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Après la mer de plastique, la ceinture d’algues

Muriel Lefevre

L’océan Atlantique connaît un nouveau phénomène saisonnier : une immense  » ceinture  » d’algues flottantes. On serait face à la plus grande prolifération d’algues marines jamais enregistrée. L’ensemble ressemble à un pont végétal de 8 850 kilomètres entre l’Amérique et l’Afrique.

Depuis plusieurs années, les stations balnéaires du golfe du Mexique et de la mer des Caraïbes sont confrontées à une nouvelle menace : les sargasses. Des algues qui une fois sur les plages dégagent un parfum nauséabond d’oeuf pourri. En séchant, elles libèrent de l’hydrogène sulfuré et de l’ammoniac qui peuvent provoquer maux de tête, nausées et vomissements. Les conséquences économiques sont tout aussi désastreuses pour les stations balnéaires touchées puisque cela fait fuir les touristes et paralyse les ports, privant certaines îles et zones côtières de tout approvisionnement. Loin d’être un phénomène ponctuel, la prolifération de ces algues est en réalité le point culminant d’un phénomène qui dure depuis des années, selon la revue Science. Et bien que les macroalgues comme les sargasses se développent mieux dans l’eau de mer plus chaude, le réchauffement climatique n’en est pas la cause principale.

Une énorme ceinture d’algues

Selon les scientifiques, les sargasses arrivent poussées par les vents et les courants depuis une zone détectée en 2011 située entre l’Amérique du Sud et l’Afrique. Les images satellites de la Nasa ont révélé qu’elles formaient une énorme  » ceinture  » qui s’étendait de la côte mexicaine jusqu’en Afrique de l’Ouest. Il s’agit de la plus grande prolifération d’algues jamais vue dans l’océan Atlantique (les images de cette année n’ont pas encore été traitées). Jusque-là, une seule mer de sargasses existait, dans l’Atlantique nord, à l’est des Etats-Unis. Des études ont montré qu’après une première vague en 2015, le phénomène a explosé au Mexique en 2018 avec l’arrivée de 24 millions de mètres cubes, l’équivalent de 3.000 terrains de football recouverts par un mètre de sargasses. Selon la BBC plus d’un millier de kilomètres de plage sur la seule côte mexicaine ont été pollués.

Après la mer de plastique, la ceinture d'algues
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Selon les chercheurs, la conjugaison de différents facteurs a favorisé leur prolifération et l’apparition de cette nouvelle « ceinture ». « Cette dernière contient plus de nutriments (générés par l’activité humaine) que la mer des sargasses d’origine, sans compter les problèmes de déforestation en Afrique et en Amérique du Sud (…) et la désertification en hausse ces dernières années », explique Brigitta Van Tussenbroek, chercheuse à l’Unam (l’université nationale autonome du Mexique). « Tout est anthropique, ce n’est pas quelque chose de naturel », rappelle la scientifique néerlandaise dans De Standaard. Elle souligne encore que les sargasses accélèrent de 10 à 100 fois les changements dans l’écosystème. Des chercheurs d’une université du sud de la Floride, où les plages sont également inondées par les mauvaises herbes, pointent eux vers l’agriculture brésilienne. La prolifération d’algues au printemps coïncide avec un pic d’engrais et autre déchet organique en provenance de l’Amazonie.

Toujours selon les chercheurs de l’Unam , la « pépinière » d’algues se trouve dans la mer des Sargasses qui se trouve dans l’Atlantique Ouest. En janvier, les spores d’algues brunes jaillissent des algues, après quoi les algues se développent avant de fleurir et d' »exploser » en avril. À la fin du printemps, les courants marins poussent ces « mauvaises herbes » vers l’ouest, dans la mer des Caraïbes et dans le golfe du Mexique. Un peu plus tard, un autre courant les pousse vers l’est, en direction de l’Afrique. À partir de juillet la floraison des algues diminue avant qu’elles ne disparaissent complètement en automne.

Désastre écologique

Si en pleine mer, ces algues brunes flottantes sont des  » îles de nourriture  » qui attirent les oiseaux marins et les poissons, plus près des côtes leur présence se révèle plus problématique. Une fois échouées, les sargasses doivent être enlevées au plus vite, car leur décomposition aspire l’oxygène de l’eau et leur traînée sombre bloque la lumière du soleil, éliminant la vie marine.

Après la mer de plastique, la ceinture d'algues
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Tout l’écosystème naturel qui donne cette incomparable couleur turquoise à la mer des Caraïbes se retrouve en danger. Les scientifiques, qui ne savent pas s’il est capable de se régénérer, craignent des conséquences irréversibles. « Cela pourrait se transformer en un désastre écologique », s’inquiète Marta Garcia, une chercheuse espagnole de l’Université nationale autonome du Mexique(Unam), d’autant que le phénomène touche d’autres régions des Caraïbes, comme la Barbade ou la Guadeloupe.

Des bateaux et des idées

Pour y faire face et sauver le tourisme notamment des stations balnéaires de Cancun et Playa del Carmen, le Mexique est en train de construire un premier bateau « Sargaceras », qui permettra d’aspirer les algues de l’océan, et dans certains cas de les conditionner. Il sera prêt d’ici quelques mois et une douzaine d’autres bateaux devraient suivre. Les sargasses stimulent également la créativité des entrepreneurs qui tirent profit de l’algue en la transformant en engrais, briques, papier… et même en chaussures. Omar Vazquez, 43 ans, utilisait les sargasses depuis six ans comme engrais pour les plantes de sa pépinière lorsqu’il a eu l’idée d’utiliser cette algue pour fabriquer des briques. « C’était un retour aux sources », raconte le quadragénaire, qui dit s’être souvenu des maisons de son village natal construites en adobe. Il a commencé par construire une maisonnette de 40 m2 avec des briques composées à 60% d’algues et 40% de matières organiques. Ce modèle d’habitation, déjà reproduit à deux reprises, utilise 20 tonnes de sargasses, transformées en 2.000 briques façonnées entièrement à la main, de la collecte des algues sur les plages à leur séchage au soleil. Avec des certifications officielles qui garantissent leur résistance, le Mexicain a décidé de breveter son invention. Il a implanté une fabrique où sont d’ores et déjà stockées 100.000 briques qui devraient servir à la construction par un groupe hôtelier d’un nouveau complexe dans une station balnéaire de la côte, assure-t-il.

Après la mer de plastique, la ceinture d'algues
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Une autre jeune femme soucieuse d’environnement, Victoria Morfin, 18 ans, s’est lancée dans le recyclage des cahiers usagés à la fin de l’année scolaire. Pour les transformer à nouveau en papier, elle avait besoin de cellulose et la montagne de sargasses arrivées sur les plages à quelques mètres de sa maison lui a permis de trouver la solution. Les premières expérimentations ont eu lieu chez elle début 2019, avec l’aide de sa mère. Ses produits ont alors tapé dans l’oeil d’une imprimerie de la région qui a décidé de s’associer au développement et à la commercialisation de ce nouveau type de papier. « Nous consommons déjà près de 200 kilos (de sargasses) par semaine », explique Victoria Morfin. Adrian Lopez recycle utilise lui les sargasses pour fabriquer des semelles. « Une chaussure est faite à partir de cinq bouteilles PET et de 100 grammes de sargasse », explique l’entrepreneur de 41 ans. La production est toujours en phase expérimentale et vise, avant tout, à apporter des solutions à cette crise environnementale.

Les Sargasses pas les seules algues à proliférer

Les sargasses ne sont d’ailleurs pas les seules algues en pleine prolifération. Une autre algue qui apparaît de plus en plus souvent dans les zones côtières est l’algue verte Ulva.

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Cette algue (aussi appelée laitue de mer) au doux parfum d’oeuf pourri a hypothéqué les compétitions de voile des Jeux olympiques de Pékin. En Bretagne, aussi, il n’est pas rare de voir les baies envahies par des algues vertes (voir encadré). Selon Leliaert, du Jardin botanique de Meise, ces phénomènes sont appelés à se reproduire et nous serons, dans le futur, confrontés de façon plus régulière à des vagues d’algues de plus en plus imposantes.

En Bretagne le retour des algues vertes inquiète

Bien qu’il ne s’agisse pas des mêmes algues, la Bretagne aussi est confrontée à des vagues d’algues. Plusieurs baies bretonnes, dont celle de Saint-Brieuc, sont de nouveau envahies d’algues vertes alors que s’ouvre la saison estivale. Cinquante ans après leur apparition, les marées vertes suscitent toujours la colère et des associations réclament des mesures plus contraignantes. « Cette année, les algues vertes sont arrivées avec six semaines d’avance et six plages sont fermées », a relevé André Ollivro, coprésident de l’association Halte aux marées vertes (HMV). Ces algues libèrent en se décomposant du sulfure d’hydrogène (H2S), gaz potentiellement mortel. C’est à proximité d’une des plages d’Hillion qu’un joggeur avait été retrouvé mort en septembre 2016 dans une vasière. L’enquête avait été classée sans suite en avril 2017. Moins de 5% du littoral breton est toutefois concerné par ce fléau, documenté dès 1971 et qui a culminé dans les années 2000. La baie de Saint-Brieuc, vaste et peu profonde, concentrait mi-juin 70% des surfaces d’échouages du littoral breton, selon Sylvain Ballu, chercheur au Centre d’étude et de valorisation des algues (Ceva). Conséquence de la présence dans les cours d’eau de nutriments dont se nourrissent les algues, notamment d’azote, utilisé en agriculture (engrais et déjections animales), les algues se transforment en marées vertes dans certaines baies grâce à des conditions météorologiques et topographiques favorables. En cause, des milliers de fragments d’algues insuffisamment dispersées en hiver, un printemps lumineux et chaud, puis de fortes précipitations en juin qui ont fait grimper le débit des cours d’eau, donc l’apport de nitrates.

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