Dariusz Stola, directeur de Polin depuis 2014. © Maciej Gillert/getty images

Le musée des juifs de Pologne perd la tête

Le Vif

Le gouvernement conservateur refuse de renouveler le mandat de Dariusz Stola et conteste sa « vision » historique.

« Ce sont les plus longues vacances de ma vie.  » Malgré la situation dans laquelle il se trouve, Dariusz Stola conserve son humour. Voilà plus de six mois que cet historien âgé de 56 ans attend d’occuper à nouveau son bureau de directeur du musée de l’Histoire des juifs polonais – ou  » Polin « , du mot hébreu qui signifie  » Pologne « . Il ne lui manque que le feu vert du gouvernement, qui s’y refuse. L’attente risque de s’éterniser : les conservateurs du parti Droit et Justice (PiS) ont remporté les élections législatives d’octobre et peuvent poursuivre leur reprise en main des institutions mémorielles du pays, amorcée depuis 2015.

Le ministère de la Culture n’avait pas jugé bon de reconduire Dariusz Stola à son poste, à l’issue de son contrat, en février 2019. Bien qu’il ait remporté, deux mois plus tard, le concours pour sa propre succession. Un camouflet que ne digère pas le gouvernement, gestionnaire de Polin avec la ville de Varsovie et l’Association de l’Institut historique juif de Pologne.

Polin a été inauguré en 2014, vingt années après que l’ambition de bâtir ce musée de l’Histoire des juifs de Pologne avait germé. Son exposition permanente ne se cantonne pas à l’évocation du génocide de 90 % des 3,5 millions de juifs polonais par les nazis. Elle raconte le peuplement juif de cette région de l’Europe, au Moyen Age, et l’interpénétration de cette histoire spécifique avec celle du pays.  » De fait, c’est un musée de la Pologne du point de vue d’une minorité « , explique Dariusz Stola, catholique de confession.

Depuis son ouverture au public, Polin a accumulé de nombreux prix, dont celui du Musée européen de l’année, en 2016. Et il continue d’accueillir plus d’un demi-million de visiteurs par an, dont la moitié venue de l’étranger. Les expositions temporaires peuvent attirer jusqu’à 160 000 personnes, comme ce fut le cas pour celle consacrée, au printemps 2018, à la campagne antisémite orchestrée cinquante ans plus tôt par l’Etat communiste, poussant à l’émigration 13 000 juifs – aujourd’hui, il n’en reste que 10 000 en Pologne.

Dariusz Stola estime que cette exposition est à l’origine de sa disgrâce.  » A la fin du parcours, une quinzaine de citations contemporaines sélectionnées sur les réseaux sociaux, anonymisées, ont été mises en parallèle avec la propagande antisémite de l’époque, indique-t-il. Deux proches du gouvernement ont reconnu leurs écrits et m’ont poursuivi devant la justice. Celle-ci leur a donné tort.  » L’épisode a cependant laissé des traces : les médias conservateurs et le ministère dépeignent depuis lors l’historien, à l’excellente réputation académique, comme un militant de l’opposition libérale, ce qu’il récuse.

Le refus de sa reconduction s’inscrit dans une mise sous tutelle du récit historique national, comme l’illustre le cas du musée de la Seconde Guerre mondiale de Gdansk, ouvert en 2017. Son premier directeur a été remercié et, depuis, l’exposition permanente a été modifiée pour se conformer à la vision du gouvernement.  » On nous accuse d’attenter à la fierté d’être polonais, s’indigne Dariusz Stola. Mais on peut être fier de cette histoire sans cacher les exactions contre les juifs.  » Alors que l’année 2020 débute, il ne compte pas renoncer à la direction de Polin.  » Je n’ai plus aucun revenu et je pourrais retrouver mon poste de professeur à l’Académie des sciences, confie-t-il. Mais je suis têtu et je n’abandonnerai pas.  »

Par Clément Daniez.

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