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Et si on revoyait notre façon de taxer le carbone ?

Antoine Denis Journaliste

Afin de maximiser nos chances d’arriver vers un taux d’émission carbone nul, une approche intéressante serait d’ajouter des objectifs concrets à court terme. Le but de ces objectifs et d’éviter de se perdre dans des suppositions d’une trentaine d’années minimum.

Ces dernières années, la mise en place d’un tarif sur les émissions de dioxyde de carbone a été considérée comme la politique à adopter en matière de changement climatique. Préférée par les économistes et prétendument non partisane.

Cependant, le dernier numéro de la revue Nature Climate Change contient une étude qui tente d’esquisser une nouvelle approche de la tarification du carbone.

Au lieu d’utiliser la méthode conventionnelle de détermination d’un prix du carbone qui implique des projections climatiques à long terme extrêmement incertaines de la part des scientifiques et toute une série de jugements de valeur sociale de la part des économistes, les auteurs de l’étude préconisent une approche plus modeste, avec des taux liés à des objectifs à court terme et obtenus par délibération démocratique.

Pourquoi la tarification actuelle n’est pas optimale ?

Traditionnellement, les partisans les plus enthousiastes de la taxe sur le carbone se sont appuyés sur deux hypothèses erronées. La première est qu’il existe un prix optimal qui reflète parfaitement l’équilibre entre les coûts des dommages climatiques et les coûts de la décarbonisation. La seconde est qu’une fois ce prix déterminé, une taxe sur le carbone est la meilleure et la seule politique nécessaire. Les autres politiques de réduction du carbone ne feront que fausser l’équilibre parfait du marché atteint par ce prix.

Le prix optimal du carbone est connu dans le monde des affaires sous le nom de « coût social du carbone » (CSC). La prétention de ce coût social est que les économistes additionneront tous les dommages prévus du changement climatique pour déterminer le coût marginal global d’une tonne supplémentaire d’émissions. La taxe sur le carbone sera fixée à ce montant, ce qui signifie que nous achèterons exactement autant de mesures d’atténuation du changement climatique que ce qui en vaut la peine.

Cependant, les économistes qui proposent un prix optimal du et le présentent aux décideurs politiques comme un fait accompli ne répondent pas aux besoins généraux de trois manières principales.

Premièrement, la détermination des dommages causés au climat est extrêmement complexe. Elle implique des modèles construits sur une panoplie d’hypothèses et de données dont beaucoup sont « intrinsèquement incertaines, comme les taux d’actualisation appropriés, les niveaux d’aversion au risque, les questions d’inégalité et les tentatives d’attribuer des valeurs monétaires aux dommages climatiques non économiques ».

Deuxièmement, attribuer une valeur à ces variables implique des décisions sociales et éthiques. Le problème est qu’actuellement, ces dernières sont prises par des économistes plutôt que par le biais d’une délibération démocratique. Les décideurs politiques n’ont aucun moyen réel de savoir quels types de considérations produisent quels types de coûts.

Et troisièmement, les valeurs du coût social du carbone établies par les modèles n’ont aucun lien avec les objectifs politiques qu’ils sont censés servir. Ils ne sont pas conçus pour atteindre des objectifs particuliers et leurs effets sont incertains, ce qui, encore une fois, n’est pas très utile pour les décideurs politiques.

Il existe une meilleure façon de concevoir une taxe sur le carbone

L’étude publiée dans le Nature Climate Change propose un cadre de conception alternatif pour une taxe sur le carbone : une approche à court terme vers le zéro net (NT2NZ — near term to net zero).

Compte tenu des autres politiques en place et d’un ensemble raisonnable d’hypothèses, les auteurs se posent la question du prix du carbone nécessaire pour ramener les émissions à zéro dans les délais prévus ?

Cette approche présente un certain nombre d’avantages. Elle ne nécessite pas de calculs complexes sur les dommages causés par le changement climatique dans les décennies à venir, de sorte que les plus grandes incertitudes soient éliminées et qu’elle puisse produire des estimations de prix beaucoup plus précises et exploitables. L’approche met les décisions fondées sur des valeurs concernant les compromis sociaux et éthiques entre les mains des décideurs politiques plutôt que des économistes.

Un plan en 4 étapes

1) Choisir une date pour atteindre le zéro carbone

La situation climatique est simple : soit le monde atteint des émissions nettes de carbone nulles, soit les températures mondiales continueront d’augmenter. Chaque nation doit atteindre le niveau zéro, le seul choix est de savoir à quelle vitesse. Les différents pays avanceront à des vitesses différentes en fonction de leur situation individuelle, de leur niveau de développement économique et de l’évaluation des risques. Ces décisions doivent être prises publiquement par les décideurs politiques.

2) Élaborer une trajectoire de réduction

Un nombre infini de trajectoires sont envisageables entre les niveaux d’émissions actuels et un objectif de zéro émission. Certaines voies mettent l’accent sur les réductions à court terme tandis que d’autres mettent l’accent sur la recherche et le développement en visant des réductions plus importantes plus tard. Certaines reposent sur l’électrification, d’autres sur les biocarburants, d’autres encore sur l’énergie nucléaire, d’autres encore sur les émissions négatives.

Là encore, les décisions concernant la voie à suivre doivent être prises par les décideurs politiques, en fonction des circonstances et des valeurs nationales.

3) Déterminer le prix du carbone compatible avec la trajectoire des émissions à court terme

Les modèles économico-énergétiques peuvent être utilisés pour estimer un prix du carbone qui permettra d’atteindre l’objectif souhaité. Contrairement aux modèles qui estiment le coût social du carbone, les modèles économico-énergétiques peuvent intégrer les effets de plusieurs politiques, de sorte qu’ils peuvent montrer à une taxe sur le carbone comment jouer en équipe.

Les modèles et leurs projections sont construits sur des hypothèses concernant la trajectoire future des technologies énergétiques, le comportement des consommateurs et les politiques. Ces éléments sont plus difficiles à prévoir à plus long terme, c’est pourquoi ces types de modèles sont généralement plus utiles pour la planification à court terme, c’est-à-dire pour la prochaine décennie. Au-delà de cela, les hypothèses deviennent des suppositions.

4) Répéter périodiquement les étapes 1 à 3

Les connaissances dans les domaines climatologiques, de l’énergie et de la technologie évoluent rapidement. Les décideurs politiques doivent périodiquement fixer de nouveaux objectifs et tracer de nouvelles voies en s’appuyant sur les dernières avancées scientifiques et sur l’opinion démocratique.

Il existe plusieurs façons de procéder à ce type de gestion adaptative. Les prix du carbone pourraient être ajustés automatiquement en fonction de paramètres prédéterminés et augmentés si les objectifs d’émission provisoires ne sont pas atteints, ou réduits si les prix de l’énergie augmentent trop. Les prix pourraient également être ajustés tous les cinq ans dans le cadre d’un processus participatif inclusif.

« Il n’y a rien de nouveau à associer un objectif d’émission à long terme à un ensemble de politiques itératives à court terme », déclarent les auteurs de l’étude. « Le Royaume-Uni, par exemple, a adopté un objectif national d’émissions nettes de GES nulles d’ici 2050 et établit des budgets carbone quinquennaux qui servent de tremplins ». Cette approche cadre bien avec l’accord de Paris sur le climat, qui exige des pays qu’ils soumettent tous les cinq ans de nouvelles contributions déterminées au niveau national.

La politique de l’approche à court terme vers un prix net zéro

Le modèle à court terme semblerait donc être une approche alternative potentiellement efficace en association avec le long terme. Il s’agit d’une approche plus modeste de la tarification du carbone, plus coopérative, transparente, démocratique et plus concrète pour les décideurs politiques.

Attention tout de même, ses forces sont aussi ses faiblesses. Toutes ses mesures seraient susceptibles d’être contestées à chaque fois que les décideurs politiques réexamineraient la taxe. Ce serait l’occasion pour les groupes d’intérêts de réduire à néant tous les efforts passés.

De plus, certains penseront aussi que les décisions complexes comme celle-ci doivent être prises par des experts afin d’éviter des dérives politiques. Mais si le monde veut vraiment atteindre le zéro émission, tous les gouvernements du monde devront finalement se rallier à cet effort.

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