Franklin Dehousse

« La Commission von der Leyen prend une route risquée »

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

La présentation de la nouvelle Commission européenne a été plutôt mal reçue. Si nombre de candidats paraissent bons, la structure ne l’est pas. Peter Drucker, prince du management, aurait ri, hélas. Certes, la mission reste complexe. Les commissaires sont bien trop nombreux et il n’y a pas assez de travail pour tous. Quatorze suffiraient, il y en a vingt-sept.

Une telle aberration impose de réviser les traités avant les prochains élargissements, qui ne peuvent qu’aggraver la situation – a fortiori pour les juges européens, qui sont près de 100 pour traiter environ 1 700 cas par an.

Première erreur : les titres absurdes. Un commissaire pour les  » partenariats internationaux « , ou la  » prospective  » (on espère que la prospective ne sera pas son monopole),  » la démocratie et la démographie « , et le merveilleux  » protéger le mode de vie européen  » (n’entrons même pas dans le camouflage de l’immigration sous ce label). Tous signes d’un leadership intoxiqué par les communicants. Non seulement ces responsabilités floues sont ridicules, mais elles amplifieront les conflits de compétences au sein de la Commission.

Deuxième erreur : d’énormes déséquilibres d’attributions. Avec tant de commissaires et si peu de missions, il est impossible de surcharger quelqu’un, mais von der Leyen y est parvenue. Ainsi, Margrethe Vestager est commissaire à la concurrence, vice-présidente chargée du marché numérique et vice-présidente exécutive. Sylvie Goulard surplombe trois directions générales. En comparaison, la responsabilité unique de la protection de la règle de droit semble partagée par trois commissaires (démocratie, valeurs et justice). Les services financiers numériques semblent partagés entre trois commissaires. Cela aussi amplifiera les conflits de compétences.

Troisième erreur ; une hiérarchie incroyablement complexe, quatre niveaux dans un collège de vingt-sept commissaires (président, vice-présidents exécutifs, vice-présidents ordinaires et commissaires) ! Présenter cela comme  » une commission agile et flexible  » révèle beaucoup d’humour et peu de management, dont on parle à peine.

Si les traités empêchent toute solution optimale, des préceptes universels de gestion existent.  » Simplicité  » et  » clarté « , notamment. Jean-Claude Juncker a été bien meilleur à cet égard. La nouvelle présidente a eu l’intelligence de corriger ses fautes devant le Parlement européen en juillet dernier. Elle devrait faire de même ici (et voir qu’elle est sans doute mal conseillée). En effet, l’épisode peut mal tourner.

Pour la confirmation parlementaire, le contexte devient plus aigre. Deux groupes de la majorité se sentent manipulés. Des commissaires ont des problèmes potentiels : le commissaire hongrois à l’élargissement, Tibor Navracsics, Sylvie Goulard et l’affaire des attachés parlementaires détournés, Didier Reynders avec un Congogate après le Kazakhgate. Les déséquilibres évidents de l’organigramme ajoutent encore aux aigreurs.

Même par après, tout futur problème de coordination affaiblira von der Leyen. En effet, elle a déjà quitté Berlin avec une réputation de mauvaise gestion du ministère de la Défense (et un usage excessif de consultants). N’importe quel accident consolidera cette image. Plutôt que de l’abreuver de sound bites, ses collaborateurs devraient courir chercher en urgence l’excellent livre de Peter Drucker, Les Défis du management (HarperCollins, 2001). A voir l’organigramme, l’excellente bibliothèque de la Commission ne le possède certainement pas encore.

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