Matthieu Peltier

Philosophie du catastrophisme : pouvons-nous anticiper l’avenir ?

Matthieu Peltier Professeur d’éthique et de philosophie à l’EPHEC. Chroniqueur à La Première RTBF

Catastrophe écologique imminente ? Crise financière systémique à venir ? Guerre mondiale ? La gestion de la cité doit-elle tenir compte des prophéties catastrophistes ou est-elle condamnée à rester dans un rôle de maintenance de l’état présent ? Le changement est-il impossible ? Et si le statu quo était en fait la pire option ?

S’il y a bien une chose difficile et quasi impossible pour les sociétés humaines, c’est de prévoir l’avenir. Quoi qu’on pense du bien de nos technologies dites intelligentes, nous devons bien l’admettre, nous sommes et nous restons absolument nuls en anticipation. La crise de 2008 a surpris quasi tout le monde y compris un paquet d’économistes tout comme le printemps arabe que personne ou quasi personne n’avait prévu. Et on pourrait encore citer l’élection de Donald Trump qui en a surpris plus d’un, jusqu’à l’intéressé lui-même.

Le futur, aujourd’hui comme hier, semble systématiquement nous échapper. Pourtant c’est bien le futur qui, ces derniers temps, fonde un certain nombre de contestations politiques notamment écologiques et nous devons bien le constater, la victoire semble, pour l’instant, acquise à l’immobilisme. La politique, un peu partout en Europe, semble se ramener à un exercice d’équilibriste dont l’effet le plus évident est l’inertie et la dépendance totale aux logiques de croissance et de consommation structurants nos sociétés. Le sentiment de désespoir que cela génère chez les militants est immense et l’horizon semble bouché.

S’il est tout à fait exact que le futur est fondamentalement imprévisible, il nous semble cependant totalement irrationnel de se servir de ce constat pour défendre le statu quo et voici pourquoi :

1 – Les ruptures font l’histoire

L’histoire est jalonnée de crises et de ruptures. La nature elle-même n’obéit pas, quoi qu’on en pense, à des cycles récurrents, elle n’est pas non plus immuable. Le big bang, la création de notre système solaire ou de notre planète sont des évènements naturels majeurs dans notre histoire et ce sont des évènements précis, uniques et situés dans le temps. Ces évènements déterminent un avant et un après. Et l’après ne permet pas le retour à avant. La thermodynamique a même permis de modéliser tout cela : la nature est faite de paliers irréversibles.

Il en va de même pour les sociétés humaines. Rien qu’à l’échelle du 20e et du 21e siècles, on constate un certain nombre de points de bascules irrémédiables, de changements de cap radicaux parmi lesquels : la crise financière de 1929, la première et la Seconde Guerre mondiale, la chute du mur de Berlin, le 11 septembre 2001, etc.

Il serait absolument insensé de miser sur une « fin de l’histoire ». Le changement advient, souvent d’un coup, souvent sans prévenir.

2 – La crise est soudaine et imprévisible, mais son issue est toujours directement liée aux ressources matérielles et intellectuelles disponibles lors de sa survenue.

Être surpris par une déclaration de guerre c’est une chose. S’apercevoir à ce moment-là qu’on ne dispose pas d’armée c’en est une autre. Ainsi l’argument phare de l’immobilisme en matière écologique qui consiste à dire qu’il ne faut pas céder à la peur est un pur sophisme s’il ne s’accompagne pas d’une politique de résilience. Il est probable que les collapsologues se trompent sur la forme, la date et la gravité d’un effondrement, mais il est fort probable qu’ils aient raison sur le scénario de fond d’une augmentation croissante des problèmes écologiques. Ne pas connaitre la forme précise de la crise à venir devrait donc se traduire par un projet politique de résilience. Le problème du système productiviste qui est le nôtre ce n’est pas tant qu’il va générer des crises, c’est qu’il se rend de plus en plus incapable de les affronter en raison d’une série de dépendances toujours plus grandes à des fonctionnements industriels et macro-économiques qui sont condamnés à accélérer pour se maintenir.

3 – Toutes les prédictions ne se valent pas

Il y a une différence entre le millénarisme magique d’un Nostradamus et l’analyse froide des données scientifiques. Si on peut rétorquer à un collapsologue que son scénario catastrophe n’est qu’une supposition, on ne peut pas néanmoins lui affirmer que tout va bien dans le meilleur des mondes. L’analyse des données du GIEC ainsi que de la raréfaction des ressources ne peuvent que donner à conclure à la venue d’immenses problèmes remettant profondément en cause l’ensemble de la vie humaine telle que nous la connaissons. Donc jeter le discrédit, au nom de l’incertitude, sur un mouvement écologique qui se risque à parler du futur c’est oublier que toutes les hypothèses ne se valent pas. Si vous vous trouvez devant un seau qui se remplit à vitesse constante, vous allez probablement prédire de façon assez juste le débordement. Certes ce ne sera pas sûr et certain dans la mesure ou un évènement non-pensé peut éventuellement mettre fin au débit, mais votre hypothèse est toutefois la plus plausible au fur et à mesure que le temps passe et que l’eau monte et ce qui sera déterminant c’est ce que vous aurez mis en place pour faire face à ce débordement.

4 – L’inattendu c’est aussi une raison d’espérer

L’inattendu peut aussi être une bonne surprise. C’est Pierre Larouturou qui raconte comment quelques jours avant la chute du mur de Berlin, on entendait certains spécialistes proclamer que le mur serait toujours debout dans 50 ans. La révolution quand elle arrive surprend toujours tout le monde. Quand Mohammed Bouazizi s’immole par le feu en Tunisie pour dénoncer l’injustice à l’oeuvre dans son pays il n’est pas le premier à recourir à l’immolation. Mais il est le bon, tout le printemps arabe va partir de là. Personne ne sait pourquoi c’est ce moment-là que l’histoire a choisi, mais la révolution tombe alors comme un fruit mur. Rien de magique là-dedans, il est fort probable que toutes les contestations qui ont précédé et dans lesquelles les acteurs devaient se sentir bien impuissants et inutiles ont contribué à structurer un sentiment d’indignation qui a ensuite attendu son étincelle pour exploser. Les militants de la cause écologique d’aujourd’hui ne doivent pas sous-estimer l’importance de ce travail de fond.

En conclusion nous pouvons affirmer que l’hypothèse de la prolongation de l’état de fait est forcément vouée à être infirmée par l’advenue de ruptures. Et que reconnaitre que nous ne connaissons pas la forme et la date de la crise à venir ne justifie en aucun cas une politique de l’autruche au regard des données factuelles dont nous disposons et qui indiquent chaque jour plus clairement la venue d’un séisme majeur. Toutes les courbes sont exponentielles et dans un monde fini le seul scénario qui vaille c’est celui d’une collision frontale avec la limite.

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