Emmanuel Macron assure avoir eu une pensée pour son adversaire, le soir d’un débat télévisé où elle a été obligée de  » rester debout trois heures avec des talons « . Et voilà qu’il prend le soin de raccompagner jusqu’au perron de l’Elysée sa visiteuse du jour.

Les deux se revoient le 6 février 2019. Lui a pris un coup de vieux, elle a le sentiment d’avoir retrouvé la marche avant.

On est toujours sensible à ce genre d’attention chez les Le Pen, si longtemps bannis des palais officiels.  » Il a été charmant, cash dans son expression, intelligent « , confie Marine Le Pen dans la foulée. Ne dites pas qu’elle est bluffée, bien sûr, elle réfute le terme –  » On ne peut l’être que par ceux qui ont connu des difficultés, ce n’est pas son cas  » -, mais elle ne dissimule pas son respect :  » Nous avons combattu ensemble au second tour, il n’y en a pas trois qui peuvent en dire autant.  » Bientôt, elle trouvera  » très beau  » le discours prononcé, le 8 décembre 2017, par le chef de l’Etat français pour la mort de Jean d’Ormesson –  » Ça nous change de ceux de François Hollande. « 

Le RN plus rapide que LR

Les deux se revoient le 6 février 2019. Lui a pris un coup de vieux, éprouvé par l’exercice du pouvoir, elle a le sentiment d’avoir retrouvé la marche avant. L’entretien, consacré à la sortie de la crise des gilets jaunes – le président consulte chaque parti – reste  » de bonne qualité « , selon la formule d’un dirigeant du RN. Quand ils regardent autour d’eux, l’un et l’autre ne peuvent que se réjouir. Aucune alternative crédible ne vient perturber leur tandem. Macron consolide son centre par la gauche comme par la droite, Le Pen blinde sa droite. Ce n’était pas écrit. Quatre jours après la présidentielle, Laurent Wauquiez observe en privé :  » Marine Le Pen est allée au bout de sa logique, son parti a grossi jusqu’à ce que sa ligne politique explose.  » Flairant un espace à conquérir, il se lance à l’assaut de la présidence des Républicains (LR) sur une ligne identitaire. Sauf que le RN se redresse plus vite que LR. Contempteur en chef de la stratégie Wauquiez, Jean-François Copé, ex-président de l’UMP (prédécesseur de LR), note :  » Le clivage Macron-Le Pen correspond à la réalité, sauf que c’est la faute de la droite. Notre seule chance, c’est de faire du Macron sans Macron. Vouloir récupérer les voix du RN, c’est fini : il y a désormais deux couloirs parallèles, avec ceux qui optent pour un parti de gouvernement, dont le vote peut changer, et les autres, qui ont décidé de voter merde et ne choisiront plus jamais LR.  » Sébastien Chenu, transfuge de l’UMP qui rejoint Marine Le Pen en 2014, lui répond comme en écho :  » On a connu une période compliquée avec le départ de Marion (nièce de Marine Le Pen), de Florian Philippot, les conséquences du débat, le changement de nom, les affaires et les problèmes de fric. Il y a eu un tassement chez nos militants de juillet 2017 à juillet 2018. C’est reparti en adhésions, nous sommes revenus aux chiffres de la présidentielle. « 

Les anciens combattants reprennent donc du service. Chacun affûte sa stratégie. Pour le RN, elle tient en deux mots : mobilisation et crédibilité. Le premier se comprend tout seul. Le parti espère progresser du côté des abstentionnistes. Le second… aussi, qui n’a jamais été la marque de fabrique de ce parti.  » Depuis 2017, on a largué le boulet de l’euro et on a construit un discours sur l’écologie « , constate Sébastien Chenu. Encore quelques efforts… Parler à ses contradicteurs, par exemple. Un jour de janvier 2019, Marine Le Pen déjeune avec le sociologue Michel Maffesoli. Dans le quotidien Le Parisien du 28 avril 2017, il a signé un appel de personnalités de la société civile à voter Macron au second tour. En ce début d’année, la présidente du RN a lu ses articles sur les gilets jaunes et le postmodernisme. Trier ses soutiens, aussi : après avoir obtenu le ralliement de l’ancien ministre UMP Thierry Mariani, Marine Le Pen se serait offert le luxe de refuser celui d’un député actuel membre de LR. Il ne doit plus être dit que le RN est une machine à recycler les déchets des autres.

En 2017, Laurent Wauquiez mise sur la faiblesse de Marine Le Pen pour récupérer les voix FN.
En 2017, Laurent Wauquiez mise sur la faiblesse de Marine Le Pen pour récupérer les voix FN.© m. bertrand/H. lucas/afp

Le discours adouci de Macron

Entre ces adversaires que tout oppose, le meilleur moyen de combattre l’autre, c’est de combattre ses propres points faibles. Celui de Macron ? Apparaître comme le tenant d’une Europe libérale, fédéraliste, même si le chef de l’Etat n’utilise jamais ces qualificatifs. Il fut un temps où il pouvait se contenter de vilipender ses ennemis. N’ont-ils pas un nom, un visage, celui de Marine Le Pen en France, de Viktor Orban en Hongrie, de Matteo Salvini en Italie ? ( voir en page 63)  » Il faut battre le RN, parce qu’il était le premier parti de France en 2014 (le FN totalise alors 24,86 % des voix), et les nationalistes, parce que c’est l’enjeu européen, souligne Stéphane Séjourné, qui a quitté l’Elysée pour diriger la campagne pour les européennes. Jusqu’à présent, cette élection était une juxtaposition de scrutins nationaux. Désormais, la problématique est la même partout : il y a un effondrement des partis traditionnels et une montée des extrêmes. « 

Le président n’en pense pas moins, mais son discours arrondit les angles.  » Des déclarations où il rentre dans le lard des dirigeants, il n’y en a pas eu depuis longtemps « , disait crûment l’un de ses conseillers au moment de la publication de la tribune européenne du président français, le 4 mars. Désormais, celui-ci met l’accent sur ce qui rassemble.  » Le but n’est pas de dire aux gens qui votent RN « vous vous trompez », mais de montrer que la solution n’est pas au repli nationaliste « , dit-on à l’Elysée. D’une certaine manière, Macron revisite la célèbre formule de l’ancien premier ministre Laurent Fabius sur le FN – bonnes questions, mauvaises réponses. Il est moins dans la dénonciation de cette  » lèpre nationaliste  » (entretien au quotidien Ouest-France, le 29 octobre 2018), et davantage dans la prise en compte des inquiétudes des Français qui voient leur destin leur échapper. Dans sa tribune, il insiste sur le besoin de protection :  » L’Europe n’est pas qu’un marché, elle est un projet. Un marché est utile, mais il ne doit pas faire oublier la nécessité de frontières qui protègent et de valeurs qui unissent. « 

Le meilleur moyen de combattre l’autre, c’est de combattre ses propres points faibles.

Hors de l’Elysée, La République en marche (LREM) portera des angles plus aigus.  » Nous ne laisserons pas sans réponse les boules puantes et autres fake news comme celles sur le pacte de Marrakech, le traité d’Aix-la-Chapelle, ou le poulet au chlore que la France importerait, dit Pieyre-Alexandre Anglade, député LREM et stratège du mouvement pour les européennes, mais il nous faut aussi assurer une présence partout sur le terrain.  » Hors de l’Elysée encore, deux futurs ex-conseillers de Macron, David Amiel et Ismaël Emelien, vont mener la bataille doctrinale contre le populisme avec leur livre, Le progrès ne tombe pas du ciel (Fayard, sortie le 27 mars). Argumentaire de David Amiel :  » Le populisme se nourrit de l’échec des partis traditionnels. Pour assécher un parti comme le RN, il faut identifier clairement les causes de la colère, les difficultés liées à la mondialisation et aux bouleversements de notre société. Surtout, il faut répondre à cette colère par un projet convaincant.  » Ceux qui croyaient à demain et ceux qui n’y croyaient pas : on est revenu à l’affrontement de 2017.

Sauf que l’exercice du pouvoir, son usure et ses blessures, est passé par là.

Par Corinne Lhaïk et Éric Mandonnet.

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