© PIERRE-YVES JORTAY

Xavier Deutsch nous parle de ses livres préférés: « Simenon, mon pain quotidien »

Le Vif

Avec enthousiasme, passion ou sobriété, des auteurs évoquent leurs livres préférés. Ce qu’ils disent, et leur façon de le dire, peut être une façon de parler d’eux ou d’éclairer leur oeuvre personnelle. Pour nous, c’est une façon comme une autre de donner envie de lire. Cette semaine : le romancier belge Xavier Deutsch.

Deux choses frappent quand on est devant la maison de Xavier Deutsch, à Chaumont-Gistoux : une boîte à livres et une affichette signalant  » J’héberge des migrants « . La boîte à livres, c’est l’écrivain qui l’a construite, m’apprend-il de vive voix. L’hébergement, depuis octobre 2017, il l’explique comme ceci sur son site Web :  » Je contribue à faire le travail du gouvernement à la place du gouvernement, puisque le gouvernement ne le fait pas : j’héberge des migrants venus de loin chercher la paix dans notre pays.  » A mi-chemin entre la boîte et l’affichette, on trouve sans doute une certaine idée du partage.

Il faut dire que le romancier n’est pas un être éthéré, il vit à hauteur d’homme et a le sens du concret. Par exemple, il sait  » fabriquer un feu  » avec quelques brindilles, du bois, pas de papier, souligne-t-il dans son essai Donc voilà, où il dévoile quelques-unes de ses idées, sympathiques et parfois bien arrêtées (non au gps, oui c’est plus facile, mais pourquoi faut-il se faciliter la vie ? Je caricature un peu, il va peut-être m’en vouloir, tant pis). Cet art du feu, a priori, m’épate, moi qui suis manchot en la matière. Et Xavier Deutsch a l’occasion de pratiquer : un âtre dans le salon, un poêle dans le bureau.

Il vit à hauteur d’homme et a le sens du concret.

Autre exemple de son sens du concret : engagé politiquement, il est, depuis décembre 2018, conseiller communal (Ecolo). Le jour de notre visite, le  » secrétaire communal « , comme dit Deutsch – à présent, on dit  » directeur général  » mais c’est vrai que  » secrétaire communal « , c’est plus joli – passe d’ailleurs lui apporter des documents à étudier. Le conseiller semble alors dubitatif devant l’épaisseur des deux volumes mais on n’est pas là pour parler politique. On est là pour évoquer sa littérature préférée. Ce sera pour très bientôt, promis. Mais laissons d’abord l’auteur parler de l’homme.

 » Hier soir, j’étais à Gembloux pour poser nu, sourit-il. Oui, je pose nu pour des dessinateurs, des peintres, j’aime bien ça. Donc, je pose nu, je suis romancier, je suis conseiller communal. Ah oui, j’allais oublier : et je vais à la messe. J’ai des copains qui ne comprennent pas bien tout ça.  » Plus haut, j’évoquais une certaine idée du partage, voici donc une certaine idée du mélange. Et si c’était simplement l’idée de l’humain, multiple, ni noir ni blanc et pas forcément gris ? Nous sommes tous peu ou prou des paradoxes, non ? Plus loin dans la conversation, l’écrivain précisera :  » J’ai honte mais il m’arrive d’acheter des livres sur Amazon.  » Il dira plusieurs fois  » J’ai honte  » avec gourmandise. Il expliquera aussi son choix d’Amazon :  » J’ai un tempérament assez timide, alors le contact direct avec les libraires…  »

Amélie Nothomb,
Amélie Nothomb, « une personne profondément gentille ».© GETTY IMAGES

Simenon derrière lui

Ses livres préférés, donc. Il les classe en plusieurs catégories. Tout d’abord Georges Simenon :  » Mon auteur préféré « ,  » mon pain quotidien « ,  » mon père en littérature « , déclare Xavier Deutsch dans son salon. En fin de matinée, quand on se rendra dans son bureau-bibliothèque, il présentera son classement et je remarquerai que tous ses bouquins sont face à sa table, sauf ceux de Simenon, derrière lui.  » Physiquement, c’est comme si j’avais besoin de les sentir là « , précisera-t-il rêveusement.

Retour à la réalité : Simenon, Deutsch en a lu tous les romans. Il pense même qu’il les a tous lus deux fois, et il est en train de les lire à nouveau.  » Il y en a même certains que je dois avoir lus quatre fois, peu importe, c’est toujours aussi bon. En fait, relire un livre, ça ne m’arrive pas super souvent, parce qu’un livre qu’on relit prend la place d’un livre qu’on n’a pas encore lu. Récemment, j’ai relu Germinal – je l’avais lu quand j’étais en 5e secondaire – et j’ai adoré. D’ailleurs, j’ai lu tout Zola. Enorme aussi : Moby Dick. Je l’avais lu il y a quinze ou vingt ans et je l’ai relu l’été dernier. Moby Dick, waouh !  »

 » Donc, en un, Simenon « , récapitule-t-il.  » Ensuite, en dessous de Simenon, comment dire ? Il y a le patrimoine littéraire de l’humanité : Moby Dick, Don Quichotte, Giono, Flaubert, Zola, Maupassant, Dostoïevski, Shakespeare, Cent ans de solitude de Garcia Márquez… Eh bien, si on évoque ces noms-là, ça va, quoi. Moi, en tout cas, je me nourris de ça, de ces gros machins, des trucs un peu incontestables. On les appelle des  » grands classiques  » et ce n’est pas par hasard : c’est pas des plaisantins… Quand je les lis, je me sens alimenté, réconforté. Et donc, si j’ai le choix entre lire Madame Bovary et un roman contemporain d’un de mes petits camarades belges ou français dont on parle beaucoup et dont on ne parlera plus dans six mois, je lis Madame Bovary, voilà. La littérature contemporaine francophone ne m’intéresse pas tellement.  »

Quelques Français

Logiquement, je veux alors savoir quels auteurs francophones d’aujourd’hui plaisent quand même, peut-être, un peu, à Xavier Deutsch… Il réfléchit quelques secondes puis cite deux noms : Franz Bartelt, Hubert Mingarelli – à propos de ce dernier, il précise :  » Il n’est pas du tout connu et j’adore son univers, son écriture. Ce gars-là, il habite dans le département de l’Isère, dans la montagne, près de Grenoble. Bartelt, lui, il habite dans les Ardennes françaises. Donc oui, il y a des auteurs français que j’aime vraiment bien mais ils sont plutôt dans le maquis.  »

Quand je lis les « grands classiques », je me sens alimenté, réconforté.

En francophones contemporains, Deutsch cite encore Pierre Lemaitre,  » pas pour son Goncourt Au revoir là-haut, que j’ai trouvé beaucoup plus faible, plus léger, plus dilué, moins substantiel que, par exemple, Un long dimanche de fiançailles, de Sébastien Japrisot, magnifique, très grand livre (NDLR : les deux romans se déroulent sur la même toile de fond, la Première Guerre mondiale), non, Pierre Lemaitre, je l’aime beaucoup pour ses polars… Les grands polars de Pierre Lemaitre, chapeau ! Je suis assez client des polars. Autre exemple : Fred Vargas. Sinon, en contemporains, je lis plutôt des Italiens, des Japonais, des Suédois, des Britanniques, des Américains…  »

Ecrivain cherche noms

C’est le moment pour le Brabançon de lancer un appel à l’équipe :  » Je pense, et je trouve ça rigolo, que les grands livres francophones contemporains sont écrits dans le fond des forêts ou en montagne, ou alors dans le fond des paralittératures et du polar. Bref, il existe une littérature francophone contemporaine belle et forte mais elle se cache un peu et moi je ne demande pas mieux qu’on me la débusque. Si on peut me signaler des noms, je suis preneur.  »

Chers lecteurs, si vous voulez, rendez-vous sur le site www.xavierdeutsch.be ; vous y trouverez facilement l’adresse mail de l’auteur, ainsi que son adresse postale (Xavier Deutsch aime correspondre avec ses lecteurs, c’est un de ses points communs avec Amélie Nothomb – l’autre point commun, c’est la quantité de bouquins écrits (Deutsch mène au nombre de livres publiés : 44). Et c’est marrant, leurs écritures manuscrites sont toutes deux très lisibles et se ressemblent. A propos d’Amélie Nothomb, je sens une sorte d’admiration de Xavier Deutsch à son égard, notamment pour la régularité de ses sorties littéraires, un roman chaque année, et pour la personne :  » Elle est profondément gentille « , dit-il. Il ne l’a jamais rencontrée mais il a correspondu avec elle, et elle lui a donné un nom d’éditeur à contacter chez Albin Michel en lui précisant qu’il pouvait se recommander d’elle. Fin de la parenthèse.)

Je donne à mon hôte un nom de romancier américain à lire : Richard Brautigan, à la mélancolie mâtinée de surréalisme. Xavier Deutsch, qui connaissait ce nom, se rendra quelques minutes plus tard sur le site d’Amazon pour voir les titres de Brautigan, puis en retrouvera deux dans sa bibliothèque.

Xavier Deutsch a lu tout Simenon,
Xavier Deutsch a lu tout Simenon, « Et tout Zola ! »© GETTY IMAGES

Des Belges quand même

Globalement, Xavier Deutsch estime qu’en littérature,  » le temps a une vertu. Personnellement, ça fait trente ans que je publie, et je suis toujours là, même si on ne parle pas beaucoup de moi dans la presse, alors que j’en ai vu défiler des gens dont on parlait partout pendant… une saison !  » Au rayon littéraire belge, le romancier classe dans cette catégorie de ceux qui durent quelques auteurs : Amélie Nothomb (avec en plus un succès phénoménal), Ariane Le Fort, Patrick Delperdange, Xavier Hanotte, Armel Job.

Pour voir tout ça en vrai, il est temps de se rendre dans la bibliothèque. Celle-ci se trouve au pied du petit jardin, dans une austère mais chaleureuse annexe. L’écrivain descend quasi quatre à quatre l’escalier métallique et glissant qui y mène. J’atterris 27 secondes après lui, pour découvrir les rayonnages, où les livres sont classés par ordre chronologique dans chaque catégorie : 1. la France (du Roman de Renart à Laurent Gaudé) ; 2. l’Italie ; 3. l’Espagne ; 4. l’Amérique latine ; 5. les Etats-Unis ; 6. les Britanniques ; 7. des Russes, des Scandinaves, des Japonais ; 8. des Belges ; 9. la bande dessinée ( Tintin, Blake et Mortimer, Spirou, Les Schtroumpfs…). Tout en haut figurent des Pléiade : Homère, Shakespeare, Cervantès et Balzac.  » A 20 ans, on avait droit à un beau cadeau, se souvient Xavier Deutsch. Moi, j’ai demandé à mes parents toute La Comédie humaine en Pléiade.  »

Avant de partir, j’ai pris un bouquin dans la boîte à livres installée par l’écrivain. Sur la boîte était écrit à la main  » Servez-vous « .

Par Johan Rinchart.

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