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Greta Thunberg, montée des eaux, tax shift, Charles Michel: 4 questions au climatologue Jean-Pascal van Ypersele

Le Vif

Le climatologue Jean-Pascal van Ypersele (UCLouvain), ancien vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), a présenté cette semaine à New York un rapport sur les Objectifs du développement durable des Nations unies. Dans un entretien avec Belga, il dresse le bilan d’une semaine onusienne marquée par la question climatique.

Eviter un à deux mètres d’élévation de la mer n’est déjà plus possible

Un rapport très attendu du Giec sur les océans et la cryosphère a démontré mercredi que l’élévation du niveau des mers s’accélérait. « La Flandre prend tout doucement la mesure des menaces qui pèsent sur ses côtes. Si le niveau monte de plus d’un mètre d’ici la fin du siècle, il faudra de très gros travaux de protection, peut-être certaines régions devront-elle à long terme être abandonnées à la mer et à des espaces naturels, car l’exemple néerlandais montre qu’il est impossible de tout protéger par des digues. Cela contraindra la Flandre à des choix difficiles dans les années qui viennent.

Au-delà de la fin de ce siècle, la courbe s’accélère, les rapports du GIEC parlent de plusieurs mètres d’élévation du niveau des mers pour 2300, 2400. Les populations vont avoir tendance à reculer, car vivre derrière des digues n’est pas très sécurisant. Alors oui, on peut infléchir les choses en partie. Mais l’inertie est énorme, la quantité de gaz à effet de serre déjà envoyée dans l’atmosphère est si grande, et le réchauffement associé tellement important, que les conséquences surviendront dans une large mesure, quelles que soient les dispositions que l’on prend. On a tellement tardé… On peut empêcher que ce soit trois, quatre mètres en 2300, mais éviter un à deux mètres de plus n’est déjà plus possible. »

Charles Michel est bien inspiré

Le futur président du Conseil européen a fait du réchauffement climatique la première des priorités, lundi et jeudi à la tribune de l’ONU. Il lui a souvent été reproché par l’opposition, dans la coalition « suédoise », de ne pas agir suffisamment en la matière. « Charles Michel a depuis longtemps porté attention au réchauffement climatique. Quand il était ministre de la Coopération au développement en 2008, peu après être entré en fonction, il m’avait demandé un rapport sur la manière d’intégrer la question des changements climatiques dans la politique de coopération au développement. Il est convaincu que c’est un problème et je lui suis reconnaissant d’avoir répété et tenu ce cap plusieurs fois, en disant notamment que ceux qui nient le réchauffement mènent un combat d’arrière-garde. Il s’est intéressé de près à la loi climat, à la révision de l’article 5bis de la Constitution, qui n’a pas abouti pour des raisons indépendantes de sa volonté. J’ai toutes les raisons de penser que lorsqu’il sera président du Conseil européen, il fera ce qu’il peut, en tenant compte des contraintes de pays qui dépendent très fort du charbon comme la Pologne et d’autres. Il a l’art de dégager des compromis. »

Tax shift environnemental

La présidente-élue de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, préconise un relèvement à 55% de l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et la neutralité carbone d’ici 2050. Or, le rapport du Giec d’octobre 2018 préconise la neutralité carbone en 2050 au niveau mondial. « Il faudrait donc que les pays développés, qui ont une responsabilité historique plus importante, ainsi que des moyens, des connaissances de la technologie et de l’innovation à disposition, fassent plus. La Belgique, elle, est toujours en retard par rapport à la mise en oeuvre des anciens objectifs. Parmi les mesures à prendre, la taxation du pollueur est un élément indispensable pour changer les comportements. Mais il faudra aussi savoir bien utiliser les moyens récoltés pour ne pas créer des problèmes sociaux, pour éviter que les plus pauvres ne subissent un impact disproportionné d’une hausse des combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) et du financement des alternatives plus propres (primes à l’isolation des bâtiments, budgets de transports publics, pistes cyclables, usagers faibles, etc). Il y a une allergie très répandue au mot ‘taxe’, alors qu’à condition de baisser d’autres taxes, on peut garder le niveau global de taxation. Je plaide pour un tax shift environnemental. L’OCDE, qui n’est pas l’officine de Greenpeace, épingle souvent la Belgique comme l’un des pays où la fiscalité environnementale est la plus faible. Elle souligne qu’il y a là une opportunité qu’on ne saisit pas.

Greta, une surdouée ciblée par les semeurs de confusion

L’activiste suédoise Greta Thunberg a été une figure marquante de la semaine onusienne, avec une intervention forte et émouvante lundi à la tribune de l’ONU, ainsi que le dépôt d’une plainte pour inaction climatique contre cins Etats. « Je la soutiens à 200%, depuis plus d’un an. C’est une jeune fille surdouée. Ceux qui ont dit ou écrit qu’elle ne sait pas ce dont elle parle n’ont pas lu son exposé TedX de Stockholm. Elle connaît très bien les principaux concepts scientifiques, les enjeux. Et c’est vraiment elle qui s’exprime. Je suis étonné de ces théories du complot qui disent qu’elle est manipulée. Elle consulte de temps en temps quelques scientifiques – dont j’ai l’honneur de faire partie – pour vérifier un chiffre ou l’autre, ou un détail dans ce qu’elle dit, mais pour l’essentiel, elle se base sur les rapports du Giec et la littérature scientifique. Très solide. Ceux qui ne partagent pas cela sont soit ignares, soit craignent simplement toute forme de changement. Il est alors plus facile pour eux de semer la confusion. C’est tout à fait choquant de voir les attaques de très bas niveau qui portent parfois sur son apparence ou ses interactions sociales. Elle ne cache pas être affectée par le syndrome d’Asperger qui rend ses relations sociales très difficiles. Je l’ai vue plusieurs fois de près, je sais que c’est très difficile pour elle d’être en contact avec une foule, ce qui est très étonnant quand on la voit si entourée ou parler à autant de gens. Après cela, elle est chaque fois très fatiguée. L’attaquer parce qu’elle montre parfois ses émotions, comme ce lundi aux Nations unies, c’est ne pas reconnaître son intelligence émotionnelle, qui est celle de beaucoup de jeunes ayant compris l’importance de la crise du climat et de la biodiversité.

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