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Des micro-algues pour produire… de l’électricité !

Dans la lutte engagée par les scientifiques pour faire émerger des sources d’énergie alternatives fiables, mais aussi économiquement « réalistes », l’université de Liège travaille actuellement sur un allié minuscule par la taille mais majeur par son potentiel : une micro-algue nommée Chlamydomonas reinhardtii…

Généticienne de formation, Claire Remacle, chargée de cours à la faculté des sciences de l’ULg, est responsable du laboratoire de génétique des micro-organismes. En compagnie de ses collègues Pierre Cardol et Fabrice Franck, respectivement chercheur qualifié et maître de recherches au FNRS (Fonds national de la recherche scientifique), elle étudie cette algue depuis plus de vingt ans.

Ces chercheurs travaillent notamment dans le cadre de deux projets : le premier s’intitule « Sunbiopath » et il est financé par la Communauté européenne ; le second, baptisé « Bema » (Bio-energy out of micro-algae), est supporté par la Région wallonne en collaboration avec des partenaires privés, dont le groupe Lhoist, un important fabricant de chaux.

Des algues magiques

Les différentes recherches menées au Sart Tilman (avec une dizaine de partenaires européens et israéliens en ce qui concerne Sunbiopath) ont un but unique : rendre plus performante la technique qui consiste à « nourrir » des micro-algues avec du dioxyde de carbone (CO2) pour produire de l’énergie.

Le procédé en lui-même est connu et fonctionne selon le schéma suivant : exposées à des rayonnements lumineux qu’elles absorbent grâce à la chlorophylle, les algues extraient de l’eau des électrons qu’elles utilisent pour fabriquer des molécules à haut niveau énergétique. Elles ont aussi la propriété de fixer le CO2 et de l’hydrogéner pour produire de l’amidon, des lipides et des protéines. On peut alors utiliser les algues de deux manières : soit fabriquer du biodiesel grâce aux lipides, soit les mettre dans une unité de biométhanisation pour produire du gaz méthane. Brûlé dans un moteur de cogénération, celui-ci produit alors de l’électricité et de la chaleur.

Une troisième possibilité consiste – mais c’est particulièrement compliqué – à produire de l’hydrogène. « Tout cela a un coût important et lors d’un récent colloque sur la biométhanisation à Berlin, on nous citait des chiffres allant de 2 à 20 euros pour produire un litre de biodiesel ! Ce n’est évidemment pas rentable et c’est là que nous intervenons pour tenter de valoriser au mieux le processus. Les pistes sont nombreuses : on peut jouer sur la manière de faire prendre du poids à l’algue, ou encore sur la façon de lui faire ingurgiter plus de CO2 qu’elle n’en absorbe naturellement. A ce sujet, on sait déjà qu’elle peut supporter 5 % de dioxyde de carbone alors que l’air ambiant n’en contient que 0,038 %. Mais pour « digérer » plus de CO2, il faut aussi plus de lumière et donc… plus d’énergie. La modification de tout paramètre a des conséquences qu’il faut étudier. »

Grâce à des modifications génétiques, les chercheurs liégeois tentent aussi de voir s’il est possible de valoriser les coproduits générés par le processus. « Le but est de fabriquer des coproduits à haute valeur ajoutée, tels que des molécules antigéniques qui pourraient, par exemple, permettre de fabriquer des vaccins contre le choléra. Les possibilités sont vastes mais exigent des recherches longues et minutieuses. »

Pour mener celles-ci à bien, certains travaillent en milieu ouvert, sur de grandes étendues d’eau – douce ou salée – naturellement exposées au rayonnement solaire. « Cela présente des avantages évidents, mais il est difficile d’influencer sensiblement le développement des algues. Celles-ci se développent donc lentement et le volume de liquide à traiter avant d’exploiter les algues est énorme. Par ailleurs, dans nos régions pauvres en rayonnement solaire, on peut envisager, pour des applications à haute valeur ajoutée, de travailler avec des photobioréacteurs, de gros cylindres éclairés par des leds. Comme il s’agit d’un milieu fermé, nous pouvons contrôler la croissance des algues et modifier à loisir les paramètres tels que la quantité de CO2, l’intensité lumineuse, etc. Nous travaillons aussi sur la modification des algues, car celles qui se trouvent le long des parois des réacteurs ont une fâcheuse tendance à empêcher la lumière d’arriver jusqu’à leurs congénères situées au centre. »

Un site pilote en Wallonie ?

On le voit, si le processus n’a plus véritablement de secrets pour les scientifiques, il reste beaucoup à faire pour en arriver à une application économiquement viable. A cet égard, la société espagnole BFS Blue Petroleum, qui exploite cette filière dans son installation pilote d’Alicante, fabrique aujourd’hui un biocarburant au rendement comparable à celui du pétrole d’origine fossile en utilisant le CO2 produit par… une cimenterie voisine. D’après les calculs de BFS, le bilan entre les volumes de CO2 captés et ceux produits pour fabriquer le biodiesel puis le brûler dans les moteurs de voiture aboutit à une élimination finale de 938 kilogrammes de CO2 par baril de 159 litres.

Cette perspective a-t-elle séduit les partenaires du projet Bema soutenu par la Région wallonne ? Possible. De fait, les études menées dans le cadre de ce programme devraient aboutir à la création d’une unité expérimentale alimentée avec le CO2 produit sur un des sites de fabrication de chaux du groupe Lhoist. Celui de Jemelle, en province de Namur ? La question reste ouverte mais, quoi qu’il en soit, il s’agira d’une étape capitale dans le développement de la « filière algues ».

FRANCIS GROFF

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