Un homme marche le long d'une rue habituellement bondée le long de la mosquée-cathédrale de Cordoue. Le pays a déclaré un état d'alerte pour tenter de mobiliser des ressources pour lutter contre le virus. © belga

« L’Espagne n’a pas vu venir la pandémie, nous n’étions pas prêts »

Julie Nicosia
Julie Nicosia Journaliste

L’Espagne a passé la barre des 10.000 décès jeudi. Un nombre qui laisse sans voix Roberto N. Licata, un citoyen andalou, qui a accepté de livrer son témoignage au Vif. Récit.

Roberto N. Licata, 52 ans, habite à Cordoue (Córdoba) en Andalousie où il est installé depuis maintenant vingt ans. Il habitait en Belgique auparavant. En Espagne, il a repris des études et finalise son master en traduction et interprétariat. Depuis le 12 mars, il est confiné chez lui et confie qu’il est « en train de vivre un moment particulièrement difficile », comme un bon nombre d’Espagnols.

Derrière Madrid (32.155 cas) ou la Catalogne (21.804 cas), l’Andalousie est la sixième région la plus touchée et recense 6.972 cas de coronavirus jeudi. Les villes les plus touchées d’Andalousie sont celles fortement fréquentées comme Séville ou Malaga. « Cordoue est une ville assez calme, et est moyennement touchée. Séville et Malaga comptent le double de cas », affirme Roberto. « Cependant, il faut prendre conscience de la gravité de la situation. L’Espagne n’a pas vu venir la pandémie, la situation nous a pris au dépourvu, nous n’étions pas prêts ».

Des mesures strictes, mais cohérentes

Les mesures prises dans la majorité des pays du globe sont assez simples à résumer : rester chez vous. L’Espagne a pris des mesures encore plus strictes : « tous les services non indispensables ont été suspendus (horeca, secteur de la construction, magasins de vêtements …) afin de réduire les mouvements de la population. « D’autres mesures plus strictes ont été prises le 30 mars, à l’aube des vacances de Pâques, et seront d’application jusqu’au 30 septembre. Ici, le confinement est total. On ne peut pas sortir de chez soi. Ces mesures peuvent paraître extrêmes, mais c’est grâce à ça qu’on peut éviter le pire », affirme Roberto, en contemplant le patio de son appartement.

u003cstrongu003eSi on ne prend pas la situation au sérieux, nous serons tous en danger. Personnellement, je n’ai pas envie que d’autres personnes mettent ma vie en danger.u003c/strongu003e

Parmi les mesures prises par le gouvernement espagnol, le citoyen andalou épingle les plus cohérentes : « des subventions ont été débloquées pour les enfants sans ordinateur pour les cours à distance. Le gouvernement a débloqué des fonds pour aider les PME et l’horeca. Pour les plus démunis, les loyers ou les crédits hypothécaires ont été bloqués du 30 mars au 30 septembre. Ainsi, personne ne peut être délogé et les gens ne retrouvent pas dans la rue. Ce qui serait une catastrophe en cette période ».

u003cstrongu003eL’Espagne est engagée aujourd’hui pour ces citoyens. En 2008, le pays a sauvé les banques. Aujourd’hui, elle tente de sauver des vies.u003c/strongu003e

Un quotidien chamboulé

Le quotidien de l’Espagnol se limite à la révision de ses cours, à faire des courses une fois par semaine et à sortir son chien trois fois par jour. « Toute sortie non indispensable est interdite et sanctionnée. La police contrôle et distribue des amendes si nous n’avons pas de justification raisonnable. Je ne peux donc pas sortir pour faire du sport ou déménager. », ajoute Roberto. Comme beaucoup de citoyens confinés à travers le monde, le contact avec ses proches reste primordial : « j’appelle mon neveu tous les jours ou un jour sur deux, même si on n’a rien de neuf à se raconter, il faut maintenir le contact. Idem pour une partie de ma famille en Belgique ».

Les soins de santé débordés

« Les hôpitaux et les soins de santé sont tous débordés. Ils sont si débordés que les polices locales, la protection civile, la police nationale et les militaires sont mis à contribution pour mettre en place des hôpitaux de proximité. Les hôpitaux n’ont pas le matériel nécessaire et on parle de matériels élémentaires : des gants, des masques, des vestes anti-contagion » souligne-t-il. « Et encore, je me réjouis d’être en Andalousie, car on a la chance d’avoir le meilleur hôpital public. Mais à Madrid, c’est la folie. », poursuit-il. Petite touche positive du quotidien, « comme vous, en Belgique ou en Italie, on applaudit à 20h depuis nos balcons pour toutes les personnes en première ligne dans les hôpitaux. C’est notre reconnaissance pour leur travail, car ce sont des personnes à risque qui se démènent pour sauver des vies avec peu de matériel. »

Questionnement et inquiétude

À la question de savoir si Roberto a des inquiétudes, l’Andalou préfère répondre par toutes les questions qui lui passent en tête : « On ne sait pas quand ça se finir. Je me pose la question de savoir si la pandémie sera réellement finie ou si, au contraire, elle va revenir. Est-ce que ce sera la dernière pandémie ? Quelles seront les conséquences sur notre société ? Sur notre économie ? » « Je ne suis pas croyant, mais je me demande quand même si la Nature n’en a pas eu ras le bol. Les terres respirent de nouveau », poursuit-il. Il ajoute : « je m’inquiète pour ma mère qui est en maison de repos en Belgique et pour mon neveu qui habite à 15km et que je ne vois plus ».

Le Sud, le mal-aimé de l’Europe

L’Italie a fait part du manque de soutien de la part de l’Union européenne. « En Espagne, il y a également cette sensation d’abandon de l’Europe. La Chine, la Russie, même Cuba nous viennent en aide pour du matériel », se désole l’Espagnol. « Quand j’ai vu le Président, Pedro Sánchez, prononcer son discours à la télévision. Je l’ai senti déçu par l’Europe. « Je rejoins les propos du Président portugais qui a dit que c’est répugnant de négliger ainsi les pays du Sud », conclut-il.

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