En Lombardie. © Belga

Italie : « nous n’avons aucune perspective sur un déconfinement »

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Expatriée belge depuis plusieurs années en Lombardie, Stéphanie Laduron nous parle du confinement dans cette partie de l’Italie où le coronavirus fait des ravages. Témoignage.

Depuis quand êtes-vous confinés ?

Nous vivons dans un petit village de la Lombardie qui s’appelle Ispra (5000 habitants). Nous vivons ici depuis quelques années. Avec nos deux enfants qui ont 7 et 5 ans. Le 11 février dernier, j’ai accouché de mon troisième enfant. Le 20 février, mon mari est rentré du travail en me disant qu’il y a avait eu un premier mort du coronavirus en Lombardie. C’est à ce moment-là que nous avons décidé de nous confiner de notre plein gré. Il y avait peu d’information sur les risques pour les nourrissons et j’ai un fils qui est asthmatique. Mon mari a donc commencé à télétravailler dès le lendemain et depuis nous sommes restés à la maison avec les enfants. Cela fait donc deux mois aujourd’hui que nous vivons cette situation. L’annonce officielle du confinement, d’abord de la Lombardie, est arrivée quelques jours plus tard.

Quelle est la situation aujourd’hui en Lombardie ?

Le confinement est toujours total. Nous sommes autorisés à sortir de chez nous jusqu’à 200 mètres de notre habitation. On peut marcher pour prendre l’air ou pour promener un chien, mais les enfants sont interdits de sortie. Heureusement, nous avons un petit jardin où ils peuvent aller jouer.

Depuis quelques jours, le port du masque et des gants est obligatoire à chaque sortie. Y compris pour aller sur le pas de la porte ou pour sortir les poubelles par exemple.

Nous sommes autorisés à sortir de chez nous jusqu’à 200 mètres de notre habitation.

Comment faites-vous vos courses ?

Pour les courses, on doit rédiger une autodéclaration pour pouvoir se rendre au magasin ou à la pharmacie. On doit aussi mettre un masque et des gants. Cette semaine, à l’entrée du magasin il y avait un agent qui prenait la température de chaque personne qui entrait. En plus de gants que je porte, je dois aussi enfiler une paire de gants supplémentaire fournie par le magasin.

En Lombardie.
En Lombardie.© Belga

Comment la police italienne fait-elle pour surveiller tout le monde ?

Il y a des policiers qui patrouillent, les rues sont assez désertes donc les personnes sont facilement repérables. Et puis, j’ai déjà vu deux drones survoler mon jardin. Un jour lorsque je suis sortie avec mon nouveau-né pour prendre l’air, j’ai été survolée par un hélicoptère de la police.

Et puis il y a le voisinage… La population en Lombardie est très âgée. Les gens ont très peur, donc dès qu’ils voient que quelqu’un ne respecte pas les règles, ils font une remarque.

Comment le déconfinement est-il envisagé en Italie ?

Je ne sais pas pour l’Italie entière, mais en Lombardie nous n’avons aucune perspective. Pour l’instant, on sait que les règles en vigueur sont d’application jusqu’au 4 mai, mais c’est tout. On ne sait même pas si le gouvernement va communiquer avant cette date. Il y a quelques jours, ils ont autorisé les magasins de plantes à rouvrir avec des règles strictes pour les clients. Un peu comme en Belgique, mais c’est tout.

En Lombardie, nous n’avons aucune perspective de déconfinement

La police utilise des drones.
La police utilise des drones.© Belga

Comment vivez-vous ce confinement psychologiquement ?

Nous n’avons plus aucune liberté. C’est très dur. Surtout avec des enfants qui ne peuvent même pas aller faire une promenade à 100 mètres de chez eux. On a le sentiment que dans la gestion de la crise, ici en Italie, le côté humain a été totalement oublié. Je comprends qu’il a fallu prendre des décisions radicales, car la situation était vraiment dramatique, mais c’est aussi très dur à vivre psychologiquement.

J’ai parfois des moments de panique. J’ai l’impression qu’il y a tellement de morts qu’il ne restera plus personne dans ma région quand on va ressortir. Et puis je vais au magasin et je vois qu’il y a tout de même encore de la vie. Ca fait du bien.

En même temps, on devient aussi un peu parano concernant le virus. On a l’impression qu’il est partout et qu’on risque de l’attraper dès qu’on sort de chez nous. C’est très angoissant.

On a le sentiment que dans la gestion de la crise, ici en Italie, le côté humain a été totalement oublié.

Et vos enfants comment vivent-ils les choses ?

Je m’inquiète vraiment pour eux. Ils sont enfermés depuis le 20 février, sans aucune vie sociale. Pour mes ainés c’est particulièrement difficile parce que j’ai peu de temps de qualité à leur consacrer. J’ai un nouveau-né à gérer, mon mari continue de travailler et je dois faire les leçons avec ma fille qui est en primaire et qui continue à apprendre de la nouvelle matière. C’est extrêmement compliqué de gérer tout ça en même temps. On a le sentiment d’être livrés à nous-mêmes et en plus on est loin de nos familles, sans aucune perspective sur comment les choses vont évoluer ces prochains mois.

Avez-vous tenté de revenir en Belgique ?

On a pensé revenir en Belgique au moment où le nombre de morts a explosé ici. On avait vraiment très peur pour notre santé, mais aussi parce que le système de santé ici était débordé. On se disait que s’il nous arrivait quoique ce soit comme pépin de santé, on ne recevrait pas forcément les soins nécessaires. On a donc contacté l’ambassade belge qui nous a dit qu’on pouvait essayer de rentrer en voiture, mais sans certitude qu’on nous laisserait passer à la frontière. Le problème est que nous n’avons pas d’adresse officielle en Belgique, seulement de la famille. Du coup, on a laissé tomber. Mais on n’imaginait pas qu’on serait encore dans cette situation aujourd’hui.

En Lombardie.
En Lombardie.© Belga

Quand pensez-vous pouvoir revenir en Belgique ?

Nous n’en avons aucune idée. On entend dire ici que le tourisme italien sera autorisé cet été, mais que les frontières resteront fermées pour les étrangers. En même temps, quand on voit les mesures mises en place en Belgique, qui vues d’ici semblent très laxistes, on imagine mal que le gouvernement va autoriser des étrangers à rentrer dans le pays, ni même des expatriés à rentrer chez eux puis revenir en Italie. Ce serait prendre le risque de relancer l’épidémie.

J’ai l’impression que les Belges ne prennent toujours pas la mesure de gravité de la situation.

C’est très dur à encaisser pour nous parce que nous n’avons pas encore présenté notre fils à nos familles. En tant qu’expatriée, je pense que le confinement sévère était nécessaire en Italie. Mais ce qui me fait peur, c’est de voir qu’en Belgique le confinement est léger et pas forcément respecté. J’ai l’impression que les Belges ne prennent toujours pas la mesure de gravité de la situation, malgré un nombre de morts très important. On essaie d’accepter l’idée qu’on ne verra pas nos familles de sitôt, mais c’est très dur.

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