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« Berlin 1933 »: l’aveuglement de la presse étrangère face aux nazis

Le Vif

Comment la presse internationale a-t-elle pu ignorer la montée de la violence nazie dans les années 1930? Les journalistes n’ont pas su voir les signes annonciateurs de l’horreur en Allemagne, explique le journaliste français Daniel Schneidermann dans son nouveau livre.

80 ans après, alors qu’on connaît toute l’ampleur des exactions nazies, le ton des articles de l’époque parait insupportable: alors que l’on meurt déjà à Dachau, comment le New York Times peut-il écrire qu’on y trouvait « presque l’image idyllique d’un camp de repos »?

Les lois raciales viennent d’être votées. Nous sommes en 1935: comment le correspondant de Paris-Soir peut-il écrire que le 7e Congrès nazi a « dévoilé une Allemagne forte et trépidante »?

Dans « Berlin, 1933 » (Seuil), Daniel Schneidermann guide son lecteur à travers les collections de journaux français et anglo-saxons et dans les récits postérieurs des correspondants.

« Face au surgissement hitlérien, à ses fanfares, à ses menaces, à ses promesses, la langue de la presse étrangère en est réduite à d’inaudibles borborygmes à contretemps », résume le journaliste.

Cette exploration est aussi intime: Daniel Schneidermann s’imagine discutant de ces articles avec sa mère juive, qui a survécu à la guerre.

« Des médias démocratiques auraient pu faire mieux, à commencer par donner la parole aux victimes », regrette Daniel Schneidermann dans un entretien à l’AFP.

Dans les premiers mois du régime hitlérien, « il y a de nombreux signaux faibles qui sont ignorés par les journalistes sur place », regrette-t-il.

– « entre les lignes » –

Bien sûr, la puissance de la propagande et de la censure nazies influencent et limitent la couverture des médias étrangers: une vingtaine de journalistes sont expulsés dans les années précédant la guerre, et ceux qui restent sont étroitement surveillés.

Après-guerre, plusieurs d’entre eux diront qu’il fallait lire « entre les lignes ».

Mais l’antisémitisme et l’anticommunisme des années 1930 poussent aussi les rédactions à ignorer les témoignages les plus effrayants en provenance des rues allemandes où les milices tabassent, et des camps qui se multiplient.

La persécution des Juifs par Hitler n’est aux yeux de nombreux patrons de presse de l’époque « qu’un paramètre parmi d’autres de la partie qui se joue, avec en arrière-fond, la menace de guerre européenne », explique l’auteur.

Dans les kiosques français, les journaux mettent en une les expéditions coloniales de Mussolini et de la guerre d’Espagne.

Dans un « océan d’indifférence », certains « héros oubliés » marquent les esprits par leur clairvoyance et leur engagement même s’ils hurlent alors dans le désert.

L’Américaine Dorothy Thompson, le Britannique Norman Ebbutt et surtout Edgar Mowrer du Chicago Daily News, sont tous expulsés d’Allemagne pour avoir compris comment les nazis cachaient l’horreur sous une patine de normalité.

En France, seul le quotidien communiste L’Humanité, « un tract quotidien contre la barbarie nazie », mais aussi le journal chrétien La Croix, rendent compte progressivement des persécutions avec le ton alarmiste qui convient.

« Berlin, 1933 » est « né de l’effroi Trump », explique Daniel Schneidermann. « Cet effroi incrédule qui a suivi les rires », explique-t-il, disant voir revenir comme un spectre ce « remords rétrospectif » des années 1930, « celui de ne pas avoir su arrêter à temps le train fou ». « Pour l’instant, Trump, c’est plutôt Ubu que Hitler. Mais gardons-nous de préjuger », conclut l’auteur.

Comme de nombreux journalistes, Daniel Schneidermann s’interroge sur l’attitude à avoir face à la montée des populismes.

Si un nouvel Hitler apparaît, le verra-t-on? Un journaliste doit poser les bonnes questions mais peut aussi, parfois, avouer à ses lecteurs qu’il est sidéré par la barbarie. « Je veux espérer que j’aurais inventé, avec mon petit carnet, un moyen de désarmer l’hitlérisme », écrit Daniel Schneidermann.

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