Carte blanche

« La Terre du Froid » de Pairi Daiza, un projet aberrant

En gardant les ours polaires en captivité, nous admettons que nous ne réussissons pas à préserver ce monde extraordinaire et magnifique et sa nature unique et miraculeuse.

Le nouveau projet de Pairi Daiza est pratiquement passé inaperçu au cours de l’été passé: « La Terre du Froid », un espace de 7000 m² qui comprendra notamment une zone arctique, pour ‘accueillir’ des ours polaires (Ursus Maritimus), ceci à une époque où la plupart des zoos ont sorti les ours polaires de leur « assortiment ». Qu’en est-il des ours polaires? Sont-ils vraiment menacés d’extinction et qu’en est-il de leur santé mentale en captivité? Selon le parc zoologique, ce serait pour aider à la préservation de l’espèce. Mais il n’est pas inopportun de nous demander s’ils n’y voient pas plutôt un investissement rentable?

Pour comprendre pourquoi les zoos se sont intéressés aux ours polaires, il faut revenir quelques années en arrière. Le 6 décembre 2006, deux oursons polaires voient le jour dans un zoo à Berlin. Les deux petits sont rejetés par leur mère peu après la naissance et quatre jours plus tard, l’un des petits décède. L’autre est prénommé Knut. Le soigneur Thomas Dörflein le prend sous son aile et veille sur l’ourson de jour comme de nuit. Le destin de cette boule de poil et sa relation particulière avec son soigneur ont très vite ému le grand public. L’histoire est reprise en masse par les médias. Plus de 11 millions de visiteurs se pressent au zoo de Berlin pour apercevoir la petite merveille. Les millions affluent dans les caisses et « Knut » devient une marque déposée. Il décédera à l’âge de quatre ans.

En Belgique, le Monde Sauvage d’Aywaille détient captif pas moins de trois ours polaires. Le parc a souvent été la cible de scandales qui l’ont discrédité à plusieurs reprises. Durant l’été 2018, il a refait l’objet de vives inquiétudes quant à la santé des ours polaires qui au cours des mois de juillet et août ont dû braver des températures de plus de 30°C, sans avoir le moindre centimètre carré d’ombre. Une équipe du ministre wallon du Bien-être Animal Di Antonio, a été contactée et selon le rapport de l’UBEA les règles ont bien été respectées et les animaux sont en bon état.

Pourtant, une vidéo de l’été passé dévoile des ours au comportement stéréotypé, appelé zoochose, un mouvement de va-et-vient perpétuel qui est une expression directe de la frustration, de l’ennui et signe de dépression.

Les ours polaires sont des mammifères marins et passent une grande partie de leur temps dans l’eau. Ils habitent l’un des endroits les plus froids de la planète, où les températures varient entre 10 et -68 °. Leur fourrure épaisse, constituée de deux couches, est adaptée à ce climat froid. Il va sans dire que les températures élevées peuvent être fatales pour ces animaux. Même dans leur propre habitat, les ours polaires peuvent parfois surchauffer lorsqu’ils courent derrière une proie. C’est aussi la raison pour laquelle ils abandonnent la plupart des poursuites.

En outre, les ours polaires ne sont pas territoriaux. Ce sont des nomades qui suivent les migrations de leurs proies. Ils peuvent ainsi parcourir des milliers de kilomètres à la recherche de nourriture dans une zone pouvant atteindre une superficie de 15.000 km² (soit supérieure à la Belgique). Les maintenir enfermés dans un espace de 3.900 m² est contre nature. Au stress lié à la captivité, s’ajoute celui des badauds et du bruit (passages, flash des appareils photo…) qui en découle. Les animaux sont réduits au rôle d’animaux de cirque, ce qui est un vrai cauchemar pour eux.

Certains défenseurs des zoos diront sans doute que l’espérance de vie des ours polaires en captivité est deux fois plus élevée qu’à l’état sauvage. Mais si nous sommes honnêtes avec nous-mêmes et que nous devons faire le choix entre 20 ans d’une vie intense en totale liberté ou 40 ans enfermé, à supporter des mouvements de foules continus et à jouer à la baballe pour tuer l’ennui, que choisirions-nous ?

La recherche démontre aussi que les ours polaires en captivité deviennent rapidement névrotiques, car leur instinct de chasse naturel ne peut s’exprimer. Ces animaux ne sont plus aptes à vivre en liberté. Pairi Daiza évoque pourtant son souhait de coopérer au programme d’élevage international dans le but de préserver des espèces en voie de disparition. Cela permet de légitimer la détention d’animaux sauvages dans les zoos. Ces mêmes animaux qui, de par leur condition de détention, tomberont très probablement malades et deviendront névrotiques. Nous nous retrouverons d’ici quelques années avec un patrimoine génétique d’animaux affaiblis ce qui ne nous offre aucune perspective encourageante pour l’avenir.

Il est donc étrange que Pairi Daiza ose tenir des discours tels que « nous ne voulons pas laisser mourir les espèces », sachant que les organisations concernées par la préservation des ours polaires dans leur habitat naturel comme bearconservation.org sont absolument opposées à l’élevage des ours polaires en captivité. Les oursons polaires sont mignons à croquer et génèrent de l’empathie chez les visiteurs. Et c’est justement parce qu’ils attirent beaucoup de visiteurs, qu’ils constituent une grande source de revenus pour les zoos. Voilà la réelle motivation : l’appât du gain.

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Sous le slogan « fonction éducative », les zoos ont attiré de nombreux visiteurs et écoles pendant des années. Mais des études récemment publiées ont mis en lumière un tout autre point de vue. La psychologue Gail Melson, a écrit que les cages et les enclos des zoos ne font qu’accentuer la frontière entre les hommes et les animaux. Cela apprend aux enfants que les animaux n’ont pas droit à la liberté ni à la vie privée. Une autre étude publiée dans l’Academic Journal, Conservation Biology, indique que dans 62% des cas, les enfants n’apprennent rien lorsqu’ils visitent un zoo. Ils vont jusqu’à déclarer qu’aucune étude américaine n’a pu démontrer des preuves convaincantes sur le supposé fait que les zoos avaient des fonctions éducatives et ont donc demandé que les zoos cessent d’utiliser cet argument erroné.

Ces dernières années, les zoos se positionnent comme de fervents défenseurs du vivant en parlant de « préservation des espèces en voie de disparition ». Mais dans quelle mesure est-ce fondé ?

Prenons l’ours polaire par exemple, qu’en est-il de sa population dans le monde ? Les ours polaires vivent dans des zones éloignées et difficiles d’accès, de sorte que le nombre exact d’individus n’est pas connu. En 2005, la population était estimée entre 20.000 et 25.000 individus. En 2015, on estimait qu’il y avait 28.500 individus, le chiffre le plus élevé jamais enregistré depuis que ces animaux sont protégés par la Convention internationale de 1973.

Depuis 2008, ils figurent sur la liste rouge de l’UICN, sous le statut « vulnérable ». Mais ce qui menace l’habitat des ours polaires, ce sont les facteurs humains ; pensez à la pollution, à la surexploitation, au changement climatique, au pétrole et au gaz, mais aussi au pistage d’ours polaire.

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Bien que la population d’ours polaires se porte actuellement bien, les zoos ont lancé l’assaut en quête d’un maximum de profit. En gardant les ours polaires en captivité, nous admettons que nous ne réussissons pas à préserver ce monde extraordinaire et magnifique et sa nature unique et miraculeuse.

Avec la technologie actuelle, les zoos pourraient concevoir des mondes en 4D donnant la sensation aux visiteurs d’être entourés d’animaux véritables (cela se fait déjà avec les dinosaures). C’est pourquoi la création de « La Terre du Froid » est un projet aberrant. Cet argent pourrait être utilisé pour préserver le biotope naturel des ours polaires. Tant que nous, humains, ne reconnaîtrons pas notre part de responsabilité dans l’extinction des espèces, la liste rouge de l’UICN ne cessera de croître. Si nous voulons oeuvrer pour un monde viable et durable pour toutes les espèces, il faut attaquer le problème à la source.

Catherine Khalil (experte en préservation des espèces et faune sauvage pour DierAnimal)

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