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Bach Kim Nguyen, l’homme qui murmurait à l’oreille des abeilles

Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

 » Agriculteurs, citoyens, entreprises, villes… Tout le monde peut faire partie de la solution  » pour lutter contre l’effondrement des populations d’abeilles, estime Bach Kim Nguyen. Ce chercheur de l’ULiège y travaille depuis de nombreuses années et a réussi à mettre au point une solution efficace.

Contribution à l’étude du dépérissement des abeilles en Belgique : tel était le sujet de sa thèse de doctorat, à l’ULiège, après des études d’ingénieur en sciences agronomiques à Gembloux. Bach Kim Nguyen est un des rares scientifiques belges à avoir consacré ses recherches aux causes de l’effondrement des populations d’abeilles, domestiques et sauvages (384 espèces recensées en Belgique), constaté à la fin des années 90 et toujours en cours.

« Au départ, on me proposait d’axer ma thèse sur les effets de l’un ou l’autre pesticide, explique-t-il. Mais j’ai préféré adopter une démarche plus holistique. Parce que s’il s’avérait, au bout de ces quatre années de recherches, que les pesticides en question n’étaient pas responsables du problème, je n’avais pas de solution, ni pour les abeilles ni pour les apiculteurs. J’ai donc dressé un inventaire de toutes les causes potentielles de leur mortalité : les maladies -virus, bactéries, acariens, etc.-, les carences de leur alimentation, liées à la problématique de la biodiversité, et la pollution -pesticides, métaux lourds, etc. Lors de mes visites de ruches – en moyenne 5000 par an, à travers toute la Belgique-, j’ai pu constater une cinquantaine de symptômes différents dans les colonies, ce qui montrait bien qu’il n’y avait pas qu’une seule cause à leur mortalité. »

Cette approche globale, décloisonnante, des problèmes semble s’affirmer comme un fil rouge dans le parcours de Bach Kim Nguyen. « J’ai toujours la conviction qui si on se retrouve dans la situation actuelle, d’un point de vue environnemental, c’est parce qu’on a séparé le monde de l’économie, de l’environnement et du social« , affirme ce Tournaisien d’origine, d’ascendance franco-vietnamienne.

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Dans cette perspective de ralliement des forces, Bach Kim Nguyen suit un MBA à la Solvay Brussels School of Economics and Management. Puis il lance son entreprise. « Mais mon modèle de départ n’était pas le bon, reconnaît-il a posteriori. Grâce à mes recherches, j’arrivais à faire vivre les abeilles. Je produisais du miel, et avec les revenus, je produisais des abeilles que je donnais aux écoles d’apiculture et aux apiculteurs. Mais je restais ainsi dans un système centré sur le volume, sur le produit. Je régénérais des populations d’abeilles pour que les apiculteurs continuent leur activité, mais je ne solutionnais pas le problème, je ne sauvais pas l’abeille. »

Les cinq causes principales de la disparition de la biodiversité sont la pollution, le réchauffement climatique, l’utilisation des terres, la surexploitation des ressources et la présence d’espèces invasives

Bach Kim Nguyen comprend que le problème doit être embrassé de manière beaucoup plus large. Au-delà de l’abeille, il y a tous les insectes pollinisateurs, et au-delà des pollinisateurs, il y a la question de la santé humaine et de notre alimentation, puisque sans pollinisation, pas de fruits, ni de légumes. « Tout est lié. Les cinq causes principales de la disparition de la biodiversité sont la pollution, le réchauffement climatique, l’utilisation des terres, la surexploitation des ressources et la présence d’espèces invasives. C’est tout cela qu’il faut solutionner pour sauver les abeilles. Il est probable qu’on n’y arrivera pas pour notre génération. Mais je pense à mes enfants, à mes petits-enfants plus tard. C’est ce qui me permet d’avancer tous les jours. »

10 000 senseurs

Avec BeeOdiversity, l’entreprise sociétale qu’il a créée il y a dix ans, Bach Kim Nguyen et ses partenaires ont eu un coup de génie pour transformer ses recherches en action concrète positive : collaborer avec les abeilles pour évaluer la qualité de l’environnement. « Pendant ma thèse, je faisais dans les ruches de multiples prélèvements : de la cire, des abeilles elles-mêmes, du nectar (qui leur apporte le sucre), du pollen (qui leur apporte des protéines et des acides aminés). En analysant cela en laboratoire, je pouvais évaluer s’il y avait dans leur environnement des pesticides ou des métaux lourds qui pouvait les affecter et déterminer de quelles plantes provenait le pollen afin d’évaluer la biodiversité. Dans une ruche, il y a 50 000 individus, dont 10 000 butineuses, qui voyagent dans un rayon moyen de 1,5 kilomètre. Sur un an, elles ramènent près de 4 milliards d’échantillons. Aucun outil n’est capable de ça. Avec BeeOdiversity, nous avons développé un dispositif placé devant la ruche qui permet de collecter des échantillons tous les jours. On peut donc identifier des pesticides, mesurer la biodiversité, détecter la présence de plantes invasives, analyser s’il y a certaines périodes de l’année où il n’y a pas assez de plantes. » Un service incomparable, par exemple pour des producteurs d’eau qui veulent faire l’état des lieux de leurs vastes zones de captage.

L’objectif de BeeOdiversity est ensuite d’apporter des solutions sur mesure, dans une perspective de collaboration avec toutes les parties prenantes. « Par exemple, si on trouve des pesticides, on proposera aux agriculteurs un plan en plusieurs étapes pour améliorer la situation tout en tenant compte des difficultés économiques qu’ils rencontrent. La première phase, ça peut être d’appliquer les pesticides en soirée plutôt qu’en journée. Ça sera déjà un point positif. Même si l’idée, au final, est d’être un jour capables de ne plus les utiliser. »

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L’urgence du problème est criante, mais la patience et la détermination sont de mise, et finissent par payer. Bach Kim Nguyen a pu s’en rendre compte dans le cadre notamment de sa collaboration avec la commune de Knokke-Heist, entamée en 2014. « Au début, quand il n’y avait qu’une seule personne qui plantait, je ne voyais pas de changement dans mes mesures. Aujourd’hui, ils sont mille à planter chaque année et le nombre d’espèces végétales a quadruplé, on a diminué de plus de moitié la concentration des matières actives les plus lourdes, on a recensé de nouvelles espèces d’insectes, notamment de pollinisateurs. Ça marche ! C’est pour cela que je dis que tout le monde peut faire partie de la solution : agriculteurs, citoyens, entreprises, villes… C’est en donnant la possibilité à chacun d’agir qu’on va améliorer tous les paramètres. »

Active aujourd’hui dans 17 pays différents avec une équipe d’une quinzaine de personnes, à l’origine de plus de 40 000 plantations annuelles et travaillant à réduire plus de 50 pesticides différents, BeeOdiversity souhaite dans le futur rendre ses données accessibles au plus grand nombre. L’entreprise développe actuellement des outils qui permettraient de conseiller à chacun des plantes qui non seulement répondraient à des souhaits esthétiques en matière de couleur, de hauteur et de période de floraison, mais qui en plus permettraient d’améliorer l’environnement, en fonction des analyses dans la zone concernée. Grâce aux abeilles, et pour les abeilles.

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