Carte blanche

A quand un Prix Nobel d’Ecologie ?

Et bien non, notre modèle économique et technologique ne sauvera pas la planète, comme l’affirment messieurs de Salle et Ernst dans La Libre du 23 avril.

A lire ces derniers, un problème technique pourrait forcément être résolu par une meilleure technique. Mais cette croyance en l' »écologie bleue » omet un constat : la plupart des enjeux dit techniques actuels sont essentiellement éthiques, politiques et culturels. La question ne se limite donc pas, par exemple, à produire autrement de l’énergie. Elle est fondamentalement de savoir dans quel type de société nous voulons vivre et quel regard nous portons sur celle-ci.

« Il faut obéir aux forces auxquelles on veut commander ». Cette maxime de Francis Bacon nous rappelle que nous sommes minuscules par rapport aux forces en présence et que pour « changer les choses » nous avons à connaître les lois du changement. L’une d’elle nous intéresse particulièrement: le vrai changement a nécessairement 2 dimensions. Illustrons-le par cet exemple : une personne sytématiquement en retard ne deviendra plus ponctuelle que si elle change son organisation ET ce qu’elle pense du fait d’être à l’heure. Se contenter d’inscrire moins de réunions à son agenda n’aura que peu d’efficacité pendant quelques jours seulement si elle n’intègre pas l’idée que finalement la ponctualité est agréable et efficace. Alors, et alors seulement, elle pourra devenir ponctuelle.

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Ce qui est vrai individuellement l’est aussi collectivement en matière d’écologie.

Tout le monde est favorable au RER, évidemment. Mais beaucoup d’automobilistes le pensent nécessaire avant tout pour qu’il y ait moins de monde sur « leur » autoroute. Le RER ne sera donc utile à la société que s’il est construit ET que de nombreuses personnes envisagent de l’utiliser.

Pensons encore à deux manières de regarder une éolienne. La première consiste à la voir comme une simple alternative au charbon ou au nucléaire qui ne change pas grand chose à notre quotidien, un peu comme changer de banque. La seconde serait de (rece)voir l’éolienne comme un signal qui nous dit que l’époque de l’énergie abondante est terminée et que nous allons changer en profondeur nos habitudes et nos pratiques.

Réussir une transition énergétique nécessite dès lors de produire autrement ET de penser autrement; de jouer mieux ET de changer les règles du jeu. Ce double impératif peut se décliner de différentes façons :

  • Il est absolument nécessaire de modifier en profondeur notre fiscalité dont les énormes lacunes ont permis le développement anarchique d’un transport aérien glouton au détriment du rail ou celui des GAFAMs au détriment des entreprises européennes. Mais cela ne suffira pas. La fiscalité se base sur une comptabilité dont nous devons aussi réinventer les règles. En effet, la pollution causée par une entreprise n’apparait pas aujourd’hui à son bilan, pourtant supposé refléter sa situation. Or, une pollution est un passif comme les autres dettes. Sans nouvelles règles comptables, une nouvelle fiscalité, même bien intentionnée, risque de devenir caduque
  • On utilise encore aujourd’hui le PNB comme indicateur central de nos politiques économique. Un PNB qui augmente avec les embouteillages, qui augmente même deux fois quand un pétrolier coule, d’abord avec la cargaison perdue, ensuite avec les travaux de dépollution ! Comment comprendre que nous ne soyons pas capable de changer nos lunettes et notre capacité d’évaluation politique?
  • La transformation digitale est annoncée comme prometteuse pour la transition. Pourtant, elle entraîne une énorme consommation d’électricité. Quand on discute de blockchain ou de 5G, Il faut donc intégrer les paramètres éthiques et de santé mais aussi énergétique car il en va d’Internet comme du TGV, la consommation augmente jusqu’ici beaucoup plus vite que la vitesse…

Alors, décidemment non, notre modèle (construction mentale dans laquelle la réalité est simplifiée en vue d’être appréhendée de manière utile) économique et technologique ne réconciliera pas l’humanité avec la planète. Il a certes permis, depuis environ 70 ans, une amélioration importante du niveau de vie matériel mais il ne fonctionne plus bien et se retourne même contre lui-même à force de ne pas intégrer les externalités négatives de nos activités…

En 2007 le GIEC et Al Gore ont reçu un prix Nobel pour leur travaux liés au changement climatique. Par défaut, ce fut le prix Nobel de la Paix. Dommage que l’académie Nobel n’ait pas profité de l’occasion pour remplacer son prix d’économie par une prix Nobel d’écologie plus que jamais indispensable à la communauté humaine. Elle aurait ainsi fait passer le message que le monde étant devenu autre, que l’heure était venue d’étendre la réflexion économique au delà des chiffres et des équations.

Car la « main invisible » n’indique pas la direction à prendre pour résoudre les problèmes de notre civilisation, et moins encore si elle devient une main robotisée. Nous ne voulons confier l’avenir de nos enfants ni à la religion de l’économie, ni à celle de la technologie et certainement pas à une combinaison laxiste des deux qui semble se développer sournoisement. Les grands entrepreneurs libertariens de l’Internet ne s’en cachent pas. Ils ne sont pas loin de penser que l’Etat devrait être remplacé par un ensemble d’algorithmes. Est-ce un horizon désirable?

La recherche et l’innovation scientifique, technologique et sociale participeront bien sûr à la transition écologique mais si nous voulons que les malades continuent à être soignés, que les professeurs continuent à enseigner, que les magistrats continuent à garantir un état de droit ou que les artistes puissent encore jouer leur rôle essentiel, il faut protéger et déployer les conditions d’une économie durable et régénérative. Il faudra donc nous inspirer de Francis Bacon et inventer ensemble un modèle économique en rupture avec le précédent, garantissant à tous, présents et à venir, une vie digne dans des écosystèmes préservés, un modèle d’autant plus fort qu’il obéira aux lois de l’écologie.

Luc de Brabandere, philosophe d’entreprise

Patrick Dupriez, ancien co-président d’Ecolo

Candidats aux élections européennes.

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