Franklin Dehousse

« Comment j’aime encore plus l’Europe (et l’ONU) avec le coronavirus »

Franklin Dehousse Professeur à l'ULiège

Récemment, le président Donald Trump a réduit le soutien financier américain à l’ONU, et spécialement l’Organisation mondiale de la santé (il a aussi sabré dans les services épidémiologiques internes aux Etats-Unis, et décrit le coronavirus comme  » une arnaque « , sentiment sans doute peu partagé par la multitude de personnes décédées, hospitalisées ou mises en quarantaine). Seul un génie total du management peut démanteler le service des pompiers juste avant un énorme incendie.

Dans les épidémies, le rôle de l’OMS est crucial. Elle assiste les Etats frappés par les épidémies. Elle centralise toutes leurs informations. Elle distribue les analyses concernant les nouveaux virus. Elle dispose d’un volume considérable de connaissances techniques. C’est vital car les épidémies explosent souvent dans des Etats dépourvus de ces ressources, et il y a un intérêt collectif majeur à les aider rapidement. Sans l’OMS, on multiplierait allègrement les morts.

Dans le même répertoire, Marine Le Pen (elle n’est pas la seule) accuse l’Union européenne de  » ne rien faire  » contre le coronavirus. Elle semble, comme Trump, beaucoup plus active dans l’art de rentabiliser sa fonction que de l’exercer. Il faut vraiment tout ignorer de l’Europe pour croire qu’elle ne fait rien.

L’Union a un marché unique du médicament, qui permet 1. de rationaliser la production, 2. d’harmoniser les formalités d’autorisation dans les 27 Etats membres en réduisant ainsi leur coût, 3. de faciliter les exportations quand des besoins existent. L’Union facilite aussi la circulation des médecins et des chercheurs, utile en temps de crise. L’Union stimule la création de nouveaux médicaments par des brevets renforcés. L’Union encourage des programmes communs de recherche pharmaceutique, plus efficaces et moins coûteux. L’Union a pris des mesures pour renforcer l’information des consommateurs de médicaments. L’Union facilite enfin la circulation – et l’indemnisation – des patients en recherche de traitements plus rapides, plus efficaces et plus économiques. Dans les épidémies, ces acquis sont vitaux. Les ignorer, pour une parlementaire européenne siégeant pendant 13 ans, témoigne d’une incompétence professionnelle abyssale.

L’ONU et l’Union européenne, comme toute création humaine, fonctionnent mal à certains moments. Ainsi, la propagande de la Commission européenne vient de célébrer (ridicule digne de Brejnev) son envoi, en Ethiopie, de vingt-deux commissaires à une réunion avec l’Union Africaine ! On peut difficilement mieux illustrer à quel point il y a deux fois trop de commissaires. De plus, il serait intéressant d’évaluer combien une telle fantaisie coûte au contribuable européen (les commissaires logent rarement au YMCA) et au réchauffement climatique).

Certes, on combat trop peu la mauvaise administration dans les institutions européennes (ce n’est pas leur exclusivité, voir la Belgique). Toutefois, cela ne justifie en rien de déclarer qu’il faut les abandonner, ou qu’elles ne font rien. Leur activité est compliquée et à long terme, mais elle n’est nullement inexistante, bien au contraire. La lutte contre les catastrophes se prépare pendant des années en investissements, en formation, en organisation. On ne peut pas l’improviser en quelques jours. L’Union européenne, comme l’ONU, dans des épidémies majeures comme le coronavirus, sont absolument vitales. Affirmer le contraire, comme le font Trump, Le Pen et autres, constitue pour chacun d’entre nous un discours mortel – au sens tout à fait littéral du terme.

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