Riccardo di Segni et le pape François © reuters

Holocauste: le Vatican s’apprête à ouvrir les archives sur Pie XII

Le Vif

Plus de deux cents historiens s’apprêtent à plonger dans les archives que le Vatican ouvrira le 2 mars sur Pie XII, le pape le plus controversé de l’Histoire, critiqué pour n’avoir jamais condamné publiquement l’Holocauste nazi.

Il s’agit d’un moment « décisif pour l’Histoire contemporaine de l’Eglise et du monde », a expliqué jeudi le cardinal Tolentino de Mendonça, archiviste et bibliothécaire de la Sainte Eglise romaine.

Le prélat souhaite que l’attention ne se concentre pas uniquement sur l’Holocauste, mais qu’elle touche aussi par exemple « la tumultueuse période de l’après-guerre ».

Décidée voici un an, la mise à disposition de ces documents doit permettre de répondre à la controverse sur Pie XII (1939-1958), qui a commencée tardivement dans les années 60. Et notamment déterminer si le chef de l’Eglise catholique pendant la Seconde guerre mondiale, un ancien diplomate du Saint-Siège en Allemagne, a été trop silencieux et passif, face à la promulgation de lois raciales en Europe et au pire génocide de l’Histoire.

Une prise de parole publique condamnant explicitement les agissements des nazis et le sort des Juifs aurait-elle pu influencer les catholiques allemands et changé le cours de l’Histoire ?

Les détracteurs du Pie XII le pensent. Ses soutiens arguent que des déclarations tonitruantes d’un pape, encerclé dans le Vatican par les nazis puis les fascistes italiens, auraient mis en danger les catholiques en Europe.

La polémique a donné naissance à des dizaines d’ouvrages, dont des best-sellers ravageurs allant jusqu’à parler du « pape d’Hitler » (John Cornwell en 1999).

Une légende grise

Pour le grand rabbin de Rome, Riccardo di Segni, « l’histoire de Pie XII n’est pas +une légende noire+ mais plutôt grise ».

Dans un texte diffusé par la presse italienne, il estime que « les historiens devront travailler comme s’ils étaient dans une chambre stérile et isolée, libres de tout préjugé et influence ». Mais il pense qu’il s’agit d’une utopie, tant le sujet est accaparé d’un côté par des défenseurs à tout crin de Pie XII, de l’autre par des accusateurs inflexibles.

L’historienne italienne Ana Foa ne s’attend à rien de spectaculaire, mais des détails, des confirmations. « S’il y avait des choses justifiant le pape elles seraient sorties, s’il y avait des choses terribles elles auraient été cachées », déclare-t-elle à l’AFP.

Cent cinquante chercheurs du monde entier ont déjà demandé l’accès aux seules « archives apostoliques » centrales du Vatican (anciennes « archives secrètes »), a précisé jeudi Mgr Sergio Pagano, qui chapeaute cette section, mettant à disposition 121 fonds documentaires et 20.000 fascicules sur Pie XII.

Les premiers servis seront des experts du musée-mémorial américain de l’Holocauste et de la communauté juive de Rome, précise-t-il. Les chercheurs se disputeront une vingtaine de places chaque jour.

Mais des dizaines d’autres consulteront d’autres archives significatives. Par exemple, celles de la Congrégation pour la doctrine de la foi (ex-Inquisition). Selon son archiviste, Mgr Alejandro Cifres Giménez, 200 mètres d’étagères abritant 1.749 fascicules sont consacrés aux 19 ans de pontificat de Pie XII. Consultables dans une salle de lecture de 14 places.

Johan Ickx, des archives historiques de la secrétairerie d’Etat (gouvernement central) portant sur les relations diplomatiques avec d’autres Etats proposera « 1,3 million de documents numérisés et répertoriés, pour aider les chercheurs à aller vite », une nouveauté. Il promet la divulgation de choses « très brûlantes » venues de ses rayons.

Les historiens pourront par exemple trouver des documents sur les contacts entre le nonce (ambassadeur du Saint-Siège) à Berlin et les autorités allemandes.

« Il faudra des années pour examiner tous ces dossiers et émettre un jugement historique », estime Mgr Pagano. Selon lui, « rien de surprenant n’a émergé », la période de la Seconde guerre mondiale ayant déjà été grandement dévoilée par l’Eglise en 1981. Il redoute en revanche les amateurs de « scoops » friands des conclusions à l’emporte-pièce.

Vatican oblige, quelques documents de la période resteront secrets, comme les archives documentant le conclave – l’élection du pape – ou les procès à l’encontre d’évêques pendant son pontificat, qui fut le plus long du 20e siècle après celui de Jean Paul II. Enfouis à l’abri des regards dans le bunker des archives du Vatican, qui abrite 85 km d’étagères.

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