Marcos Rodríguez Pantoja © Capture d'écran Vimeo

La tristesse de l’homme loup: il est si difficile de vivre parmi les hommes

Muriel Lefevre

Il a été abandonné alors qu’il n’était qu’un enfant avant de vivre dans les montagnes espagnoles pendant 12 ans. Il n’avait pour seule compagnie que les loups. De retour dans le monde civilisé, il s’est aperçu que vivre avec les hommes n’avait rien d’une évidence. Portrait.

Marcos Rodríguez Pantoja a été abandonné en 1953 dans la Sierra Morena, une région désertique dans le sud de l’Espagne. À l’époque, il n’avait que 7 ans. L’âge tendre. Selon ses dires, il sera recueilli par une famille de loup qui va lui offrir refuge et protection. Avec personne à qui parler, il va progressivement perdre l’usage de la parole et se mettre à grogner et à hurler pour se faire comprendre. Ce n’est que 12 ans plus tard que la police le découvre drapé dans une peau d’animal.Il tente, en vain, de s’enfuir. Il a alors 20 ans. Lorsqu’on le « trouve », il semble n’avoir aucun problème d’apprentissage et ne montre aucun signe de retard mental. Pendant un an, des nonnes vont tenter de lui apprendre les rudiments de la vie en société. Mais la tâche est rude, car il est passé de l’enfance à l’âge adulte sans la moindre socialisation avec des semblables. Il n’avait jamais vu un film au cinéma, entendu la radio ou encore payé pour sa nourriture.

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Il est si difficile d’être un humain

Mince, avec ses cheveux poivre et sel et ses joues rougeâtres; rien ne le distingue pourtant d’un septuagénaire classique. Ce n’est que lorsque la conversation s’engage que les fêlures effleurent la surface. L’homme a du mal à croiser le regard et semble anticiper le mépris. Car contrairement à la plupart d’entre nous, on ne lui pas appris à décoder le langage invisible qui ordonne nos interactions quotidiennes avec les autres. Au cours des 50 années qui se sont écoulées depuis qu’il a été découvert dans la nature, Rodríguez a eu du mal à comprendre les attentes de la société. Partout, on l’a volé ou exploité: les gens profitaient de sa naïveté. Plus qu’à son tour, l’ancien enfant sauvage a été rejeté par la société.

En 2010, le réalisateur espagnol Gerardo Olivares a sorti un film, Entrelobos (« Parmi les loups »), basé sur la vie de Rodriguez dans les montagnes. C’est une adaptation d’un livre écrit par Gabriel Janer Manille, un anthropologue espagnol qui a longuement rencontré Rodríguez lors de plusieurs entretiens dans les années 1970. Le réalisateur a même engagé un détective privé et c’est comme cela qu’on a retrouvé sa trace. Si le film est pour le moins romancé, il plait beaucoup à Rodriguez qui avoue le regarder tout le temps, surtout quand il est triste.

Le film, malgré son succès modeste, va aussi lui amener la célébrité. Si, dans un premier temps, celle-ci est plaisante, elle va vite se révéler pesante. Car autant le mépris était pénible, autant l’intensité de cette soudaine fascination le déconcerte. Rodríguez ne parvient jamais à comprendre ce qu’on attend exactement de lui. Il peut se montrer frivole, mais la gravité n’est jamais loin quand il évoque son retour parmi les hommes. « J’ai été constamment humilié » dit-il dans The Guardian. Personne n’a cru son histoire et la plupart l’ont simplement pris pour un idiot ou un ivrogne. Lui, tout ce qu’il voulait, s’était d’être aimé, d’avoir une vie normale, une femme, des enfants. « Pendant la plus grande partie de ma vie, je n’ai eu que de très mauvais moment parmi les humains » dit-il au journaliste du Guardian qui lui consacre un long portrait.

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La trahison d’un père

Malgré une vie faite d’humiliation, ce qui a le plus blessé Rodríguez c’est quand son père le vend en esclavage. La famille était pauvre et part avec ses trois enfants pour Madrid. Dans la capitale, le père trouve du travail dans une briqueterie, mais peu de temps après, sa femme meurt. Ne pouvant faire face, le père envoie un de ses fils vivre avec sa famille à Barcelone et en laisse un autre avec des proches à Madrid. Rodríguez reste avec son père qui déménage à nouveau. Un jour – Rodríguez pense avoir six ans – un homme arrive sur un cheval et le prend avec lui. Rodríguez débarque dans une grande maison avec un troupeau de 300 chèvres. L’homme lui annonce alors que son père l’a vendu et qu’il doit désormais travailler pour lui. Aussi surprenant que cela puisse paraitre la pratique d’échange de service d’enfant, comme le pâturage dans les montagnes, contre de l’argent, semblait relativement courante dans l’Espagne rurale des années 1950. La vente, par contre, était nettement moins commune.

L’enfant sera confié à un vieux berger qui lui apprend les rudiments du métier et de la survie en montagne. Mais, un jour, peu après l’arrivée de Rodríguez, le vieux berger annonce qu’il va chasser du lapin. Il ne reviendra jamais et personne ne viendra le remplacer. Le propriétaire venait bien de temps en temps vérifier les chèvres, mais Rodríguez se cache par peur d’être renvoyé dans sa famille. « Même dans mes pires moments, j’ai préféré les montagnes à l’idée de retourner à la maison. » Il vit alors en sauvage et vit d’expédients. Il dit qu’il est encore un enfant lorsqu’il rencontre pour la première fois les loups. Ou plutôt des louveteaux cachés dans une grotte alors qu’il cherchait un abri. Ne sachant pas mieux, il s’endort sur place. Lorsque la louve, qui était partie chasser, revient, elle montre les dents avant de finir par lui donner un morceau de viande. Rodriguez dit avoir tissé des liens d’amitiés avec des renards et des serpents, mais aussi qu’il avait développé un langage leur permettant de leur parler. Des relations simples éloignées de la complexité que peuvent avoir les interactions avec les humains. Son seul ennemi en forêt est le sanglier.

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Il vivote comme cela jusqu’en 1965 où un garde forestier le signale à la police. Trois officiers à cheval sont envoyés pour le chercher. Rodríguez, qui n’a plus parlé depuis deux ans, ne sait pas comment réagir. Il s’enfuit. Les officiers le rattrapent, lui attachent les mains à la selle d’un de leurs chevaux et le traînent hors de la montagne.

Un dur retour au monde

Lorsqu’il s’aperçoit dans un miroir, il ne comprend pas ce qu’il voit. On propose à son père de le reprendre, mais au lieu de l’accueillir à bras ouverts, il l’ignore. Du coup, on laisse le jeune homme sur la place principale de Cardeña où deux bergers le remettent au travail pour s’occuper de leurs moutons. À peine quelques jours après sa capture, Rodríguez est donc de retour dans les montagnes.

Ce n’est qu’au printemps 1966 que le fils du médecin local, un curé nommé Juan Luis Galvez, l’emmène dans sa maison familiale à Lopera et lui apprend à s’habiller, à manger correctement et à prononcer des mots. Mais Rodríguez résiste. Il ne sent pas à l’aise chez les humains et ne rêve que de retourner dans sa montagne.

À la fin de l’été 1966, le curé Galvez l’envoie à l’hôpital de Convalecientes de Madrid où les médecins lui coupent les callosités qu’il a aux pieds et placent une planche dans son dos afin qu’il se tienne droit lui qui se tenait en permanence courbé. Les religieuses se chargent de lui donner des cours de langue. Pendant cette période, Rodríguez travaille sur des chantiers de construction à Madrid et dans les environs. Au début de 1967, Rodríguez doit faire son service militaire. Mais cela tourne court lorsque, lors d’un exercice, il tue presque un membre de son peloton.

Dans les années qui suivirent, il occupe des postes de chef assistant, de barman, de maçon et de balayeur de routes à Majorque. Parce qu’il n’a aucune notion d’argent, ses patrons le sous-payent souvent et profitent de sa naïveté. « Pendant un moment, je vendais de la marijuana sans le savoir. Mon patron m’a dit que c’était la médecine de l’estomac. Les gens venaient au bar et demandaient des « médicaments » et je les leur donnais. »

C’est encore à Majorque, en 1975, que Rodríguez est présenté à l’anthropologue Gabriel Janer Manille, qui a consacré la plus grande partie de sa vie à l’étude des effets de la nature sur le développement ultérieur. Pendant six mois les deux hommes se rencontrent pratiquement tous les jours. Il va conclure que Rodríguez n’a aucun trouble d’apprentissage, mais qu’il est juste resté figé au moment de son enfance où il était abandonné. Plutôt que d’apprendre les règles de l’interaction humaine, il a idéalisé la vie parmi les animaux. « Même maintenant il tente d’appliquer à la vie sociale les règles qu’il a observées durant sa vie en montagne ».

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« Il est très possible que les humains et les loups coexistent », a déclaré Espana, biologiste spécialiste des loups. « Mais de là à leur parler, c’est plus discutable.  » Rodríguez est ce que j’appellerais un loup périphérique – toléré par l’alpha, et par le reste du peloton, car il ne représentait aucune menace », a déclaré España. « La manière dont il a choisi d’interpréter ces interactions est probablement un cas de mémoire sélective. » Le jeune garçon a probablement projeté ses besoins sociaux sur les animaux et imaginé des relations avec eux.

Rodríguez quitte Majorque dans les années 80 et emménage dans le sud de l’Espagne, où il occupe toute une série d’emplois et bois beaucoup. Noyé dans l’alcool, Rodríguez a du mal à se rappeler de ces années dans la montagne – sauf le jour où il a rencontré l’homme qu’il appelle toujours « mon patron ». En 1998, Manuel Barandelak, un policier de Galice à la retraite rend visite à son fils dans la ville de Fuengirola, près de Malaga, lorsqu’il aperçoit Rodríguez qui vit dans le sous-sol d’un bâtiment abandonné. Barandela décide de le ramener à Rante , un hameau endormi d’une soixantaine de familles en Galice, dans le nord-ouest de l’Espagne, où il lui donne un toit et du travail dans sa ferme. Là-bas, c’est tranquille et isolé. Rodriguez retrouve le calme qui lui a tant manqué jusqu’à que le film replace sur l’avant de la scène. « Les gens viennent toujours. Certains pensent que je suis riche et essayent de m’exploiter. Je n’ai pas un sou! » dit Rodríguez. Pour lui, toute cette nouvelle adulation ne semble alors n’être rien de plus qu’un autre caprice incompréhensible de l’esprit humain.

Aujourd’hui, l’homme vit toujours à Rante et est désormais à la retraite. Il passe son temps à marcher dans la campagne environnante, chasser le sanglier, ou au bar. Il aime aussi regarder durant des heures la télévision et effleurer du regard les images de femmes nues accrochées sur son mur. « Je devenu trop humain » souffle-t-il au journaliste.

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