Wim Soetaert

« Non, ce n’est pas aux politiciens de trouver une solution pour le climat »

Wim Soetaert Professeur en biotechnologie industrielle à l'Université de Gand

Le professeur Wim Soetart n’attend pas de choix technologiques ou de solutions concrètes de la part des politiciens. Il veut les voir créer un environnement favorable au développement de solutions pour faire face au changement climatique.  » La mesure la plus importante reste la taxation efficace de toutes les émissions de CO2 « .

Depuis plusieurs semaines, le pays est secoué par une série de marches pour le climat et de protestations. Au centre de cette agitation, les politiciens sont directement pointés du doigt. Greta Thunberg est l’instigatrice du mouvement. Elle a, sans aucune gêne, tourné en ridicule les dirigeants et leur a demandé de prendre leurs responsabilités.

Auparavant, chaque problème majeur relatif au climat pouvait être réglé en attirant l’attention du citoyen sur sa responsabilité personnelle . Si vous accordez tant d’importance au climat, vous devez modifier vos habitudes : ne plus utiliser votre voiture, couper le chauffage et ne plus manger de viande. Ce genre de discours est désormais complètement dépassé : conseiller aux gens de porter un gros pull est bien beau mais cela ne règlera pas le problème. Il est grand temps de mettre en place des mesures climatiques plus sérieuses et ambitieuses.

Si je m’en remets au comportement des politiciens, il semble qu’ils ne savent absolument pas comment aborder la situation. Désormais, la solution standard de prendre des mesures insignifiantes, vendre du vent ou faire des discours d’apaisement et repousser les échéances ne fonctionne plus. Oui, mais qu’est-ce qu’ils doivent faire pour sauver notre climat ?

Si les politiciens posent cette question, c’est qu’ils s’attendent à trouver une réponse d’ordre technologique au problème. Ensuite, ils sauront sur quelle technologie ils doivent miser. Puis ils pourront libérer quelques fonds de recherche pour cette technologie et ils pourront se féliciter. Jusqu’à récemment, cela aurait suffi : dépenser un peu d’argent pour calmer les esprits et continuer à faire la même chose.

En outre, les responsables politiques choisissent typiquement la mauvaise solution. Ils dépensent généralement leur argent dans l’une ou l’autre solution miracle high-tech qui pourrait prétendument résoudre le problème, comme la fusion nucléaire ou l’économie hydrogène. Des sommes considérables ont été injectées pendant des années dans ces technologies jusqu’à ce qu’ils commencent à se rendre compte que les réacteurs thermonucléaires actifs étaient depuis bien longtemps une illusion et que l’hydrogène n’est pas une source d’énergie mais seulement un porteur d’énergie.

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Les politiciens doivent simplement avoir le courage d’imposer une taxe sévère de minimum 30 euros pour chaque tonne de CO2 émise

Cette approche revient à survoler les limites du problème. Elle ne résout rien et elle ne coûte rien puisqu’elle ne change rien du tout. Non, si les dirigeants politiques veulent aborder le climat sérieusement, ils doivent oser changer le système. Ils doivent simplement avoir le courage d’imposer une taxe sévère de minimum 30 euros pour chaque tonne de CO2 émise.

Ils ne doivent pas faire plus. La main invisible d’Adam Smith se chargera du reste. En effet, la créativité humaine n’a pas de limite quand il s’agit d’éviter les taxes. Le stimulus financier poussera les gens à modifier leur comportement et à trouver des solutions. Il existe tout un tas d’innovations disponibles pour aborder le changement climatique, que ce soit de nouvelles technologies ou des phénomènes de sociétés. Il suffit de donner à ces innovations une force motrice pour les voir prospérer.

Beaucoup d’entre elles tomberont à plat mais quelques-unes se transformeront en solutions réelles. Une seule solution miracle ne verra peut-être pas le jour mais un ensemble de plus petites solutions peuvent résoudre un gros problème.

Une initiative avait déjà été démarrée via le Système d’échange de quotas d’émission de l’UE (SEQE-UE), lancé en 2005. Néanmoins, ce système n’a pas été efficace : la plupart des secteurs ont échappé à l’initiative et le grand nombre de droits d’émission distribués gratuitement s’est traduit par des prix d’émission incroyablement bas. Mais, grâce à une série de réformes, la taxe carbone a grimpé en flèche depuis début 2018. En un an, son prix a été multiplié par cinq, c’est-à-dire jusqu’à 25 euros par tonne et il continue de croitre. Et l’effet se ressent : tous les projets qui avaient été mis au placard ont reçu un nouveau souffle. Nous avons trouvé le bon chemin avec un peu de retard. Grâce au prix élevé des taxes carbones, les choses changent enfin.

Mais la route est encore longue car il y en a encore plein qui ne payent rien du tout pour leurs émissions de CO2. Voici un conseil pour vous, chers dirigeants : tout le monde doit participer. Tous les secteurs doivent être taxés sans exception sur leur émission de CO2 : transports, chauffage, électricité, industrie et agricole. Cette taxe carbone générale reste un système simple et linéaire grâce auquel notre mode de vie évoluera de lui-même, vers une économie pauvre en carbone. Il ressemble assez bien au système de la TVA : il y a là aussi une accumulation des taxes dans un produit ou un service, qui sont ensuite payées par le consommateur sous forme de TVA. En ce qui concerne la taxe carbone, les produits conçus en Europe pourraient être taxés sur leur lieu-même de production tandis que les produits importés seraient taxés aux péages des frontières. Ce serait une TCA donc, une Taxe générale sur le CO2 ajouté (ajouté à notre atmosphère), pour rendre l’analogie avec la TVA beaucoup plus claire.

Les détracteurs répondent généralement qu’un tel système n’est pas envisageable et est trop complexe. Ils disent n’importe quoi. Les autorités emploient de nos jours une armée de fonctionnaires pour l’organisation de la TVA, le recouvrement des taxes et les douanes. Pourquoi est-ce qu’une taxe carbone ne pourrait pas être recensée ? Ce serait beaucoup plus facile que de calculer la TVA car elle serait basée sur les émissions de CO2 qui ne requièrent que de simples données techniques, facilement mesurables. Quiconque a déjà rempli une déclaration de revenus sait que leur complexité n’est pas du tout un problème insurmontable. Le complexe semble même avoir du bon. Le problème n’est pas du tout d’ordre technique ou organisationnel. Le noeud du problème se trouve plutôt dans le manque de volonté politique et la réticence à changer les choses.

Le changement est toujours difficile. De plus, l’ajout de nouvelles taxes n’est pas forcément un thème de choix pour gagner les élections. Cependant, si les choses ne changent pas, nous allons détruire notre climat sans nous en rendre compte et nous rendrons le futur très difficile. Les politiciens qui ne s’impliquent pas dans le climat sont coupables de négligence. Surtout si cette non-politique est motivée par le fait « que le gouvernement n’a aucune influence sur elle ». C’est absurde car le gouvernement est bien plus puissant que nous le croyons. Regardez ce qui s’est passé avec le diesel. Le changement dans la politique du carburant a mené à une diminution rapide du nombre de voitures diesel. Les stratégies du gouvernement conditionnent notre comportement à grande échelle. Je ne parle pas ici d’une économie planifiée, d’un plan sur cinq ans ou d’autres bêtises dignes d’un régime communiste dépassé. Le gouvernement peut déterminer le futur avec de simples mesures.

Chers politiciens, dans la lutte contre le changement climatique, le gouvernement a toutes les cartes en main pour proposer une vraie transition. Ce n’est pas votre rôle à proprement parler de résoudre ce problème et de faire des choix technologiques. Les politiciens doivent simplement créer un environnement favorable au développement de solutions pour faire face au changement climatique.

La mesure la plus importante reste la taxation efficace de toutes les émissions de CO2. De cette manière, le marché et le temps pourront faire leur travail et notre société évoluera vers une économie pauvre en carbone. Sur papier, l’idée parait simple mais trouver une base politique solide pour cette idée reste bien plus difficile. C’est là que les politiciens entrent en scène. La politique du climat est avant tout une question de gestion et donc de politique. Le peuple est sans aucun doute prêt pour le changement mais les politiciens manquent encore à l’appel. Il est grand temps de passer à l’action.

Wim Soetaert est professeur de biotechnologie industrielle à l’Université de Gand et directeur de Bio Base Europe Pilot Plant.

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