Mélanie Geelkens

Affaire Grégory: Christine Villemin, une sacrée paire tout court (chronique)

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Retour sur l’histoire de Christine Villemin accusée du meutre de son fils alors qu’elle a été blanchie par la justice. 34 ans après le meutre de son fils, les recherches Google à son propos reprennent les mots suivant: « Christine Villemin coupable ». Coupable d’avoir été femme.

Il faisait frais, comme commencent à l’être les journées d’automne, alors elle lui avait mis un bonnet. Le gamin voulait jouer dehors, avec le tas de sable devant la maison – un pavillon de campagne sans ostentation qui attisait pourtant, depuis des années, haine et jalousie d’un mystérieux corbeau. Elle avait du repassage à faire. Elle l’avait laissé seul, pas longtemps, vingt minutes. Christine Villemin n’avait plus jamais revu Grégory. Son fils, son petit, avait été retrouvé quatre heures plus tard dans la Vologne. Les pieds et les mains liés par des cordelettes, le bonnet bleu rabattu sur ses yeux grands ouverts.

Personne ne saura jamais qui a ligoté puis jeté à la rivière le petit garçon de 4 ans. Une seule certitude: ce n’était pas sa mère. Blanchie comme aucun autre inculpé en France ne l’avait jamais été: pour « absence de charge » et non, comme à l’accoutumée, « faute de charges suffisantes ». Innocentée en 1993, dans un non-lieu stipulant que sa participation au drame du 16 octobre 1984 était simplement « invraisemblable et impossible ». Pourtant, trente-quatre ans après le meurtre de son fils, l’une des occurrences les plus recherchées sur Google à son propos reste « Christine Villemin coupable ».

Coupable d’avoir été femme, en fait. D’avoir subi le regard mâle de policiers, venus l’interroger trois mois après les faits, et qui l’avaient trouvée trop belle pour être innocente, habillée d’un pull noir trop « moulant » que pour être réellement éplorée. Ainsi s’était forgée la conviction de culpabilité du commissaire Jacques Corazzi, qui racontait ça sans rire dans un documentaire Netflix diffusé en novembre 2019. Ajoutant que « [le juge Lambert en charge de l’affaire], quand il voit la mère… Il a une fascination. En plus, c’est une femme qui est agréable, qui est – disons le mot – excitante. »

Une « salope »: bien d’autres emploieront l’insulte. Comme le journaliste Jean-Michel Bezzina, l’un des plus virulents instigateurs de la traque médiatique à son égard, surpris par ses confrères à frapper de rage sa voiture en hurlant qu’il aurait « la peau de cette salope » (1). Comme un autre journaliste, qui interpella en ces termes le juge Lambert: « Alors, quand est-ce que tu l’inculpes, cette salope? » Ce même juge qui, lors d’une émission télévisée, n’hésitera pas à digresser quant au « charme indescriptible » de celle qu’il finira par faire emprisonner, bien que n’ayant découvert ni preuve ni mobile.

Pourtant, tous s’étaient méthodiquement employés à lui trouver un amant, une perversion, à défaut d’une raison. Leurs recherches se heurtaient systématiquement à l’amour du couple Villemin, toujours intact. Pour justifier l’inexplicable, même l’auteure Marguerite Duras osera l’inexpliqué, en 1985, dans Libération: un crime presque symbolique, qui aurait été commis pour se libérer de la domination masculine et du fardeau maternel. Alors que la principale intéressée était… enceinte de son deuxième enfant. Comment avait-elle pu, d’ailleurs? Copuler alors qu’endeuillée! Aucun journal ne reprochera pourtant à son mari d’avoir engendré.

Face à « toute cette boue », comme elle la qualifiait elle-même, Christine Villemin a toujours tenu tête à ceux capables d’envoyer une innocente en prison, sur l’unique base de convictions. A la justice, à la police, aux médias, à l’opinion publique sexistes. Forcément sexistes.

(1) Le rôle majeur tenu par ce journaliste est décrit dans l’ouvrage Le Bûcher des innocents (éd. Les Arènes, 2016), de Laurence Lacour, qui raconte cette scène.

C’est ça de gagné

En vingt-cinq ans, le nombre de filles à travers le monde allant à l’école a augmenté de… 180 millions! L’Unesco a fait les (bons) comptes, à l’occasion de la journée internationale de la fille, le 11 octobre. Malgré cette augmentation, l’organisation note qu’elles sont toujours plus susceptibles d’être exclues de l’enseignement que les garçons. A cause de grossesses précoces, de travaux domestiques… et de la Covid qui, dans les régions les plus défavorisées, « exacerbe les inégalités de genre ».

19%

des experts cités dans les articles portant sur le coronavirus étaient des femmes, selon une analyse réalisée par la fondation Bill et Melinda Gates. La recherche portait sur 44.000 articles publiés dans 80 médias de six pays (Etats-Unis, Royaume-Uni, Inde, Kenya, Afrique du Sud et Nigeria). « La pandémie a exacerbé le manque de voix féminines dans les médias », affirme l’étude, qui explique cette absence notamment en raison du caractère « guerrier » de la gestion de la crise, « avec l’idée qu’il s’agit d’une urgence et que les hommes sont mieux équipés pour y faire face. Les femmes sont expulsées. » Combien d’expertes belges interviennent dans les médias, encore?

La phrase

« Il est dommage que les femmes aient encore besoin de quotas pour exister. » La ministre wallonne Valérie De Bue, éjectée du gouvernement wallon pendant… deux heures, s’est exprimée pour la première fois dans Le Soir, le 10 octobre. La libérale a raconté qu’être forcée de démissionner par son président de parti, Georges-Louis Bouchez, pour pouvoir recaser Denis Ducarme à sa place, avait été « comme se prendre un poteau en pleine figure ». Elle en retient la désagréable impression « d’avoir servi de variable d’ajustement » mais assure n’avoir « ni rancune ni amertume ».

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