« Les incendies en Amazonie pourraient être le début d’un scénario catastrophe »

Dirk Draulans, biologiste et journaliste au Knack, recommande de ne pas manquer l’essence des messages concernant les incendies dans la forêt amazonienne. L’essentiel, c’est que c’est un désastre.

La forêt amazonienne brûle. Et elle brûle plus gravement que ces dernières années. C’est une catastrophe. Mais la résistance à l’utilisation du qualificatif « catastrophe » s’accroît. Il y a une horde de gens qui profitent de l’incendie de la forêt amazonienne. Et les tactiques classiques de lobbying viennent désormais semer le doute. Oui, c’est idiot que de vieilles photos de forêt tropicale en flammes aient commencé à circuler, d’autant plus qu’il y a déjà de nouvelles photos, même depuis l’espace, qui illustrent à quel point ce qui se passe en ce moment est grave.

Malheureusement, il est inévitable que des scientifiques soient amenés à mettre en doute les messages d’alerte. Il y a toujours des gens au service des lobbyistes qui sont prêts à tout expliquer, pourvu que cela rapporte de l’argent. Ne laissons pas le message que les choses ne vont pas aussi mal aujourd’hui qu’au début des années 2000 être pris pour acquis. C’est exact, mais ce n’est pas la question.

L’objectif doit être de réduire le nombre d’attaques envers la forêt tropicale humide et non de les augmenter. Le fait est qu’après des pertes historiquement élevées dans la forêt amazonienne au début des années 2000, le Brésil était sur la bonne voie : entre 2006 et 2012, il y a eu une réduction de 80% de la déforestation.

Mais le potentat de droite nouvellement élu Jair Bolsonaro veut inverser cette tendance. Il fait partie de ces mécréants qui pensent, premièrement, que le réchauffement climatique n’est pas un problème et, deuxièmement, que la forêt tropicale est un obstacle au progrès économique. Il est un représentant de la politique classique à court terme qui consiste à enfouir sa tête dans le sable pour ne pas avoir à voir les problèmes majeurs.

Les chiffres ne laissent pourtant planer aucun doute. Au XIXe siècle, 14% de la surface de la Terre était couverte de forêts, aujourd’hui 6 %. Dans les années 1970, il y avait environ 5 millions de kilomètres carrés de forêts tropicales brésiliennes, aujourd’hui il n’y en a plus que 4 millions. Au début du XXe siècle, environ 390 milliards d’arbres (avec une circonférence de plus de 10 centimètres) poussaient dans la forêt amazonienne, mais dans les seules années 2017-2018, au moins un milliard d’entre eux ont été détruits. Il y en aura encore d’autres au cours de l’année. Selon le WWF, le taux de déforestation dans la forêt amazonienne cette année est supérieur de 278% à celui de l’an dernier.

La principale information concernant les feux de la semaine dernière est qu’un tel revirement majeur dans la protection de la forêt amazonienne peut se produire très rapidement. La colère de la communauté internationale a tout à voir avec ce revirement et avec la crainte que ce ne soit que le début d’un scénario catastrophe. Le smog qui a frappé la ville brésilienne de Sao Paulo illustre bien l’ampleur des incendies – les cendres venaient parfois de plus de 3.000 kilomètres de là.

Le laissez-passer que Bolsonaro a de facto donné à travers sa politique aux « promoteurs », opérant principalement de manière illégale, a fait son job. Même avec l’envoi de l’armée, les ravages ont déjà été causés : il y aura beaucoup de nouvelles terres disponibles pour le pâturage du bétail et pour la culture du soja et du maïs.

D’ici à ce que les terres déboisées soient pleinement exploitées, une nouvelle vague d’incendies de forêt se déclarera, dans le cas malheureux où Bolsonaro serait toujours au pouvoir. Dans tous les cas, une forêt a besoin d’au moins un demi-siècle et peut-être beaucoup plus longtemps pour se rétablir après un incendie. Les promoteurs sont donc au bon endroit pour un certain temps. Mission accomplished.

Et oui, ce doit être la période des feux de forêt en Amérique du Sud – c’est la saison sèche là-bas. C’est ce que nous entendons dans les messages qui se veulent rassurants. Cependant, le problème est que le réchauffement de la planète en tant que tel exacerbe les effets des incendies. La température moyenne dans la région est maintenant 0,6°C plus élevée qu’auparavant. Cela peut sembler peu, mais cela peut avoir un effet majeur et grandissant sur la forêt.

Cette option est bien illustrée par ce qui se passe en Bolivie. Là aussi, les incendies annuels de forêt dégénèrent. Cela s’explique en partie par la politique tout aussi laxiste du président Evo Morales en matière d’élevage qui, en 2010, a néanmoins été salué dans le monde entier pour avoir été le premier chef d’État à accorder des droits à la nature. Une question de deux poids, deux mesures, semble-t-il.

Mais les rapports en provenance de Bolivie suggèrent, à tout le moins, que les incendies deviennent incontrôlables parce qu’ils sont alimentés par un vent exceptionnellement fort et sec, et par le fait que les arbres eux-mêmes sont plus secs et donc plus inflammables. C’est le scénario cauchemardesque ultime pour les scientifiques spécialisés en forêts : les arbres s’assèchent à cause du réchauffement climatique, ce qui les rend vulnérables et plus susceptibles de mourir, avec comme point d’orgue la possibilité que la forêt tropicale se transforme en savane.

Dans ce processus, une masse de CO2 (le gaz à effet de serre le plus important) sera libérée, ce qui augmentera le réchauffement de la planète. La régulation de l’eau sur une grande partie du globe sera compromise – dans le Centre du Chili, tout le monde se plaint déjà sous le coup d’une pénurie chronique d’eau.

C’est cette peur qui tient en haleine les scientifiques sensés et de plus en plus de politiciens, aujourd’hui encore majoritairement européens. C’est cette peur qui alimente la lutte contre la politique environnementale désastreuse de Bolsonaro. C’est une histoire d’une ampleur très différente de celle montrée sur quelques photographies anciennes qui circulent et d’une histoire de chiffres encore plus élevés qu’il y a vingt ans. Je regrette de devoir conclure de cette manière, mais dans ce contexte, nous devons être encore plus vigilants qu’auparavant pour veiller à ce que nous continuions à voir la forêt qui se cache derrière l’arbre.

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