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Pourquoi le commerce d’animaux vivants est en plein essor en Europe

Marie Gathon
Marie Gathon Journaliste Levif.be

Le commerce d’animaux vivants a été décuplé en Europe ces dernières années. L’industrialisation de la chaîne et la course au prix le plus bas sont en partie responsables du transport des animaux sur des distances de plus en plus longues et dans des conditions non réglementaires.

Au cours des vingt dernières années, l’UE est devenue l’un des centres mondiaux d’exportation d’animaux, rapporte le Guardian. Au sein de l’Union européenne, les animaux parcourent des distances toujours plus longues et sont toujours plus nombreux à traverser les frontières pour être abattus dans un pays tiers.

L’UE est depuis longtemps fière de ses normes élevées en matière de bien-être animal et dispose d’une législation sur le transport des animaux depuis 1991. En 2005, la Commission a introduit une nouvelle réglementation sur le transport des animaux qui était alors bien en avance sur le reste du monde. L’année dernière, une résolution du Parlement européen l’affirmait : « L’UE est l’endroit où le bien-être des animaux est le plus respecté et le plus défendu, et elle est un exemple pour le reste du monde ».

Une règlementation non respectée

Mais en 2018, Jørn Dohrmann, un député européen danois, a été chargé de vérifier la bonne application de la règlementation de 2005. Ses conclusions ont été accablantes. La résolution parlementaire qui a suivi son rapport a énuméré des cas de mauvais traitements, de véhicules inappropriés, de surpopulation, de températures élevées, de manquements en matière d’alimentation et d’eau, des rapports d’inspection inégaux, des sanctions très variables en cas d’infraction (amendes dix fois plus élevées dans certains États que dans d’autres) et l’absence de registre centralisé des opérateurs qui commettent des infractions systématiques aux règlements.

Les conclusions de Dohrmann n’étaient que les dernières d’une longue série d’enquêtes (dont certaines menées par la Commission) qui ont révélé que les réglementations étaient violées partout en Europe. « Nous savons depuis des décennies que quelque chose ne va pas », a déclaré l’eurodéputée néerlandaise Anja Hazecamp au Guardian. « Nous pensions vraiment qu’avec la nouvelle réglementation sur les transports, les choses allaient commencer à changer. Mais nous voyons les mêmes vieux problèmes que dans les années 90 ».

« Les États membres disent qu’ils veulent faire quelque chose, mais ils veulent des conditions de concurrence équitables. Et la Commission dit que les États membres doivent prendre des mesures. Donc le statu quo perdure. C’est pourquoi je travaille avec d’autres membres de l’intergroupe sur le bien-être des animaux pour mettre en place une commission d’enquête, pour examiner ce qui se passe. Nous ne pouvons pas attendre deux décennies de plus pour que les choses changent ».

« La Commission ne fait pas son travail », a déclaré la députée Catherine Rowett. « Il est vrai qu’un grand nombre de bonnes pratiques résultent de la réglementation, mais elles ne sont pas assez bonnes – et elles ne sont pas assez appliquées ».

« Ce qui manque, c’est une volonté politique au niveau de la Commission européenne et des États membres pour reconfigurer le secteur européen de l’élevage afin d’éviter de longs trajets », a déclaré Peter Stevenson, conseiller politique en chef de Compassion in World Farming.

Pourquoi des voyages aussi longs ?

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En deux décennies, l’exportation d’animaux vivants s’est développée à un rythme alarmant. Le rapporteur de l’UE affirme que « les voyages longs et très longs sont de plus en plus fréquents ». Le nombre d’exportations d’animaux vivants à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE a triplé, passant de 910 millions d’euros en 2000 à 2.7 milliards d’euros en 2018, selon les données Comtrade des Nations unies.

Les raisons de cette croissance sont complexes. La libéralisation du commerce transfrontalier en Europe et la fragmentation croissante du système agricole ont fait que les producteurs de denrées alimentaires ont de plus en plus tiré parti des variations de coûts dans les différents pays.

Par exemple, les Danois peuvent produire des porcelets à moindre coût que les Polonais (ils ont élevé leurs truies pour donner naissance à plus de porcelets que les autres pays) – mais les Polonais peuvent les élever à moindre coût (leurs coûts de main-d’oeuvre et leurs exigences en matière de bien-être sont tous deux inférieurs). Ainsi, cinq millions de porcelets ont été transportés par camion du Danemark à la Pologne en 2018 pour être transformés en saucisses polonaises.

En outre, l’Union européenne s’est élargie à l’est pour inclure des pays qui ont une population rurale et un secteur agricole importants, mais avec des installations de transformation limitées. Le label de l’UE a rendu leurs animaux encore plus attrayants pour les acheteurs, et la Roumanie, la Slovaquie, la Lettonie et la République tchèque font partie de ceux qui ont créé des secteurs d’exportation.

Moins d’abattoirs, mais plus grands

La tendance à réduire le nombre d’abattoirs, mais à les agrandir, est également un facteur clé. L’année dernière, l’Eurogroupe pour les animaux s’est penché sur ce secteur dans le cadre de son appel à un passage à un commerce de viande et de carcasses plutôt que d’animaux vivants. Ils ont constaté qu’il n’y avait pas de chiffres centralisés – mais que lorsque des chiffres étaient disponibles, le schéma était clair.

La tendance similaire aux États-Unis – où le passage à des abattoirs plus grands s’est produit beaucoup plus tôt. Selon l’Animal Welfare Institute, le nombre d’abattoirs est passé de près de 8 000 en 1970 à un peu moins de 3 000 en 2018. Et au Royaume-Uni, où le Sustainable Food Trust a suivi la situation, le nombre d’abattoirs de viande rouge est passé d’environ 1 900 en 1971 à 249 en 2018.

Tenter de mettre en place des abattoirs mobiles pour éviter de déplacer les animaux ne semble pas être une solution envisageable. En effet, les chiffres de l’industrie indiquent que les coûts liés aux abattoirs mobiles seraient incompatibles avec les attentes des consommateurs modernes. « Les gens ne vont pas acheter de la viande trois fois plus cher – et les coûts de la main-d’oeuvre pour les abattoirs mobiles seraient très élevés », a déclaré au Guardian Rupert Claxton, du cabinet international de conseil alimentaire Gira.

« Si vous êtes un grand éleveur commercial qui veut mettre de l’agneau dans une chaîne de supermarchés, vous devez maintenir le compte bactérien sur la viande afin d’avoir la durée de conservation qui permet à la longue chaîne d’approvisionnement de fonctionner, afin que les gens puissent l’emporter chez eux et le mettre dans leur réfrigérateur pendant une semaine ou 10 jours avant de vouloir le manger. Dans ce cas, vous devez vous rendre dans une grande usine moderne qui peut garantir que toutes ces étapes ont été réglementées et mises en place. L’abattage à la ferme n’est pas une option réaliste ».

Manque de main-d’oeuvre

Les attentes des consommateurs modernes en matière de viande bon marché, ainsi que les problèmes liés à la pénurie de main-d’oeuvre et aux exigences réglementaires, exercent une pression énorme sur les producteurs, a déclaré M. Claxton, soulignant que dans au moins une chaîne de supermarchés, on peut actuellement acheter un poulet pour environ 1,90 £ le kilo (2,25 euros).

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M. Hazekamp partage cet avis. « Tant que nous continuerons à penser que la production d’aliments peut se faire à moindre coût, nous ne résoudrons pas ce problème ».

La députée fait actuellement pression pour qu’une enquête officielle complète soit menée sur cette question. En 2018, Hazekamp et ses collègues ont demandé la création d’une commission d’enquête pour déterminer si les règlements étaient efficaces. « Le climat a certainement changé », a-t-elle déclaré au Guardian. « Le bien-être des animaux n’est plus une question mineure que l’on peut ignorer. »

Les militants pensent que sous la nouvelle commission, dirigée par Ursula Von der Leyen, les choses semblent différentes. « La nouvelle équipe est très différente de ses prédécesseurs », souligne Joe Moran à l’Eurogroupe pour les animaux. « Nous sommes évidemment consternés par la croissance de ce commerce, mais nous sommes aussi maintenant plus optimistes quant aux nouvelles mesures qui seront proposées par la commission qui commencera à s’attaquer à ce problème ».

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