Le mouvement de gilets jaunes a été l'occasion pour Cyril Hanouna de donner la parole à des citoyens auxquels les médias l'accordaient peu. © CAPTURE DAILYMOTION (TOUCHE PAS À MON POSTE!)

France: Cyril Hanouna peut-il (dé)faire un président? (décryptage)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Après avoir donné la parole aux « sans-voix », l’animateur historique de Touche pas à mon poste! s’invite dans le champ politique. Pour l’essayiste Stéphane Encel, ce n’est déjà plus que de la télé. Mais quel est son pouvoir d’influence?

« Ce n’est que d’la télé », clame l’animateur vedette de la chaîne C8, Cyril Hanouna, à la fin de son talk-show quotidien sur les médias, Touche pas à mon poste!. Sauf qu’en y invitant de plus en plus souvent des politiques et en créant une émission hebdomadaire consacrée à l’actualité générale, Balance ton poste!, le trublion du paysage médiatique français a pris une autre dimension et acquis un pouvoir d’influence. Une évolution traduite dans un essai par l’historien Stéphane Encel à travers le titre qui s’imposait: Ce n’est pas que d’la télé! (1). Décryptage.

Cyril Hanouna n’a-t-il pas fait oeuvre démocratique en donnant la parole, dans Touche pas à mon poste! , à ceux qui l’avaient peu?

Pour moi, la démocratie, ce n’est pas donner la parole absolument à tout le monde pour dire absolument tout et n’importe quoi. C’est essayer de former le mieux possible des citoyens éclairés à l’intérêt collectif en vue d’un meilleur jugement et d’une meilleure prise de décision. En vertu de cette définition-là, Cyril Hanouna est plutôt un frein à la démocratie qu’un accélérateur.

Privilégie-t-il les tendances extrêmes pour susciter des clashs et, donc, faire le buzz?

C’est assez complexe. Cyril Hanouna donne effectivement la parole à des gens qui n’arrivaient pas à se faire entendre auparavant. En cela, c’est intéressant. Mais son émission relève d’abord du divertissement et son mode de fonctionnement favorise le clash, l’événement.Il va donc inviter des gens qui apporteront ce qu’il recherche, des « grandes gueules », des spécialistes du désaccord, des tenants de positions extrêmes. Cela criera dans tous les sens, être caricature contre caricature. Mais à la fin de l’émission, je ne suis pas certain que l’on aura une meilleure compréhension des choses.

On s’est aussi posé la question pour Vincent Bolloré à propos de CNews, autre chaîne du groupe Canal +: y voyez-vous une démarche à des fins purement commerciales ou également une intention politique?

De la part de Vincent Bolloré, c’est sûr qu’il y a une volonté politique. Il en a le droit. Il s’agit de chaînes privées. A gauche, Pierre Bergé (NDLR: fondateur, avec Yves Saint Laurent, de la maison de couture du même nom, décédé en 2017) a fait la même chose avec Le Monde. Pour Cyril Hanouna, il y a quelques années, je me posais encore la question. Depuis, des études, notamment une recherche du CNRS, ont montré à quel point, et de manière assez maquillée, il a opéré une forme de promotion d’Eric Zemmour. Il en parle énormément et souvent sous un angle victimaire ou valorisant. Je ne pense pas que cela soit par conviction personnelle. Il est plus ambigu que cela en jouant sur plusieurs tableaux, le côté banlieusard, le côté fréquentation des riches et des puissants. Il est souvent dans un grand écart. Non, je crois qu’il agit comme cela pour faire plaisir au patron. Il a d’ailleurs toujours affirmé qu’il fallait être loyal envers ses employeurs, et que lui l’était. Il a d’autres horizons et d’autres ambitions. Donc, il ne veut absolument pas se mettre mal avec Vincent Bolloré.

Stéphane Encel
Stéphane Encel© CAPTURE YOUTUBE (PDATV)

Veut-il peser sur la scène politique?

Il pèse de facto. On contribue à lui faire jouer un rôle. Quand la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, Marlène Schiappa, participe à ses émissions ou déclare qu’il serait tout à fait légitime pour animer le débat de l’entre-deux- tours de la présidentielle, lorsqu’un certain nombre de représentants politiques affirment qu’il participe à la vie démocratique, dès lors qu’il est reçu sur tous les plateaux parce que Christophe Barbier, journaliste politique qui a ses entrées partout, fait un livre avec lui – Ce que m’ont dit les Français (Fayard, 2021, 306 p.) -, c’est une consécration pour Cyril Hanouna. Il joue un rôle de contre-pouvoir assumé.

L’antiélitisme véhiculé par Touche pas à mon poste! est-il dangereux?

Il faut être honnête en reconnaissant que Cyril Hanouna est la quintessence de cette tendance mais que celle-ci est très répandue. Nos sociétés se sont « horizontalisées ». Elles rejettent tout discours vertical, qu’il émane des professeurs, des politiques, des scientifiques… Hanouna tire sa légitimité de ses chroniqueurs installés depuis des années et des réseaux sociaux. On peut d’ailleurs leur faire dire à peu près ce que l’on veut. Hanouna promeut cette forme d’anti-intellectualisme qui l’arrange bien parce qu’au contraire des Ardisson, Ruquier et Fogiel, il a plutôt une faible culture, ce qu’il a toujours assumé. Cela devient cependant problématique quand vous commencez à recevoir des hommes politiques et à parler de sujets complexes. Dans ce genre de situation, comment pouvez-vous encore revendiquer une non-culture et un anti-intellectualisme?

(1) Ce n'est pas que d'la télé! Ce que le système Hanouna dit de la France, par Stéphane Encel, éd. David Reinharc, 136 p.
(1) Ce n’est pas que d’la télé! Ce que le système Hanouna dit de la France, par Stéphane Encel, éd. David Reinharc, 136 p.

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