Carte blanche

29 mai 1453 – 26 mai 2019: L’Europe qui résiste

Il n’y avait pas si longtemps. Un peu plus de cinq siècles, vingt-cinq générations à peine… 29 mai 1453 : Constantinople, coeur de l’empire byzantin, tombait sous les coups de l’agression turque et ottomane. Un massacre d’une cruauté impensable s’en suivit, véritable tropisme génocidaire contre la population chrétienne d’Orient, déjà… Le plus grand traumatisme pour l’Europe d’alors, dont les chroniques se firent abondamment l’écho.

Paradoxalement, c’est à ce moment en effet que le vieux continent prit peut-être conscience pour la première fois de son identité profonde. Car en perdant son poumon droit et la tête « orientale » de l’aigle bicéphale, ancien emblème recyclé de l’empire romain, métaphore de la rencontre mythologique entre les deux rapaces à l’endroit précis marquant jadis le nombril du monde : l’omphalos de Delphes, séjour de la pythie et d’Apollon sol invictus, dieu de la beauté et de la raison, l’Europe eut le sentiment de perdre une partie de son âme, indissociablement liée au christianisme depuis le moyen âge et Constantin, à la fois fondateur de Byzance-Constantinople et propre instaurateur de la religion monothéiste dans son empire d’orient et d’occident.

Sentiment de perdre une partie de son âme sans doute, mais pas seulement au nom du Christ ou d’une religion. De la Grèce antique également dont Byzance et les Byzantins incarnaient l’héritage vivant aux yeux de ces occidentaux (« Latins ») éclairés – Italie de la Renaissance en tête – pour qui faire revivre l’humanisme et l’esprit des lettres classiques était devenu une priorité dans le parfait prolongement du message biblique et en osmose avec ce dernier.

Europe puissance

Dimanche dernier, trois jours avant l’anniversaire de la « catastrophe » qui vit son plus beau fleuron oriental s’effondrer sous le coup de la barbarie et de l’intolérance fanatique, pressentant peut-être le danger de désunion et des ténèbrers qui la guette, l’Europe des citoyens s’est réveillée sous le scintillement de ses étoiles et mobilisée au bruit de son hymne à la joie pour redire globalement son attachement à l’idée européenne, notre maison commune et le destin de nos héritiers, de la Baltique à la méditerranée et de l’Atlantique à la mer Egée depuis Athènes et Rome.

Dans le conflit opposant « libéraux » et souverainistes, technocrates centralisateurs et « populistes » centrifuges, tout le problème consistera à trouver un équilibre entre l’institution normative basée à Bruxelles et l’enracinement, l’authenticité des racines, des modes de vie et des cultures qui composent historiquement l’ancrage européen et lui ont donné sa cohérence.

Pour y parvenir cependant, ne pas oublier la part du coeur, du rêve, des projets visionnaires, du symbole, des idéaux et des valeurs spirituelles qui, au-delà des seules notions abstraites de démocratie, droits de l’homme ou de croissance, ressusciteront l’élan gratuit du sacrifice et du devoir, de l’ambition retrouvée et de la grandeur grâce auxquels ce continent fut, demeure et sera toujours un phare pour les sciences, l’esprit et les arts, dans le brassement et l’embrasement permanent, l’échange des formes et des idées qui, peu à peu, lui ont donné sa physionomie actuelle. Un exemple d’humanité, de raffinement, de beauté, de transcendance et de raison que le monde entier nous envie.

Plus que jamais, le sentiment de fiertu0026#xE9; u0022patriotiqueu0022, au sens europu0026#xE9;en du terme, doit u0026#xEA;tre exaltu0026#xE9; pour ru0026#xE9;sister aux forces extu0026#xE9;rieures qui veulent restreindre notre influence tout en profitant de notre prospu0026#xE9;ritu0026#xE9; menacu0026#xE9;e au mu0026#xE9;pris de notre intu0026#xE9;gritu0026#xE9; culturelle

Plus que jamais, ce sentiment de fierté « patriotique », au sens européen du terme, doit être exalté pour résister aux forces extérieures qui veulent restreindre notre influence tout en profitant de notre prospérité menacée au mépris de notre intégrité culturelle.

Cléobule, l’un des sept sages de la Grèce antique, affirmait : Pan metron ariston, ce que l’on pourrait traduire par « la mesure est toujours la meilleure des choses ». C’est dans cette devise-même que se trouve la vocation intime de l’Europe, miracle d’équilibre culturel dans la synthèse de ses populations à la richesse et à la diversité incomparables pour un territoire aussi réduit, sous le sceau permanent de la foi et de la raison. Ce n’est qu’à ce titre qu’elle redeviendra, les yeux ouverts plus près du coeur, ce qu’elle a toujours été : un véritable empire du… milieu.

Jean-Pierre De Rycke

Historien d’art

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