Comment l’intelligence artificielle nous pousse à consommer plus?

Julie Nicosia
Julie Nicosia Journaliste

Les listes de courses que nous avons l’habitude de griffonner au dos d’une enveloppe sont de plus en plus souvent déjà connues par les supermarchés que nous fréquentons. Une société sans employé dans les supermarchés, c’est déjà pour demain ? Le point.

Cartes de fidélité, paniers en ligne, nos habitudes d’achat n’ont plus de secret pour les grandes entreprises. De plus en plus de commerces utilisent l’intelligence artificielle (AI) pour essayer de déterminer nos préférences et d’encourager des achats spécifiques.

Daniel Burke, consultant en commerce de détail chez Blick Rothenberg, affirme que c’est « le Saint Graal d’établir un profil des clients et leur suggérer un produit avant que ces derniers ne réalisent qu’il correspond à ce qu’ils voulaient ». L’achat d’un bon repas avec une bouteille de vin, le samedi soir pourraient être dû à un ordinateur qui a tout compris et cibler vos envies et vous a poussé à prendre cette décision.

Will Broome est le fondateur d’Ubamarket, une entreprise britannique qui fabrique une application de shopping permettant aux gens de payer des articles par téléphone, de faire des listes et de scanner des produits pour y rechercher des ingrédients et des allergènes.

Dans un entretien à la BBC, Will Broome affirme: « notre système d’intelligence artificielle (IA) suit les comportements des gens plutôt que leurs achats ; cependant, plus vous faites des achats, plus l’intelligence artificielle sait quels types de produits vous aimez. Il est conçu non seulement pour faire les choses évidentes, mais au fur et à mesure, il apprend sur vos habitudes de consommations et anticipe. L’IA permet de se faire une idée de la probabilité que vous avez d’essayer une nouvelle marque ou d’acheter du chocolat le samedi. Elle peut aussi proposer ce qu’il appelle des « offres hyper-personnalisées », comme du vin moins cher un vendredi soir ».

Comment l'intelligence artificielle nous pousse à consommer plus?

Ubamarket s’est efforcé de persuader les plus grands supermarchés du Royaume-Uni d’adopter l’application. Sans succès. Il a donc préféré traiter avec de plus petites chaînes de magasins de proximité comme Spar, Co-op et Budgens, des magasins qui ne sont pas traditionnellement associés à la haute technologie. L’adoption de l’application reste faible, mais elle se développe, en partie grâce à la pandémie de coronavirus, qui a rendu les gens plus réticents à faire la queue à la caisse et à toucher les caisses automatiques. « Avec l’application, nous avons constaté que le contenu moyen d’un panier a augmenté de 20 % et que les utilisateurs ont trois fois plus de chances de retourner faire leurs achats dans ce magasin », observe M. Broome.

Éthique et gestion de données

En Allemagne, une start-up berlinoise appelée SO1 offre des solutions similaires avec un système d’IA pour les commerces. Elle affirme que neuf fois plus de personnes achètent des produits suggérés par l’IA que ceux proposés par les promotions traditionnelles, même lorsque les remises sont inférieures de 30%. Pour les consommateurs, c’est une bonne chose d’avoir des offres sur des produits qu’ils souhaitent réellement acheter plutôt que des coupons aléatoires.

Cependant, Jeni Tennison, qui dirige l’Open Data Institute du Royaume-Uni – un organisme qui fait campagne contre l’utilisation abusive des données -, reste prudente quant aux vastes quantités d’informations sur les personnes qui sont collectées. « Les gens sont heureux de se voir recommander des produits, mais ils commencent à se sentir plus mal à l’aise lorsqu’on les pousse ou qu’on les manipule pour qu’ils achètent des produits particuliers basés sur une caricature de leur personnalité plutôt que sur toute sa complexité », explique-t-elle.

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null© Getty Images

Jeni Tennison ajoute que l’utilisation de l’IA dans le commerce de détail soulève des questions sociétales plus importantes : « nous devons nous demander dans quelle mesure la collecte de données est équitable et éthique. Ainsi, des femmes blanches issues de la classe moyenne se voient offrir des réductions sur des légumes frais au détriment d’une personne réellement dans le besoin. »

La directrice de l’Open Data Institute revient sur le ciblage de ces applications qui utilisent l’intelligence artificielle à des fins commerciales : « ce que nous devons vraiment comprendre, c’est l’impact de la collecte de données et du profilage sur les différents secteurs de la société. S’agit-il de profiler les gens en fonction de leur race, de leur statut socio-économique, de leur sexualité ? »

Le cas Amazon Go

Le géant en ligne Amazon n’est pas étranger à la collecte de données. Il brasse une grande quantité de données sur ses clients à partir de leurs achats en ligne, et via ses produits tels que les sonnettes Ring et les haut-parleurs Echo.

Il se lance maintenant dans la vente au détail, avec des magasins physiques remplis de technologies assistée par intelligence artificielle. Cela signifie que dans les épiceries Amazon Go, qui ont vu déjà le jour dans 27 endroits aux États-Unis, les gens peuvent faire leurs achats sans aucune interaction avec un humain ou une caisse électronique. Il leur suffit de glisser leur smartphone sur le scan à l’entrée du supermarché, de prendre ce qu’ils veulent acheter, puis de partir. Tout cela sous l’oeil vigilent de l’intelligent artificielle qui envoie une facture à la sortie du magasin.

Si au départ les magasins Amazon Go étaient de petites tailles, en raison du coût des capteurs et des équipements technologiques nécessaires, la société propose progressivement des surfaces plus grandes.

Amazon Go
Amazon Go© Getty Images

Amazon travaille également sur une technologie pour les supermarchés qui ne veulent pas moderniser leurs magasins avec des systèmes aussi coûteux. C’est là qu’intervient son Dash Cart, un chariot de supermarché équipé de capteurs qui détectent et rassemblent tout ce que vous y mettez. Dans le magasin de Los Angeles où il est testé, il dispose d’une voie rapide spéciale pour le contrôle, sans qu’il soit nécessaire de faire appel à un employé.

Humain versus machine

Un autre détaillant américain, Kroger, expérimente des étagères intelligentes équipées d’écrans LCD qui diffusent un contenu contextualisé destiné à attirer les clients vers eux. Certains affichent des offres et des contenus personnalisés en se connectant via Bluetooth aux applications de fidélité des téléphones. Selon le groupe de recherche Gartner, plus des trois quarts des grands détaillants dans le monde ont déjà mis en place des systèmes d’intelligence artificielle ou prévoient de les installer avant la fin de l’année.

Amazon Go
Amazon Go© Getty Images

Selon Sandeep Unni, analysite chez Gartner, la pandémie mondiale a accéléré cette tendance car elle a radicalement modifié les habitudes de consommation. « Les gens ont paniqué et se sont concentrés sur les produits essentiels plutôt que sur les produits non essentiels, ce qui a créé un énorme déséquilibre entre l’offre et la demande », explique-t-il. « Cela signifie que nous avons vu les rayons se vider, et que les prévisions de la demande n’ont soudainement plus fonctionné ».

L’entreprise américaine Afresh fabrique des systèmes d’approvisionnement basés sur l’IA pour les supermarchés afin de mieux planifier les niveaux de stocks nécessaires. Le fondateur d’Afresh, Matt Schwartz, déclare que le personnel doit enseigner aux systèmes d’IA sur les événements clés du calendrier, comme par exemple Halloween.

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