Gérald Papy

« La remise en question de notre mode de vie par les gilets jaunes est vertigineuse »

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Il aurait pu se résumer à une énième contestation sociale. Il est devenu un formidable révélateur de l’état de notre société. Comment le mouvement des gilets jaunes suscite-t-il une remise en question de notre mode de vie qui est proprement vertigineuse ?

L’épreuve de force entre les promoteurs de la transition énergétique et les défenseurs de la protection sociale confronte les uns et les autres avec leurs contradictions.  » Ceux qui prêchent la bonne parole écologique sont souvent les mêmes qui prennent l’avion pour passer des vacances dans les pays lointains tout en se voulant « écolos » « , dénonce non sans pertinence le sociologue français Jean-Pierre Le Goff dans Le Figaro. Et ceux, parmi les gilets jaunes, qui critiquent l’excès d’imposition sont souvent les mêmes qui réclament un meilleur service public à proximité de leur lieu de vie.

Le défi posé aux dirigeants politiques est donc compliqué par l’élargissement du spectre des revendications des contestataires et par le besoin de hiérarchisation des priorités entre l’urgence sociale et le défi écologique. En persistant à traiter l’une et l’autre en même temps, Emmanuel Macron s’expose à une intensification de la révolte qui pérennisera d’autant sa déclinaison belge alors que le gouvernement de Charles Michel, sourd à ce message majoritairement wallon, tablait sur son progressif délitement. Manifestement, le président français n’a pas compris – ou n’a pas voulu comprendre – que derrière la critique de la hausse du prix des carburants, c’est le creusement des inégalités et l’injustice sociale, dont il porte la responsabilité après avoir notamment supprimé l’impôt sur la fortune, que lui reprochent principalement les gilets jaunes.

Le mouvement des gilets jaunes est devenu un formidable révélateur de l’état de notre société

La remise en question est vertigineuse parce que la révolte a des formes inédites, parce que celle-ci questionne les modalités d’application d’une transition énergétique que les signes récurrents du dérèglement climatique rendent impérative, enfin parce qu’elle rebat les cartes de la transition démocratique que la quête de citoyenneté participative et le rôle des réseaux sociaux justifiaient.

Or, là aussi, le message des gilets jaunes est ambigu. Ils se lamentent de ne pas être entendus. Mais ils fustigent dans le même temps l’incompétence des élus, leur dénient la capacité de les comprendre, et les décrédibilisent comme potentiels interlocuteurs, alors qu’eux-mêmes peinent à désigner leurs représentants. Qu’ils la développent sous une forme syndicale ou, plus encore, dans une démarche politique du type du Mouvement 5 étoiles italien, leur action devra prendre la voie de la personnalisation et de la définition d’un cahier de doléances.

Emmanuel Macron a concédé lors de sa dernière interview télévisée ne pas avoir réussi à réconcilier les Français avec leurs dirigeants. A des degrés divers, le constat vaut pour tous les gouvernants européens. Rapporté aux immenses défis des transitions énergétique et démocratique, l’enjeu est fondamental. Car, comme le philosophe belge Pascal Chabot le prédisait dans L’Age des transitions (PUF, 2015),  » ce sont en définitive le type de consommation énergétique et le mode d’existence plus ou moins démocratique qui rendent la présence d’un grand nombre d’humains sur Terre soutenable ou pas « .

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