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Cali : « Le rugby, c’est ma famille depuis toujours »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

A quel sport vouent-ils une véritable passion ? Pourquoi ? Depuis quand ? Et avec quel impact sur leur vie, privée comme professionnelle ? Cette semaine : le chanteur et écrivain français Bruno Caliciuri, connu sous le nom de Cali, parle de son amour du rugby et, à travers lui, de son attachement pour la Catalogne et la fraternité.

Il est né à Perpignan, en 1968. Sa langue chante d’un accent du Sud, comme elle épouse avec brio la poésie de Léo Ferré sur son dernier album. Bruno Caliciuri, dit Cali, est un homme de tempérament et d’engagement, à gauche, en faveur du progrès. C’est un artiste à fleur de peau, dont les prestations scéniques dégagent une énergie folle, qui a conquis à plus d’une reprise le public belge. Ecrivain aussi, désormais, il égrène ses souvenirs d’enfance dans deux romans récents. Son âme est mariée à cette région où il vit toujours, la Catalogne française. Et par un sport à la fois physique et humaniste.

Pourquoi le rugby est une école de vie

Enfant du sud-ouest de la France, Cali est un amoureux de rugby. Forcément.  » J’ai grandi à Vernet-les-Bains, à quelques kilomètres de Perpignan, en Catalogne. Le seul sport proposé aux jeunes, c’était le rugby. Les filles, les garçons, tout le monde y jouait ! Sur un terrain carrément en pente, avec des trous et des cailloux partout. C’est là que j’ai fait mes premières armes. Pour moi, c’est surtout le synonyme d’une vraie famille. A 6 ans, j’ai croisé des joueurs qui sont toujours mes amis aujourd’hui. J’y ai eu des entraîneurs qui étaient comme des deuxièmes papas. On pouvait avoir des problèmes à la maison, de l’amour ou de la haine, des parents ou pas, ces entraîneurs étaient toujours là. Ça m’a marqué à jamais.  »

On s’y fait mal pour que le copain d’à côté ait moins mal. Un magnifique apprentissage de la vie.

Brillant dans ce sport, où il s’épanouit très vite en numéro 10, le jeune Bruno débute en mini-poussins à Vernet-les-Bains avant de grandir à Prades et à Milhas, faisant même une étape en juniors à l’USA Perpignan. C’est, aussi, une ouverture au monde.  » Avec Vernet-les-Bains, je me souviens que nous avons eu un échange avec le club belge de La Hulpe. A Prades, ça m’a permis de faire mes premiers voyages au pays de Galles, c’était super. Le rugby a été omniprésent durant toute ma jeunesse. Aux parents que je rencontre aujourd’hui, je conseille d’inscrire leurs enfants au rugby. On s’y fait mal pour que le copain d’à côté ait moins mal. Un magnifique apprentissage de la vie.  »

Une source de valeurs profondes, aussi. On oppose souvent le rugby au football, dont le succès planétaire a engendré bien des dérives, financières ou morales. Au-delà de l’engagement physique, le jeu à quinze inspire davantage de respect.  » Il faut faire attention à ce professionnalisme exacerbé qui se développe dans ce sport aussi, relativise Cali. Mais ce qui est certain, c’est que je n’ai jamais vu un match de rugby avec les CRS autour du stade. Au rugby, on peut se chambrer autour du terrain, à la fin du match tout le monde va boire un coup ensemble. Ce sport véhicule une grande fraternité. Le football est beaucoup plus individualiste. Le rugby reste encore, en grande partie, lié aux gens des villages, comme moi.  »

Mon club: Perpignan -
Mon club: Perpignan – « L’identité catalane est capitale. Quand Perpignan a été champion de France en 2009, ça faisait cinquante-cinq ans que ce n’était plus arrivé. C’était l’incendie dans toute la région ! »© Philippe Lecoeur/belgaimage

Pourquoi le rugby est une marque d’identité

Pour Cali comme pour tous ses adeptes, le ballon ovale est un ancrage identitaire. Le signe d’un attachement à ce terroir où le soleil brûle. Une marque de la Catalogne.  » Cette identité est capitale, souligne le chanteur-romancier. Quand Perpignan a été champion de France en 2009, ça faisait cinquante-cinq ans que ce n’était plus arrivé. C’était l’incendie dans toute la région ! Généralement, le bouclier de Brennus, ce morceau de bois qui est le trophée décerné aux champions, est calfeutré derrière une vitrine dans le club house du club vainqueur. Chez nous, pas du tout : il est passé de village en village. On le plaçait sur des sièges en osier et les petits vieux l’embrassaient, pleuraient de joie, se prosternaient… Tout le monde a pu le toucher, le caresser. C’était complètement dingue ! Le monde peut tourner pas trop rond, si le club va bien, ici, tout va bien !  »

Mais il peut aussi se faire le reflet de temps moins réjouissants : en 2014, Perpignan est descendu en Pro D2 et tout le monde a salué  » la chute d’un monument du rugby français « . L’équipe est finalement remontée dans le Top 14, mais elle stagne cette saison à la… dernière place du classement.  » Avec le club en méforme, c’est toute une région qui est malade. On ne parle que de ça. « 

Serait-ce une autre métaphore de cette Catalogne malmenée, à l’heure où sa partie espagnole a tenté de réclamer son indépendance par référendum, avant de subir la répression de Madrid ?  » Ce sont nos voisins, nos frères ! lâche Cali. Ils sont la Catalogne du Sud, nous sommes la Catalogne du Nord. Ce qui se passe là-bas est une vraie tragédie. On voit un peuple qui se déchire, bien sûr, mais aussi une plaie de Franco qui n’est pas refermée.  »

Le quinquagénaire garde cette destinée chevillée au plus profond de son histoire familiale. Son grand-père paternel, Giuseppe, était un Italien qui a précisément combattu avec les brigades internationales contre les troupes du dictateur Franco, lors de la guerre civile, avant de trouver refuge en France.  » Aujourd’hui, quand on voit ce pouvoir madrilène qui descend directement de Franco, avec le roi qui intervient, avec l’ancien Premier ministre Mariano Rajoy qui a géré la situation de façon catastrophique, avec ces Catalans emprisonnés pour avoir organisé un vote et ce parti d’extrême droite, Vox, qui plaide contre eux au tribunal… Nous vivons tout ça de coeur avec nos frères catalans.  »

Le maillot sang et or de Perpignan reflète ce combat identitaire.  » Maintenant, avec le professionnalisme, dans toutes les villes de rugby de France, de nombreux Anglo-Saxons ou de nombreux joueurs de l’hémisphère Sud rejoignent nos équipes. Mais il reste des clubs formateurs magnifiques pour Perpignan et on essaie de garder cette identité.  » Lorsque l’on évoque, au foot, le Barça, ce club-monde qui préserve l’identité catalane dans son stade du Nou Camp, le chanteur acquiesce :  » Oui, je suis d’accord, c’est un peu ça aussi au rugby, dans le Sud-Ouest. Quand Perpignan est en déplacement, partout en France, il y a toujours les apéros au muscat et les symboles catalans qui déferlent. Quand je vais chanter aux quatre coins du monde, il y a toujours des supporters ou des spectateurs qui brandissent le drapeau catalan et qui viennent me parler de rugby à la fin. C’est impressionnant…  »

Mon ami: Franck Azéma
Mon ami: Franck Azéma « Je suis de près la carrière des joueurs de ma génération qui sont devenu entraîneurs, comme Franck Azéma, l’actuel entraîneur de l’ASM Clermont Auvergne, aujourd’hui au faîte de l’Europe du rubgy. Il m’amène voir ses lieux de travail, il me présente ses nouveaux castings, c’est d’un professionnalisme fou. »© Romain Lafabregue/belgaimage

Pourquoi Cali a choisi la musique

Bruno Caliciuri jouait très bien au rugby. Au point qu’il aurait sans doute pu rêver de faire une honnête carrière de professionnel.  » La question s’est posée. Je fais partie de la génération de Marc Lièvremont, qui est devenu entraîneur de l’équipe de France entre 2007 et 2011. Quand nous jouions ensemble en sélection régionale, nous étions à l’orée du professionnalisme. Lui, il a continué à s’investir. Moi, j’ai fait une fugue amoureuse, je suis parti en Irlande et à mon retour, j’avais un peu perdu l’étincelle. J’étais davantage intéressé par la musique et les copains autour de Joe Strummer et de Clash. Quand on a 17, 18 ou 19 ans, c’est difficile de conserver son sérieux. Si on veut être professionnel, je pense qu’on rate des années de jeunesse.  »

C’est d’ailleurs le thème de son deuxième roman, qui vient de paraître : Cavale, ça veut dire s’échapper (éd. Cherche Midi).  » On ne comprenait pas tout, écrit-il dans ce livre, mais à nos âges, tout explosait autour et on ne demandait qu’une chose, exploser avec.  »  » J’ai commencé à chanter et nous faisions la tournée des bals de villages. Mais en restant toujours proche du milieu du rugby parce que les gens savaient que j’en avais fait partie. Je l’ai dit : ça reste ma famille.  »

En 2003, sa carrière de chanteur démarre vraiment avec la parution de son disque L’Amour parfait, vendu à plus de 500 000 exemplaires. Il décroche la Victoire de la musique de la révélation de l’année. Le début du succès. Qui ne l’empêche pas de régulièrement assister à des matchs.  » En ce moment moins, parce que je suis beaucoup sur la route, mais je consulte les scores sur Internet et je lis les analyses. Je regarde de près la carrière des joueurs de ma génération qui sont devenus entraîneurs, comme Franck Azéma ( NDLR : actuellement entraîneur de l’ASM Clermont Auvergne, aujourd’hui au faîte de l’Europe du rubgy, avec qui il fut champion de France 2016- 2017), qui est un ami. Il m’emmène voir ses lieux de travail, me présente ses nouveaux castings : c’est d’un grand professionnalisme Dernièrement, je suis allé assister à un entraînement, il y avait un drone pour filmer les actions et les montrer aux joueurs, directement. Ça me passionne, vraiment…  »

 » Il y a beaucoup d’entraîneurs que j’apprécie beaucoup ! J’ai été attristé quand Guy Novès a été renvoyé de l’équipe de France en 2017. En même temps, j’apprécie beaucoup son successeur Jacques Brunel. Mais au-delà de ça, je reste fasciné par le modèle des « petits anges » : aujourd’hui, au rugby, on peut jouer ailier en mesurant deux mètres et en pesant 110 kilos mais il y a eu une époque où ces ailiers mesuraient 1 m 50 ou 1 m 60 et pesaient 60 kilos. Parmi eux, Didier Codorniou ( NDLR : ancien joueur de Narbonne et Toulouse, un des meilleurs trois-quarts centre du monde des années 1980, devenu homme politique), Philippe Sella, d’Agen, un des plus grands lui aussi, ou Serge Blanco : avec lui, assister à un match de rugby, c’était comme regarder un film d’aventures.  »

Mes héros: Les
Mes héros: Les « anges » : « Il y a eu une époque où il y avait des ailiers qui mesuraient 1 m 50 ou 1 m 60 et pesaient 60 kilos. Parmi eux, Didier Codorniou, Philippe Sella ou Serge Blanco (photo) : avec lui, assister à un match de rugby, c’était comme regarder un film d’aventures. »© belgaimage

Pourquoi le rugby est un art

Cali l’artiste n’oublie pas le rugby. Il a écrit une chanson, Tout ce qui ne reviendra plus, dans laquelle il parle de Pierre Albaladejo et de Roger Couderc, les deux commentateurs mythiques du rugby à la télévision française.  » Avec eux aussi, ce sport devenait une épopée, tant ils avaient de force lyrique. Mais je ne suis pas que vieux jeu : j’ai vu récemment un des plus beaux matchs de ma vie, la demi-finale de la Coupe du monde des moins de 20 ans, remportée par la France contre la Nouvelle-Zélande. J’y amené ma fille, Coco-Grace, c’était merveilleux et le public ne s’y est pas trompé.  » Les Old Blacks néo-zélandais représentent en outre le summum de cet art véhiculé par le rugby.  » Là-bas, les enfants prennent un ballon dès qu’ils savent marcher. Ce n’est pas quelque chose qu’on apprend à l’adolescence, c’est quasiment inné. Et puis, quand on entend cet haka avant le match, c’est d’une puissance monumentale. Le temps s’arrête. C’est de l’art. Il y a un chef d’orchestre, chaque mouvement rappelle les ancêtres. Oui, de l’art !  »

Le rugby continue à couler dans ses veines. A jamais. Comme un talisman.

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