L'Union européenne est privée de sa 2e puissance économique, de l'une de ses deux puissances nucléaires militaires et de l'un de ses deux sièges de membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU. © JOHN THYS /belgaimage

Brexit : un divorce « perdant-perdant »

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Réalisé, le Brexit ? Officiellement oui, ce 1er février. Concrètement, la future relation entre les Vingt-Sept et le Royaume-Uni reste à négocier. Accord ou pas, le divorce aura des conséquences politiques, économiques et diplomatiques majeures.

Bye bye Britain. Le 31 janvier à 23 heures GMT (minuit à Bruxelles), le Royaume-Uni ne fera officiellement plus partie de l’Union européenne. Pour la première fois de son histoire, le club européen enregistre la défection d’un de ses membres. Et non des moindres : l’Union, qui comptait 514 millions d’habitants, en perd d’un coup 67 millions, soit 13 % de sa population. Elle est amputée de sa 2e puissance économique après l’Allemagne, d’où une réduction de 16 % de son produit intérieur brut (PIB). Le coût du Brexit est aussi stratégique et diplomatique : l’UE est privée de l’une de ses deux puissances nucléaires militaires et de l’un de ses deux sièges de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU.

Infographie : les visages de la saga Brexit

Certains s’y sont perdus, d’autres s’y sont trouvés. Certains ont réussi, d’autres ont échoué. Voici les 10 grandes figures qui ont marqué de leur empreinte les « années Brexit ».

Un affaiblissement international mal venu au moment où l’Europe est confrontée au cavalier seul et aux menaces commerciales de l’Amérique de Donald Trump, à la montée en puissance de la Chine de Xi Jinping, à l’agressivité de la Russie de Vladimir Poutine, aux chantages à l’immigration et aux ingérences en Méditerranée orientale (Syrie, Libye, Chypre) de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.

Le retrait britannique prive le budget européen de son 4e plus gros contributeur.

Conséquence immédiate et concrète du retrait britannique : plus de trois ans et demi après le référendum du 23 juin 2016, qui a vu le camp des partisans du  » out  » l’emporter de justesse (51,9 % des électeurs), Londres cesse de siéger dans les institutions européennes et ne participe plus aux décisions communes. Il n’y a pas de commissaire européen britannique dans la Commission d’Ursula von der Leyen, mise en place le 1er décembre dernier. La table du Conseil, où se retrouvent les dirigeants européens, compte une chaise en moins. Après sept mois de mandat, les 73 eurodéputés britanniques plient bagage. Le Parlement européen passe de 751 à 705 députés et 27 sièges sont répartis entre 14 Etats membres sous-représentés au regard de leur démographie. L’Union a nommé son premier ambassadeur auprès du Royaume-Uni, pays tiers à partir du 1er février. Il s’agit du Portugais João Vale de Almeida, ancien porte-parole de la Commission, à l’époque où Boris Johnson était encore journaliste à Bruxelles.

En décembre 2018, manifestation à Londres de partisans d'un Brexit dur, tel que défendu par Nigel Farage.
En décembre 2018, manifestation à Londres de partisans d’un Brexit dur, tel que défendu par Nigel Farage.© DANIEL LEAL-OLIVAS/belgaimage

Combler le trou

Le retrait britannique prive le budget européen de son 4e plus gros contributeur, qui versait au pot commun plus de 12 milliards d’euros chaque année. Soit un manque à gagner d’environ 84 milliards pour le prochain cadre financier 2021-2027. Il faut donc, pour combler le trou, tailler notamment dans la politique agricole commune et la politique de cohésion, deux postes qui pèsent à eux seuls 70 % du budget. Mais s’attaquer à la PAC, c’est heurter la France, son premier bénéficiaire, et raboter le fond de cohésion (qui permet de réduire les inégalités entre régions européennes), c’est mécontenter l’Europe centrale, Pologne en tête, et le sud du continent. Les Etats bénéficiaires ont tendance à considérer ces fonds comme des droits acquis, ce qui rend les discussions houleuses. Pour compliquer la donne, la Commission cherche à financer ses nouvelles priorités : Pacte vert pour le climat et l’environnement – appelé à rafler 25 % du budget total, espère l’exécutif européen -, Fonds européen de la défense, contrôle des frontières européennes…

Pour maintenir les finances communes à flot et investir, les Vingt-Sept sont appelés à mettre la main au portefeuille. La Commission propose de faire passer la participation des Etats membres de 1,03 à 1,1 % de leur revenu national brut, soit un budget total de 1 105 milliards d’euros. Mais l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Suède et l’Autriche souhaitent au contraire réduire les dépenses globales à 1 % du RNB. Premier contributeur des Vingt-Sept, Berlin juge trop salée la note du  » compromis équitable  » de la Commission. La Belgique, dont la contribution se monte à 5 milliards d’euros par an, la verrait augmenter d’environ 800 millions.

Statu quo pendant un an ou plus

Ce 1er février, quasiment rien ne changera dans les relations entre l’Union et le Royaume-Uni. Le statu quo va perdurer pendant la période de  » transition  » au cours de laquelle doivent être négociées, secteur par secteur, les conditions définitives du divorce entre Londres et les Vingt-Sept. Le Royaume-Uni  » brexité  » conservera donc, au moins jusqu’à la fin 2020, tous ses droits d’accès au marché unique et continuera d’appliquer l’ensemble du droit européen, y compris les nouvelles règles adoptées par Bruxelles. Il ne pourra pas signer d’accords de libre-échange avec des pays tiers, Etats-Unis ou autres. Il est prévu que cette période de transition se termine au 31 décembre 2020, sauf si Boris Johnson en demande la prolongation avant le 1er juillet. Ce qu’exclut pour l’heure le Premier ministre britannique : il a gagné les élections générales du 12 décembre dernier sur la promesse d’un  » Get Brexit done  » ( » Réalisons le Brexit « ), assurant que son pays tirera sans tarder profit de la séparation, et les brexiters sont impatients d’en finir.

Or, tout indique que le calendrier est trop serré pour se mettre d’accord sur tous les aspects du nouveau partenariat. On ne cesse de répéter que Londres et les Vingt-Sept ont  » onze mois  » pour définir leur nouvelle relation (un accord de libre-échange, les coopérations futures en matière de sécurité, pêche, finance…). En réalité, c’est moins que cela : le mandat proposé pour donner à l’équipe de Michel Barnier le pouvoir de négocier ne sera adopté par les Etats membres que fin février. De même, il faut déduire des onze mois les semaines au cours desquelles doivent être ratifiés les nouveaux compromis. Ces accords  » mixtes  » exigent le feu vert à l’unanimité des Parlements nationaux et celui de certains parlements régionaux. En octobre 2016, l’accord de libre-échange avec le Canada (Ceta) avait été bloqué pendant une dizaine de jours par le seul parlement de Wallonie.

Chaos aux frontières ?

Le futur partenariat sera d’autant plus délicat à conclure que les Etats membres tiendront à être informés régulièrement de l’état des tractations. A cela s’ajoute une contradiction fondamentale : les négociations d’accords de libre-échange visent habituellement à identifier des convergences, alors que, dans ce cas-ci, l’accord doit permettre des divergences, motivations premières du Brexit. Les Britanniques veulent s’affranchir des règles européennes, voire, craignent les Européens, pratiquer un dumping fiscal et social. Une sortie brutale du Royaume-Uni n’est donc pas exclue, alors que beaucoup pensaient conjurée la menace d’un no deal depuis l’accord de séparation d’octobre dernier. Mais qui prendra la responsabilité de provoquer le chaos aux frontières, des ruptures d’approvisionnement et d’une crise économique aiguë des deux côtés de la Manche ?

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