Carte blanche

« Face à la montée des extrêmes en Europe, promouvoir une coopération euro-atlantique dans la lutte contre la radicalisation »

Plus que jamais, et ce malgré la fin officielle du territoire matérialisé et sanctuarisé de Daech, il faut poursuivre la coopération internationale qui s’est engagée timidement depuis plusieurs années, pour prévenir de nouveaux phénomènes futurs de radicalisation menant à la violence.

Elle est essentielle face au big band djihadiste qui a vu des milliers de jeunes occidentaux rejoindre les rangs de l’Etat islamique avant de se disséminer désormais sur de traditionnelles terres de djihad ou de nouveaux terrains propices dans le monde pour diffuser le message de résistance.

Au-delà de la nécessaire prévention des dérives de la post-adolescence liées au djihadisme, et d’une coopération euro-méditerranéenne sur la question entre les deux rives de la mare-nostrum, nous devons convenir d’un agenda clair et net d’action dans une logique désormais euro-atlantique. Elle est l’urgence, face au risque de radicalisation tout entier de nos sociétés et à la polarisation sur le vieux continent entre montée des tensions communautaires et du risque djihadiste d’un côté et radicalisation croissante des jeunesses liées à l’extrême droite de l’autre.

En la matière, le Canada a une longueur d’avance, puisqu’à Montréal, le Centre de Prévention de la radicalisation menant à la Violence de Montréal est constitué d’une équipe rouée aux processus de dérives des jeunes qui s’engagent dans les mouvements radicaux fascisants, néo-nazis et consorts au Canada. Depuis trois ans maintenant, le centre à compris que la déconstruction des mécanismes de basculement d’une large partie de ces jeunes peut s’appliquer également sur la base de facteurs de vulnérabilité reconnus voire similaires aux jeunes qui s’embarquent dans l’entreprise djihadiste. La mission est rendue plus compliquée à l’heure actuelle car Daech est en veilleuse et que le départ sur la terre de Shams, comme un rite de passage, n’est plus l’indice puis la preuve ultime de l’engagement sans retour. De nombreux jeunes risquent d’adhérer à l’idéologie de Daech, ou ce qui suivra dans les mois à venir, qui elle est plus que jamais présente sur internet et dans les têtes depuis la chute de Raqaa, sa capitale officielle en 2017.

Face au scepticisme ambiant, experts et praticiens des deux côtés de l’Atlantique, doivent convaincre le public et les politiques avant tout que le désengagement a été possible pour des centaines de jeunes qui adhéraient aux convictions des groupuscules d’extrême droite. L’ambition notamment du CPRMV a été d’appliquer aux jeunes, même si peu nombreux qui sont partis en Syrie ou comptaient partir, une prise en charge avec des psychologues et éducateurs qui connaissaient désormais aussi bien l’extrême droite que l’islamisme violent. Le seul gros attentat dont a été victime le pays fut celui perpétré contre la mosquée de Québec et faisant six morts. Il fut commis par un jeune connu pour son penchant ultranationaliste et xénophobe.

La déstabilisation actuelle de l’Europe est réelle, avec la montée des partis politiques populistes qui s’imposent rapidement dans de nombreux pays de l’Est du continent (Hongrie, République Tchèque, Slovaquie, Pologne, etc), et désormais depuis le Sud (dernièrement l’Italie). Racisme, xénophobie, rejet des migrants, islamophobie font le lit de ces mouvements de plus en plus populaires. Il y a des groupes tout entiers de jeunesses néo-nazies dans ces pays, de la Belgique à la Pologne.

La particularité du CPRMV, en reflet de beaucoup d’initiatives européennes, aura été d’avoir été fondé dans le cadre d’une réflexion plus large sur les types de radicalisation, afin notamment de ne pas stigmatiser davantage les communautés musulmanes, mais aussi de faire face aux enjeux qui se dressent devant les États et les sociétés civiles pour les prochaines décennies, notamment ceux de la montée des formes non-religieuses de radicalisation.

Ces formes de radicalisation, généralement catégorisées d’extrêmes droite et gauche, partagent avec le djihadisme tant de points communs au niveau des processus psycho-sociaux et cognitifs des individus qui s’y engagent qu’il convient de les étudier sous l’ombrelle d’un seul grand phénomène international aux racines profondément ancrées dans les contextes locaux et nationaux. C’est d’ailleurs l’un des constats effectués au CPRMV, à force de côtoyer et de faire se côtoyer des jeunes déradicalisés (ou en voie de) issus des diverses familles de radicalisation.

Il est également probable que les formes de radicalisation s’alimentent entre elles dans le même espace collectif. Par exemple, le Québec a vu une nette augmentation des groupes et des discours islamophobes suivant la médiatisation du pseudo-État sous Daech. Inversement, sous la montée des mouvements de la droite xénophobe, de nombreux jeunes musulmans ont été tentés de quitter pour la Syrie et l’Irak, et encore davantage en sont arrivés à une lecture plus fondamentaliste et dogmatique de leur religion. Plutôt naturellement, une augmentation de la visibilité et de la virulence de l’extrême-droite entraîne proportionnellement une augmentation des activités de l’extrême-gauche antifasciste. Comme toutes les formes de radicalisation, cette branche extrémiste de gauche peut en arriver à employer la violence contre ses ennemis idéologiques, ce qui peut être un souci tant pour les États que pour la société civile. On voit là tout l’enjeu de cette action menée au Québec et qui doit être connue et anticipée plus largement en Europe. En effet, et bien que le CPRMV ait été créé et financé par l’État québécois, il s’impose aujourd’hui comme pionnier dans le domaine de la prévention par sa grande indépendance en tant qu’ONG et par la proximité entre ses chercheurs et ses praticiens sur le terrain. Nous sommes bien hélas dans le même radeau face à la glocalisation populiste du monde.

Par Maxime Fiset, chargé de projets au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (Montréal), étudiant en sciences politiques Université Laval (Québec), ancien leader et militant d’extrême-droite. Et Sébastien Boussois, Dr en Sciences politiques, chercheur associé en relations euro-méditerranéennes à l’ULB (Bruxelles), l’UQAM et le CPRMV (Montréal).

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