Franklin Dehousse

Commission européenne : « L’arnaque démocratique du Spitzenkandidat »

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Les élections européennes reposent, entend-on, sur le spitzenkandidat. Chaque parti européen présente un candidat. Celui qui obtient le plus de voix en Europe voit son candidat devenir président de la Commission européenne. C’est censé « rendre l’Europe plus démocratique ». La réalité a révélé le contraire.

1. La démocratie ne consiste pas à désigner celui qui recueille le plus de voix aux élections, mais celui qui recueille une majorité au Parlement. Le jour où l’extrême droite (avec Le Pen ou Wilders candidats), deviendra le parti avec le plus de voix, on le découvrira vite.

2. Le traité n’impose nullement cette pratique. Le président de la Commission est élu par le Parlement européen sur proposition à la majorité qualifiée du Conseil européen, lequel tient compte du résultat des élections. Cela permet au Conseil européen de prendre en considération aussi bien l’existence potentielle d’une majorité, les mouvements de voix survenus aux élections, la nécessité d’une assise représentative à divers égards, et la qualité des candidats (considération larguée aux oubliettes pour le moment).

Que révèle l’expérience ?

3. Le spitzenkandidat devient un instrument de promotion de parlementaires européens, généralement allemands. Ces parlementaires sont, contrairement aux espoirs, peu connus du public, et souvent médiocres. En 2017, aux élections allemandes, Martin Schultz a même fait toute sa campagne électorale sans parler de l’Europe, redécouverte soudain lors des négociations gouvernementales, pour un mandat ministériel. Manfred Weber, candidat actuel du PPE, est encore pire. Il mène campagne en invoquant la démocratie, ayant été le meilleur soutien de Viktor Orban au Parlement européen depuis 2010, permettant ainsi à Orban et associés notamment de recycler depuis neuf ans des milliards de subsides européens en Hongrie.

Aucune importance n’est donnée aux aptitudes ou à l’intégrité des candidats.

4. Les candidats ne sont pas désignés dans des primaires avec électeurs, mais seulement par les appareils de partis selon des modalités obscures. Le spitzenkandidat est l’apogée de la particratie, et non de la démocratie.

5. Il sert aussi la pire bureaucratie européenne. Martin Selmayr a récupéré Jean-Claude Juncker, premier Ministre fatigué et démissionnaire à la suite de sa gestion critiquable des services secrets luxembourgeois, dans sa conquête du pouvoir au sein de la Commission. Juncker est devenu le Michel Daerden européen, Selmayr secrétaire général après une nomination truquée.

6. En 2019, on a encore assisté à une dégradation du niveau des candidats.

7. Enfin, aucune importance n’est donnée aux aptitudes ou à l’intégrité des candidats. Tout cela n’avantage pas l’idée européenne.

Les chefs de gouvernement devraient recourir à une stratégie de qualité, de consensus et de meilleure représentation féminine. Une coalition devrait réunir trois ou quatre partis. Chacun des trois partis importants pourrait obtenir la présidence d’une institution. Mme Merkel serait, par exemple, une bonne candidate chrétienne et allemande (à la différence de Weber ou Weidman), Mme Thorning-Schmidt une bonne candidate socialiste, et il existe plusieurs candidates efficientes chez les libéraux (Mmes Jourová, Malmström et Vestager) et les Verts. L’Europe a besoin de plus de femmes.

Le spitzenkandidat est devenu une caricature de démocratie, dangereuse pour l’Europe. Les gouvernements doivent accorder la priorité à la compétence. Quand les partis donneront aux électeurs des listes européennes et le droit de choisir eux-mêmes les candidats, on pourra toujours y revenir.

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