Pour voyager dans l'espace Schengen, les Kosovars ont besoin d'un visa. © C. MCGRATH/GETTY IMAGES/AFP

20 ans après la guerre, le Kosovo est toujours immobile

Le Vif

A Pristina, l’ambiance est morose pour le vingtième anniversaire de la fin de la guerre avec la Serbie. Car l’UE ferme toujours ses portes.

Dans la capitale du Kosovo, l’horizon disparaît sous une chape de plomb. Le temps est maussade, les esprits aussi. Le 11 juin, les Kosovars ont fêté le vingtième anniversaire de la fin de la guerre avec les Serbes. Cette date, historique, constitue l’acte de naissance du plus jeune Etat d’Europe. Pourtant, personne ici ne semble à la fête. Le pays est au point mort. Sa reconnaissance par la communauté internationale n’est toujours pas acquise. Proclamée en 2008 par le Premier ministre de l’époque, Hashim Thaçi, aujourd’hui président de la république (lire l’interview ci-contre), son indépendance n’est toujours pas reconnue par Belgrade. De fait, cette province musulmane et constituée en majorité d’Albanais a bel et bien appartenu à la Serbie, entre la chute de l’Empire ottoman, en 1912, et la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’elle est intégrée à la République socialiste de Serbie, dans la Yougoslavie de Tito. Elle s’en arrache, pourtant, en 1999, au terme d’un conflit qui a entraîné la mort de 13 000 personnes et contraint à l’exode la moitié de la population, soit 900 000 Kosovars.

Nous sommes au coeur de l’europe, mais nous ne pouvons pas la visiter.

Ignoré par la Chine et la Russie, le Kosovo n’est pas non plus reconnu par cinq pays de l’Union européenne, dont l’Espagne. Pour voyager dans l’espace Schengen, les Kosovars ont donc besoin de visas, une source de frustration, notamment pour les jeunes. Parmi eux, Gentian Krasniqi. Barbe à la hipster, cet étudiant en sociologie de 26 ans a été bercé, durant toute son enfance, par le rêve européen. Aujourd’hui, il a perdu ses illusions.  » Nous sommes au coeur de l’Europe, mais nous ne pouvons pas la visiter, dit-il. Pour aller en Allemagne, il faut attendre trois ou quatre mois pour un simple rendez-vous à l’ambassade ! J’ai assisté à des centaines de conférences sur notre intégration à l’UE, mais je n’y crois plus. L’Europe est un mirage.  » Professeure en science politique à l’université de Pristina, Jehona Lushaku Sadriu ressent la même colère :  » J’ai un visa permanent, car je coordonne le programme Erasmus au Kosovo, mais je ne peux pas me rendre à Bruxelles en famille ! Ce blocage va poser un grave problème politique. La moitié de la population a moins de 16 ans. Que vont devenir ces jeunes, dans un pays qui compte 30 % de chômage ? En désespoir de cause, certains risquent de se tourner vers la religion et de se radicaliser.  »

Ce sujet sera-t-il abordé le 1er juillet, à Paris, lors de la rencontre prévue entre les dirigeants serbe et kosovar, sous l’égide d’Angela Merkel et d’Emmanuel Macron ? A priori, il s’agira de relancer le processus de paix. Les deux pays ont intérêt à s’entendre. Candidat à l’intégration européenne, le président serbe, Aleksandar Vucic, n’a aucune chance d’y parvenir s’il ne signe pas la paix. Pour son homologue kosovar, la perspective de donner un avenir européen à ce  » pays-prison  » est également pressante.

Pour y parvenir, les deux hiérarques évoquent de nombreuses pistes. Parmi elles, l’échange de territoires : le Kosovo céderait à la Serbie une région située au nord (on parle de la zone au-dessus de Mitrovica, où vivent de nombreux Serbes) et récupérerait en échange la vallée serbe de Presevo, à l’est, où réside une minorité albanaise.

Ce projet donne des sueurs froides aux Allemands, qui craignent qu’un tel  » deal  » entraîne un effet domino dans la région. Déjà, le président de l’entité serbe de Bosnie, Milorad Dodik, a laissé entendre qu’il profiterait de l’occasion pour se rapprocher du  » grand frère  » de Belgrade… Pas question, donc, d’ouvrir la boîte de Pandore.

 » Cette idée me rappelle l’esprit des années 1990, s’emporte le père Sava Janjic, moine au monastère orthodoxe de Decani, dans l’ouest du Kosovo. D’ailleurs, ce projet est porté par deux hommes à la crédibilité contestable. D’un côté, Vucic, qui fut, ne l’oublions pas, ministre de l’Information du président serbe Milosevic durant la guerre du Kosovo ; de l’autre, Thaçi, qui fait l’objet de suspicions sur d’éventuels crimes de guerre de la part d’une cour spéciale, domiciliée à La Haye. Je ne pense pas que cette idée de partition réponde aux aspirations des jeunes générations. Redessiner les contours d’un pays selon un critère ethnique n’est pas non plus dans l’esprit européen.  »

Les deux dirigeants trouveront-ils une autre voie ? La route risque d’être ardue, surtout dans un contexte européen en plein chambardement, après les élections. Il faudra aux Serbes et aux Kosovars une réelle volonté politique pour que leur rêve européen ne devienne chimère.

Par Charles Haquet.

« Notre état est le plus isolé d’Europe »

Hashim Thaçi :
Hashim Thaçi :  » Parvenir à un accord gagnant-gagnant. « © H. REKA/REUTERS

Hashim Thaçi, le président de la république du Kosovo, craint un  » conflit gelé « .

Vous rencontrerez à Paris, le 1er juillet, votre homologue serbe, Aleksandar Vucic. Qu’attendez-vous de cet échange ?

J’ai l’espoir qu’il ouvrira la voie à un accord avec la Serbie. Si nous n’établissons pas de bonnes relations avec Belgrade, nous ne rejoindrons jamais l’Union européenne et l’Otan. Nous avons une opportunité en or, et, si nous la ratons, nos enfants paieront pour ce gâchis. Nous entrerons dans une période de  » conflit gelé « , avec un risque d’escalade qui peut survenir à tout moment. J’ai confiance dans le pragmatisme et la vision d’Emmanuel Macron. Il est sensible à ce sujet, il sait que c’est important pour l’Europe.

Quelles concessions êtes-vous prêt à faire ?

Mon objectif est de parvenir à un accord gagnant-gagnant, mais c’est difficile. Je dois convaincre mes concitoyens de normaliser les relations avec un Etat qui, il y a vingt ans, a tué les nôtres. Il y a eu 800 000 expulsés, 400 massacres, 20 000 agressions sexuelles, 1 300 enfants tués… Pourquoi ont-ils subi ces crimes ? Parce qu’ils étaient Kosovars.

Pensez-vous parvenir à supprimer les visas ?

Le Kosovo remplit tous les critères. Le Parlement européen et la Commission ont donné leur feu vert. La décision est maintenant entre les mains des Etats membres. Le Kosovo est le pays le plus isolé d’Europe. Les Kosovars se sentent traités comme des citoyens de second rang. Les leaders européens se rendent compte de notre isolement. Nous devons être patients. Nous n’avons pas d’alternative à l’UE. Mais s’il n’y a pas d’accord sur les visas, il y a un risque de voir monter au Kosovo le nationalisme, le populisme et l’extrémisme.

Craignez-vous d’être mis en accusation par la cour spéciale du Kosovo, installée à La Haye ?

Je suis très fier d’avoir été le leader politique de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK). J’en ai été l’un des fondateurs. Prendre les armes pour combattre le régime de Milosevic était le seul moyen de survivre et de préserver mon peuple. Les Kosovars constatent avec tristesse qu’aucun Serbe n’a été arrêté pour le génocide commis au Kosovo. Mes camarades de l’UÇK et moi, nous n’avons pas violé de lois internationales. Certains individus ont commis des erreurs, mais cela ne peut être mis sur le même plan que le génocide. Si cette cour spéciale me le demande, j’irai témoigner. Je peux aider la justice et la vérité.

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