Trois clés pour réduire sa pollution numérique

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Silencieuse, méconnue, la pollution croissante liée à nos usages du numérique pèse encore plus lourd dans la balance environnementale depuis le contexte pandémique. Au bureau ou à la maison, voici les préceptes pour en réduire l’impact.

Dix recherches sur Google? Deux grammes de CO2, selon l’estimation la plus optimiste. Dix mails sans pièce jointe? Environ 40 grammes. Une heure sur Netflix? De 50 à 120 grammes. A l’échelle mondiale, la pollution liée à nos usages du numérique équivalait à quelque 1.400 millions de tonnes de CO2 par an en 2019, soit près de 4% des émissions globales ou 116 millions de tours du monde en voiture, selon le dernier rapport du collectif d’experts GreenIT.fr. C’était au moins autant que l’aviation civile, disait-on. C’était: car cette comparaison ne vaut plus pour 2020, vu la chute brutale du trafic aérien. Entre l’acquisition massive d’équipements de télétravail et les heures passées devant les séries, les mesures de distanciation sociale et de confinement ont aussi alourdi subitement l’empreinte carbone du numérique. Avant la pandémie, elle augmentait déjà d’environ 10% par an. A cette cadence, les experts estimaient que la pollution numérique pourrait peser 15% des émissions de gaz à effet de serre en 2030. Le coronavirus a rendu ces projections d’avant-crise obsolètes.

En Europe occidentale, chaque personne posséderait près de NEUF équipements numériques, contre seulement CINQ en 2016.

Plus que jamais, le moment est donc propice à une nouvelle prise de conscience, du salon jusqu’au bureau. Les deux mots d’ordre: sobriété numérique. Mise en avant depuis plusieurs années déjà, notamment par le think tank français The Shift Project (1), elle vise autant à réduire la production particulièrement énergivore de nouveaux équipements que l’empreinte carbone des usages ou des infrastructures qui en découle. C’est dans cet esprit qu’Olivier Vergeynst a lancé, le 21 octobre dernier, l’Institut belge du numérique responsable. Après avoir travaillé pendant plus de vingt ans dans le management IT de nombreuses sociétés, il s’est recentré depuis 2018 sur le numérique responsable et accompagnait déjà plusieurs entreprises dans l’adoption de cette démarche. « L’objectif de l’Institut est d’informer le plus grand nombre de citoyens et d’entreprises sur cette nécessité immédiate d’adopter la sobriété numérique et les aider à faire évoluer leurs usages », annonçait-il lors de son lancement, dans le cadre d’une Semaine numérique axée cette année sur un « clic plus écologique ».

Or, c’est bien par la pédagogie que le principe de la sobriété numérique pourra se frayer un chemin. Jusqu’à devenir, un jour, aussi évident que le tri des déchets? C’est encore loin d’être le cas, pour les citoyens comme pour les entreprises. « A l’heure actuelle, ce n’est clairement pas la priorité pour la majeure partie des entreprises, constate Olivier Vergeynst. Il faut réussir à trouver les arguments qui feront mouche et les personnes qui ont envie de faire bouger les choses. En appliquant quelques recommandations, il y a pourtant moyen de réduire de plus de 50% l’empreinte carbone d’une entreprise sur le plan numérique, quel que soit le métier. » Les recettes à appliquer varient selon la nature de l’activité, d’où la nécessité de réaliser en premier lieu un audit des pans les plus néfastes pour leur empreinte carbone. Mais certaines priorités reviennent très fréquemment et valent tout autant pour les citoyens.

1. Moins de nouveaux équipements à utiliser plus longtemps

De toutes les étapes de leur cycle de vie, c’est au moment de leur fabrication que les équipements numériques produisent le plus d’effets néfastes à l’environnement. Extraction de ressources minérales et fossiles, émissions de gaz à effet de serre, acidification de l’eau… La plupart des études considèrent que la seule étape de la production d’un équipement constitue 50 à 80% de son empreinte environnementale totale. Ainsi, selon l’Agence francaise de la transition écologique (Ademe), la fabrication d’un ordinateur portable de deux kilos mobilise 800 kilos de matière première et produit plus de 70% des 169 kilos de CO2 émis tout au long de son cycle de vie. A l’heure actuelle, il existerait environ 34 milliards d’équipements utilisateurs dans le monde. En Europe occidentale, chaque personne posséderait près de neuf équipements numériques, contre seulement cinq en 2016. Cette année, le nombre d’objets connectés en tous genres devrait par ailleurs s’élever à 50 milliards, soit deux fois plus qu’en 2019.

Des qualités d'image inférieures sont largement suffisantes sur de petits écrans comme ceux d'un smartphone ou d'une tablette.
Des qualités d’image inférieures sont largement suffisantes sur de petits écrans comme ceux d’un smartphone ou d’une tablette.© getty images

La mesure la plus efficace pour réduire la pollution numérique consiste donc à acquérir moins de nouveaux équipements, puis à optimiser leur durée de vie. « L’imagination des concepteurs d’objets connectés mène à des services toujours plus nombreux, qui deviennent ensuite des besoins pour une part de plus en plus grande d’utilisateurs », résumait, en août 2019, Anne-Cécile Orgerie, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique en France, dans une interview au Vif/L’Express. Le premier pas vers la sobriété numérique passe ainsi par un questionnement personnel. Faut-il vraiment acheter cette montre ou cette balance connectée? A cela s’ajoutent deux autre pistes, suggérées par Olivier Vergeynst: « Acheter des appareils reconditionnés, récents et sous garantie. De telles offres se développent aussi pour les entreprises. Puis, encourager les utilisateurs à mieux prendre soin de leur matériel, pour en allonger la durée de vie et leur permettre une deuxième vie sur le marché reconditionné. »

2. Mieux choisir ses équipements

Le choix d’un modèle précis d’équipement s’avère lui aussi crucial. De même que certains thermostats connectés envoient sans cesse des informations sur le cloud (le stockage et l’accès aux données par l’intermédiaire d’Internet plutôt que via le disque dur d’un ordinateur), alourdissant leur empreinte carbone, de nombreux équipements engendrent une pollution indirecte partiellement évitable.

Olivier Vergeynst prend l’exemple des caméras de sécurité. « C’est un équipement tout à fait légitime. Mais là où certaines caméras filment en continu et envoient tout sur le cloud, d’autres ne filment et ne transfèrent que les images sur lesquelles un mouvement est détecté. » La même réflexion vaut pour le choix d’écrans de télévision à domicile comme en entreprise, dont la taille est souvent disproportionnée au regard de l’usage qui en est fait. « Les écrans sont particulièrement problématiques en raison des ressources nécessaires et de l’énergie qu’ils consomment à la production comme à l’utilisation. » Moins énergivores, les vidéoprojecteurs disparaissent néanmoins des salles de réunion, au profit de grandes télévisions au cachet plus moderne.

3.De nouveaux réflexes au quotidien

Une fois les équipements acquis, l’utilisateur final peut encore en réduire l’empreinte carbone. Au-delà des équipements en eux-mêmes, qui constituent 47% de la pollution numérique, les infrastructures réseau comptent pour 28% du total et les data centers, 25%, selon l’Ademe. Ce cheminement silencieux de la donnée numérique, qui parcourt en moyenne 15.000 kilomètres, est rarement pris en compte par les entreprises ou les citoyens. « Beaucoup de mauvais choix sont faits sans le savoir, par manque d’information », précise Olivier Vergeynst.

Trois clés pour réduire sa pollution numérique
© Getty Images

Ainsi, la sobriété numérique implique de privilégier une connexion wifi, quand elle est disponible, par rapport à la 4G, jusqu’à trois fois plus énergivore. D’éteindre ses équipements connectés en quittant la maison ou le bureau. De télécharger les musiques et vidéos lues régulièrement, pour ne pas multiplier la pollution causée par le streaming. De réduire précisément ce gouffre à données qu’est le streaming, que ce soit sur Internet ou via les boîtiers des opérateurs de télécommunications. « Environ 80% de la bande passante est aujourd’hui utilisée par le streaming, poursuit-il. Faut-il regarder un journal télévisé en full HD ou en 4K? Peut-être pas. De même, des qualités d’image inférieures sont largement suffisantes sur des écrans plus petits comme ceux d’une tablette ou d’un smartphone. »

Reste qu’une telle philosophie navigue à contre-courant de la tendance actuelle. En 2019, un utilisateur de smartphone consommait, en moyenne et uniquement sur réseaux mobiles, 7 GB de données par mois, contre 3 GB en 2017, selon les chiffres d’Ericsson, l’un des équipementiers de la 5G. En 2025, la consommation moyenne devrait atteindre 25 GB et 35 GB en Europe occidentale. A l’instar de la 5G (lire également l’encadré ci-dessous), plusieurs technologies émergentes devraient faire exploser la demande de données. Là où une vidéo en haute définition à 720 pixels consume 1,5 mégabit par seconde, la réalité virtuelle Full HD en requiert 10, la 4K 16, la 8K 22 et la réalité augmentée 25. Paradoxalement, la raison d’être de la sobriété numérique se voit précisément renforcée à l’aune de cette escalade frénétique.

(1) The Shift Project a mis au point une extension permettant d’estimer les émissions et la consommation électrique liée à votre navigation sur Internet. Il s’agit du Carbonalyser, disponible sur Chrome, Firefox et Google Play.

5G: une empreinte carbone contrastée

Moins d’obstacles techniques, plus de consommation. Comme pour les précédentes générations de réseaux mobiles, la 5G devrait, elle aussi, induire ce que l’on appelle l’effet rebond d’une technologie, à savoir une augmentation de son impact environnemental direct et indirect, au regard de son utilisation plus intensive. Les premières tendances récoltées par Ericsson, un des grands équipementiers de la 5G avec Huawei et Nokia, le confirment: en Corée du Sud, ses premiers adeptes ont déjà consommé 2,6 fois plus de données que les utilisateurs de la 4G. Au Royaume-Uni, 2,7 fois plus. La 5G facilitera en outre le fonctionnement simultané d’un grand nombre d’appareils connectés. Elle est censée pouvoir gérer jusqu’à 2,5 millions d’appareils au kilomètre carré, soit dix fois plus que la 4G.

La question des usages constitue donc le principal défi de la 5G sur le plan environnemental. A quantité de données égale, son infrastructure est en effet annoncée plus économe en énergie que la 4G. « L’apparition d’un mode veille dans les antennes devrait faire baisser la consommation de manière conséquente, expliquait Anne-Cécile Orgerie, chercheuse au CNRS en France, au Vif/L’Express l’année dernière. Un algorithme devra déterminer quand et comment la mise en veille aura lieu. Et c’est cela qui conditionnera le gain d’énergie réel. » Dans les faits, le bilan carbone futur de la 5G dépendra de l’équilibre entre ses usages énergivores et ses applications potentiellement utiles à la réduction des émissions dans de nombreux domaines, des maisons intelligentes jusqu’à l’agriculture en passant par l’essor des services à distance… A supposer qu’elle soit réellement indispensable pour le fonctionnement de ceux-ci.

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